France, portrait social Édition 2024
Cet ouvrage rassemble trois analyses des discriminations ressenties et vécues par différents groupes de personnes. Par ailleurs, deux dossiers analysent le niveau de vie des ménages en 2023, année encore marquée par une forte inflation. Enfin, une quarantaine de fiches synthétiques dressent le panorama social de la France.
Le sentiment de discrimination persiste à la deuxième génération
Odile Rouhban, Pierre Tanneau (Insee), Patrick Simon (Ined)
En 2019‑2020, un quart des immigrés comme de leurs descendants déclarent des traitements inégalitaires ou des discriminations au cours des cinq dernières années. Les immigrés nés hors d’Europe sont plus nombreux à en rapporter (26 %) que ceux nés en Europe (19 %). L’écart s’accentue à la génération suivante : les descendants d’immigrés nés en Europe déclarent moins de discriminations que la première génération (‑6 points), alors que les descendants d’immigrés nés hors d’Europe en signalent nettement plus (+8 points). Si cet écart est en partie lié à des différences de caractéristiques sociodémographiques entre générations (comme l’âge ou le niveau de diplôme), ces dernières n’expliquent que 40 % de cette hausse pour les descendants d’immigrés non européens, et une part résiduelle de la baisse des discriminations vécue par les descendants d’immigrés européens.
L’exposition aux discriminations diffère dès l’enfance : 19 % des descendants d’immigrés non européens rapportent des traitements discriminatoires à l’école, contre 8 % des descendants d’immigrés européens. Par rapport à ces derniers, ils sont par ailleurs deux fois plus nombreux à avoir été la cible de racisme au cours de leur vie.
Enfin, parmi les descendants d’immigrés non européens, plus de 29 % estiment qu’on ne les « voit pas comme des Français », contre moins de 8 % des descendants d’immigrés européens ; on leur demande également beaucoup plus souvent « d’où ils viennent ». Ce renvoi plus fréquent à leurs origines contribuerait à expliquer pourquoi leur vécu discriminatoire est plus fort.
Insee Références
Paru le :21/11/2024
- Le sentiment de discrimination augmente d’une génération à l’autre pour les personnes d’origine non européenne
- L’origine géographique est le premier facteur de discriminations
- Les différences de profils n’expliquent que partiellement les écarts de discriminations entre générations
- Le lieu de résidence n’explique que marginalement l’exposition aux discriminations
- Les descendants d’immigrés non européens ont été davantage exposés aux discriminations au cours de leur scolarité
- Les descendants d’immigrés non européens estiment plus souvent qu’on ne les « voit pas comme des Français »
- Le renvoi aux origines et le déni de la qualité de Français accroissent le sentiment de discrimination
Globalement, les descendants d’immigrés ont un niveau d’études, un niveau de vie et des conditions de logement plus favorables que les immigrés [Rouhban, Tanneau, 2023]. L’amélioration de la situation sociale entre immigrés et descendants d’immigrés s’observe pour toutes les origines, mais elle est moins marquée pour les personnes d’origine non européenne, et spécialement d’Afrique et de Turquie ou du Moyen‑Orient. Les descendants d’immigrés non européens sont notamment plus souvent au chômage. Ils sont également 23 % à résider dans un quartier prioritaire de la politique de la ville, contre 29 % des immigrés de même origine et 7 % de l’ensemble de la population de 18 à 59 ans.
Le sentiment de discrimination augmente d’une génération à l’autre pour les personnes d’origine non européenne
D’après les modèles classiques d’assimilation intergénérationnelle, l’amélioration relative des conditions socioéconomiques des descendants d’immigrés, le fait qu’ils soient nés et aient grandi en France, ainsi que leur citoyenneté française devraient les protéger des situations de discrimination [Ouvrir dans un nouvel ongletSafi, 2011]. Or, parmi les personnes âgées de 18 à 59 ans, les descendants d’immigrés déclarent autant que les immigrés (25 % contre 24 %) avoir connu « souvent » ou « parfois » des traitements inégalitaires ou des discriminations au cours des cinq dernières années (figure 1). Tandis que les descendants d’immigrés d’origine européenne sont moins nombreux à rapporter des expériences de discrimination (13 %) que les immigrés des mêmes origines (19 %, soit ‑6 points d’une génération à l’autre), les descendants d’immigrés d’origine asiatique et africaine déclarent plus souvent avoir connu des discriminations que la première génération (34 % contre 26 %, soit +8 points).
tableauFigure 1 – Déclaration de traitements inégalitaires ou de discriminations selon l'origine et la génération
Origine | A déclaré avoir subi des traitements inégalitaires ou des discriminations au cours des cinq dernières années | ||
---|---|---|---|
Immigrés | Descendants d'immigrés | Différence (en points de %) |
|
Européenne | 19 | 13 | -6 |
Non européenne1 | 26 | 34 | +8 |
Ensemble | 24 | 25 | ns |
- ns : non significatif.
- 1. Les personnes « non européennes » sont les personnes originaires d’Afrique ou d’Asie, le faible nombre de répondants originaires d’Amérique ou d’Océanie ne permettant pas de mener des analyses détaillées sur ces continents.
- Note : La question posée était la suivante : « Au cours des cinq dernières années, pensez-vous avoir subi des traitements inégalitaires ou des discriminations ? ».
- Lecture : En 2019-2020, 24 % des immigrés déclarent avoir subi des traitements inégalitaires ou des discriminations au cours des cinq dernières années.
- Champ : France métropolitaine, immigrés et descendants d'immigrés âgés de 18 à 59 ans vivant dans un logement ordinaire.
- Sources : Ined-Insee, enquête Trajectoires et Origines 2 (2019-2020).
Cela témoigne d’un « paradoxe de l’intégration » pour les descendants d’immigrés non européens : alors qu’ils sont nés en France et y ont majoritairement effectué leur scolarité, ils déclarent plus souvent avoir subi des discriminations que les immigrés de même origine. Ce phénomène n’est pas propre à la France [Ouvrir dans un nouvel ongletSchaeffer, Kas, 2023].
L’origine géographique est le premier facteur de discriminations
Certaines caractéristiques sociodémographiques sont plus fortement associées à des déclarations de traitements inégalitaires ou discriminatoires. Par exemple, les personnes qui se déclarent en mauvaise santé, au chômage, ou encore les femmes diplômées de l’enseignement supérieur, déclarent davantage de discriminations [Lê et al., 2022]. Dans l’ensemble de la population, à caractéristiques comparables, le statut migratoire et l’origine géographique demeurent cependant les principaux facteurs de déclaration de discriminations.
Pour les personnes ayant une ascendance migratoire (c’est-à-dire les immigrés et descendants d’immigrés), les liens entre sentiment de discrimination et mauvaise santé, situation sur le marché du travail ou niveau de diplôme se confirment à caractéristiques comparables. Ainsi, les personnes qui s’estiment en mauvaise santé déclarent 1,9 fois plus fréquemment des expériences de traitements inégalitaires que celles en moyenne, bonne ou très bonne santé (figure 2). Ce risque est 1,2 fois plus élevé pour les personnes diplômées du supérieur par rapport à celles diplômées du secondaire, et 1,4 fois pour les personnes au chômage plutôt qu’en emploi. Par ailleurs, le risque de déclarer une expérience récente de discrimination est fortement lié à la religion, et davantage encore au pays d’origine. Parmi les personnes ayant une ascendance migratoire, celles de religion musulmane ont un risque multiplié par 1,4 de déclarer des discriminations. Les origines non européennes sont associées à un risque particulièrement accru de rapporter des discriminations, notamment les origines africaines hors Maghreb (risque multiplié par 2,9 par rapport aux origines européennes). En outre, les personnes ayant une ascendance migratoire âgées de 50 à 59 ans ont un risque moindre de déclarer une situation de discrimination que les plus jeunes.
tableauFigure 2 – Risque de déclarer avoir subi des traitements inégalitaires ou des discriminations au cours des cinq dernières années, pour les immigrés et descendants d'immigrés
Caractéristiques | Rapport de risque | |
---|---|---|
Sexe | Femme | ns |
Homme | Réf. | |
Âge | 18 à 29 ans | 1,2 |
30 à 49 ans | Réf. | |
50 à 59 ans | 0,7 | |
Diplôme | Peu ou pas diplômé | 0,7 |
Diplômé d'un CAP-BEP | ns | |
Diplômé du secondaire | Réf. | |
Diplômé du supérieur | 1,2 | |
Statut d'activité | Étudiant | 1,3 |
Chômeur | 1,4 | |
Inactif hors étudiant | ns | |
En emploi | Réf. | |
Religion | Chrétien | ns |
Musulman | 1,4 | |
Autres religions | ns | |
Sans religion | Réf. | |
État de santé déclaré | État de santé moyen, bon ou très bon | Réf. |
État de santé mauvais ou très mauvais | 1,9 | |
Origine détaillée | Europe du Sud | Réf. |
Autres pays d'Europe | ns | |
Maghreb | 2,1 | |
Autres pays d'Afrique | 2,9 | |
Turquie, Moyen-Orient | 1,5 | |
Autres pays d'Asie | 1,5 | |
Autres pays | 1,7 |
- ns : non significatif au seuil de 5 %.
- Notes :
- estimation des rapports de risque (odds ratio) par des modèles logit, par génération et origine. Pour chaque variable, les odds ratio permettent de comparer les différentes modalités avec la modalité de référence (Réf.) pour laquelle le risque est supposé valoir 1. Une valeur supérieure à 1 indique qu’une variable est associée, toutes choses égales par ailleurs, à une augmentation du risque de déclaration ;
- d'autres variables ont été incluses dans le modèle mais les résultats n'ont pas été reportés car peu ou pas significatifs : la catégorie socioprofessionnelle et le lieu de résidence ;
- les personnes dont le niveau de diplôme est indéterminé sont classées avec les peu ou pas diplômés ; les exclure de l'analyse ne change pas les résultats. - Lecture : À autres caractéristiques comparables, en 2019-2020, les immigrés et descendants d'immigrés âgés de 18 à 29 ans ont, par rapport à ceux âgés de 30 à 49 ans, un risque de déclarer des discriminations dans les cinq dernières années 1,2 fois supérieur.
- Champ : France métropolitaine, immigrés et descendants d'immigrés âgés de 18 à 59 ans vivant dans un logement ordinaire.
- Sources : Ined-Insee, enquête Trajectoires et Origines 2 (2019-2020).
Certaines de ces caractéristiques ont des effets d’une ampleur variable sur les expériences de discrimination selon la génération (personnes descendantes d’immigrés ou immigrées) et les origines géographiques (européennes ou non européennes). À caractéristiques comparables, parmi les descendants d’immigrés européens, les femmes déclarent 2,5 fois plus fréquemment avoir subi des discriminations que les hommes, alors que le genre n’est pas associé à une plus forte déclaration de discriminations pour les descendants d’immigrés d’une autre origine ou pour les immigrés, quelle que soit leur origine. De même, parmi les descendants d’immigrés, les personnes de religion musulmane ont un risque de déclarer des discriminations particulièrement accru (multiplié par 1,8 par rapport aux personnes sans religion pour les descendants non européens).
Les différences de profils n’expliquent que partiellement les écarts de discriminations entre générations
Les différences de caractéristiques socioéconomiques et démographiques entre générations permettent d’expliquer une partie des écarts de déclaration de discriminations. Ainsi, les écarts de profil entre immigrés et descendants d’immigrés non européens (notamment la moindre part, au sein des descendants d’immigrés, de personnes peu diplômées, ou âgées de 50 à 59 ans, qui déclarent moins de discriminations) expliquent 3 points de la hausse des discriminations sur un total de 8 points (méthodes). Pour les non-Européens, environ 40 % de l’augmentation des expériences de discriminations s’explique ainsi par les différences de caractéristiques sociodémographiques d’une génération à l’autre. Au contraire, les différences sociodémographiques entre immigrés et descendants d’immigrés d’origine européenne ne contribuent quasi pas à la diminution de 6 points des déclarations de discrimination entre première et deuxième génération.
Le lieu de résidence n’explique que marginalement l’exposition aux discriminations
En naissant et grandissant en France, avec une hausse du niveau d’éducation qui leur permet par exemple d’accéder à de nouvelles sphères professionnelles, les descendants d’immigrés ont plus d’interactions avec la population non immigrée à l’école ou au travail. Ils ont donc potentiellement plus de risques d’être exposés à des situations d’altérisation et de discriminations [Ouvrir dans un nouvel ongletVan Doorn et al., 2013]. Dans leurs interactions avec les personnes non immigrées, les caractéristiques visibles des descendants d’immigrés non européens (couleur de peau notamment) pourraient les confronter à plus de traitements inégalitaires ou discriminatoires que les descendants d’immigrés européens ou, par comparaison avec leur entourage, les amener à qualifier plus systématiquement un traitement inégalitaire de discriminatoire.
Les contacts avec la population sans ascendance migratoire dépendent tout d’abord du lieu de résidence. Les descendants d’immigrés habitent dans des quartiers où la proportion d’immigrés est un peu moins forte que dans ceux où résident les immigrés : la première génération réside dans des quartiers où en moyenne 82 % de la population est non immigrée, contre 85 % pour la deuxième génération, soit 3 points de différence (+4 points par rapport à la première génération pour les descendants d’immigrés européens et +2 points pour les non‑Européens).
Les quartiers ne sont par ailleurs pas homogènes en termes de composition sociodémographique selon l’âge, le statut d’activité, le niveau d’études, etc., soit autant de caractéristiques qui peuvent être liées au fait de déclarer des discriminations. À caractéristiques sociodémographiques comparables, quand la population non immigrée est plus nombreuse dans leur zone d’habitation, les personnes ayant un lien à la migration déclarent légèrement plus d’expériences discriminatoires. Les contacts plus fréquents avec la population sans ascendance migratoire dans le contexte du lieu de résidence peuvent donc contribuer marginalement aux différences des vécus discriminatoires entre première et deuxième générations pour les non‑Européens. Toutefois, ils ne permettent pas d’interpréter les différences d’évolution du sentiment de discrimination entre Européens et non‑Européens. Par rapport aux descendants d’immigrés européens, les descendants d’immigrés non européens déclarent plus souvent des discriminations alors qu’ils vivent plus fréquemment dans les 10 % des quartiers en France où la part d’immigrés est la plus forte : la moitié d’entre eux y résident, contre un cinquième seulement des descendants européens.
Les descendants d’immigrés non européens ont été davantage exposés aux discriminations au cours de leur scolarité
La confrontation des descendants d’immigrés non européens aux discriminations peut avoir lieu dès l’enfance. Au cours de la scolarité, 19 % des descendants d’immigrés d’Afrique et d’Asie déclarent avoir été moins bien traités en raison de motifs discriminatoires (origine, couleur de peau, sexe, etc.), contre 8 % des descendants d’immigrés européens. En particulier, 15 % des descendants d’immigrés du Maghreb déclarent avoir été moins bien traités que les autres élèves dans les décisions d’orientation, tout comme 14 % des descendants d’immigrés des autres pays d’Afrique ou encore de Turquie ou du Moyen‑Orient (12 %) (figure 3). Parmi les origines non européennes, seuls les descendants d’immigrés des pays d’Asie hors de Turquie ou du Moyen‑Orient déclarent moins de traitements inégalitaires à l’école que la moyenne des descendants d’immigrés.
tableauFigure 3 – Déclarations de traitements inégalitaires pour motif discriminatoire à l'école par les descendants d'immigrés
Descendants d'immigrés, par lieu de naissance des parents | Déclare avoir été moins bien traité | Déclare avoir été moins bien traité dans au moins une des sphères de l'école pour motif discriminatoire | ||||
---|---|---|---|---|---|---|
dans la notation | dans les décisions d'orientation | dans la discipline et les sanctions | dans la façon dont les enseignants s'adressaient à eux | dans la façon dont les autres personnels d’éducation ou scolaires s'adressaient à eux | ||
Descendants d'immigrés européens originaires : | 4 | 6 | 2 | 2 | 4 | 8 |
d'Europe du Sud | 4 | 7 | 3 | 2 | 5 | 9 |
d'autres pays d'Europe | 2 | 2 | 0 | 1 | 3 | 5 |
Descendants d'immigrés non-européens originaires : | 8 | 14 | 7 | 6 | 10 | 19 |
du Maghreb | 9 | 15 | 8 | 6 | 10 | 21 |
d'autres pays d'Afrique | 7 | 14 | 9 | 6 | 10 | 20 |
de Turquie ou du Moyen-Orient | 9 | 12 | 6 | 6 | 10 | 18 |
d'autres pays d'Asie | 3 | 4 | 3 | 2 | 5 | 9 |
Ensemble | 6 | 10 | 5 | 4 | 7 | 15 |
- Lecture : 4 % des descendants d'immigrés d'Europe du Sud déclarent avoir été moins bien traités dans la notation à l'école en raison de motifs discriminatoires.
- Champ : France métropolitaine, descendants d'immigrés âgés de 18 à 59 ans, ayant effectué tout ou partie de leur scolarité en France et vivant dans un logement ordinaire.
- Sources : Ined-Insee, enquête Trajectoires et Origines 2 (2019-2020).
graphiqueFigure 3 – Déclarations de traitements inégalitaires pour motif discriminatoire à l'école par les descendants d'immigrés
À autres caractéristiques comparables, les personnes qui estiment avoir été moins bien traitées à l’école pour des motifs discriminatoires ont trois fois plus de risques de déclarer avoir subi des discriminations dans les cinq dernières années. Ce résultat se vérifie en se restreignant aux personnes de 30 ans ou plus, ayant la plupart du temps achevé leur scolarité depuis plus de cinq ans.
Avoir déjà fait l’expérience du racisme est également corrélé à la déclaration de discriminations : les personnes déclarant avoir déjà été la cible d’insultes, de propos ou d’attitudes racistes au cours de leur vie en France ont plus de quatre fois plus de risques de déclarer avoir subi des discriminations récemment. Ces expériences du racisme touchent 45 % des descendants d’immigrés non européens (notamment 52 % des descendants d’immigrés des pays d’Asie autres que la Turquie et le Moyen‑Orient), contre 22 % des descendants d’immigrés européens (figure 4). L’expérience du racisme augmente entre la première et la deuxième génération, de 15 points pour les non‑Européens, et les discriminations déclarées aussi (+10 points pour les personnes originaires du Maghreb ou des pays d’Asie hors Turquie et Moyen‑Orient). Pour les Européens, la hausse de l’expérience du racisme est modérée (+3 points) et ne concerne que les origines sud européennes (+4 points).
tableauFigure 4a – Racisme et discriminations par origine migratoire parmi les immigrés
Statut et origine migratoires | Personnes déclarant avoir été la cible d’insultes, de propos ou d’attitudes ouvertement racistes au cours de leur vie en France | Personnes déclarant avoir subi des traitements inégalitaires ou des discriminations au cours des cinq dernières années |
---|---|---|
Immigrées européens originaires | 19 | 19 |
d'Europe du Sud | 19 | 19 |
d'autres pays d'Europe | 19 | 19 |
Immigrés non-européens originaires | 30 | 26 |
du Maghreb | 28 | 25 |
d'autres pays d'Afrique | 36 | 35 |
de Turquie ou du Moyen-Orient | 21 | 20 |
d'autres pays d'Asie | 30 | 18 |
Descendants d'immigrés européens originaires | 22 | 13 |
d'Europe du Sud | 23 | 12 |
d'autres pays d'Europe | 18 | 15 |
Descendants d'immigrés non-européens originaires | 45 | 34 |
du Maghreb | 44 | 35 |
d'autres pays d'Afrique | 50 | 40 |
de Turquie ou du Moyen-Orient | 33 | 28 |
d'autres pays d'Asie | 52 | 28 |
Ensemble | 31 | 25 |
- Lecture : 28 % des immigrés nés au Maghreb déclarent avoir été la cible d'insultes de propos ou d'attitudes ouvertement racistes en France au cours de leur vie.
- Champ : France métropolitaine, immigrés et descendants d'immigrés âgés de 18 à 59 ans et vivant dans un logement ordinaire.
- Sources : Ined-Insee, enquête Trajectoires et Origines 2 (2019-2020).
graphiqueFigure 4a – Racisme et discriminations par origine migratoire parmi les immigrés
Les expériences répétées de traitements inégalitaires, que connaissent en particulier les descendants d’immigrés non européens, peuvent être associées à un sentiment persistant d’altérisation et peuvent expliquer que, contrairement aux descendants d’immigrés européens, ils déclarent plus de discriminations dans les cinq dernières années que la première génération.
Les descendants d’immigrés non européens estiment plus souvent qu’on ne les « voit pas comme des Français »
Les expériences d’altérisation et l’expression d’une identité ethnoraciale peuvent renforcer la prise de conscience des discriminations [Safi, Simon, 2014]. Trois indicateurs complémentaires sont construits pour donner une mesure de ces expériences (méthodes).
L’indicateur de « renvoi aux origines » se fonde sur la fréquence à laquelle les personnes se voient demander leur origine. Sans être nécessairement associées à des comportements négatifs, plus ces situations sont fréquentes, plus le sentiment d’une altérité subie se renforce. Les descendants d’immigrés d’origine européenne déclarent deux fois moins souvent être fréquemment renvoyés à leurs origines que la première génération. C’est au contraire une expérience plus fréquente pour les descendants d’immigrés d’origine non européenne : 30 % des descendants d’origine maghrébine sont notamment dans ce cas, contre 25 % des immigrés de même origine (figure 5a).
L’indicateur de « déni de la qualité de Français » identifie les personnes qui se sentent tenues à distance de la communauté nationale par le regard des autres. Cette perception est moins fréquente chez les descendants d’immigrés que chez les immigrés, avec un fort écart pour les personnes originaires d’Asie et surtout d’Europe : moins de 8 % des descendants d’immigrés d’origine européenne estiment qu’on ne les « voit pas comme des Français », contre 40 % environ pour les immigrés des mêmes origines (figure 5b). Pour les personnes d’origine non européenne, cette perception reste cependant très fréquente à la deuxième génération (elle concerne 29 % des descendants d'immigrés d'origine asiatique et africaine), à un niveau plus proche de la première génération que pour les origines européennes : en particulier 34 % des descendants d’Afrique hors Maghreb ont le sentiment qu’on ne les « voit pas comme des Français » (contre 48 % des immigrés de même origine), ou encore 30 % des deuxièmes générations issues du Maghreb (contre 43 % pour la première génération).
L‘indicateur « d’identité ethnoraciale » caractérise les personnes qui choisissent leurs origines, leur couleur de peau ou encore leur nationalité pour définir leur identité. Les personnes qui expriment une identité ethnoraciale peuvent davantage associer les traitements défavorables à ces caractéristiques. En retour, faire l’expérience de discriminations en raison de ses origines renforce la construction de l’identité ethnoraciale [Ouvrir dans un nouvel ongletSimon, 2013].
L’identité ethnoraciale devient moins prégnante entre la première et la seconde génération pour les personnes d’origine européenne : 60 % des immigrés d’Europe du Sud citent l’origine, la nationalité ou la couleur de peau parmi les dimensions importantes de leur identité, contre 47 % pour les descendants d’immigrés de même origine ; 51 % parmi les immigrés du reste de l’Europe et 38 % parmi les descendants (figure 5c). Au contraire, la majeure partie des descendants d’origine non européenne se définissent davantage par leur origine ou leur couleur de peau que la première génération : 56 % contre 46 % pour les personnes originaires de Turquie et du Moyen‑Orient, 69 % contre 65 % pour celles originaires d’Afrique hors Maghreb. Toutefois, l’identité ethnoraciale est citée au même niveau entre immigrés et descendants originaires du Maghreb.
tableauFigure 5a – Renvoi aux origines selon l'origine et la génération
Origine géographique | Indicateurs d'altérisation | ||
---|---|---|---|
Déni de la qualité de Français | Renvoi aux origines | Identité ethnoraciale | |
Ensemble des immigrés, dont : | 45 | 32 | 55 |
Europe du Sud | 44 | 27 | 60 |
Autres pays d'Europe | 37 | 32 | 51 |
Maghreb | 43 | 25 | 50 |
Autres pays d'Afrique | 48 | 44 | 65 |
Turquie, Moyen-Orient | 51 | 25 | 46 |
Autres pays d'Asie | 57 | 35 | 60 |
Immigrés européens | 40 | 30 | 55 |
Immigrés non européens | 47 | 32 | 54 |
Ensemble des descendants d'immigrés, dont : | 20 | 25 | 50 |
Europe du Sud | 9 | 14 | 47 |
Autres pays d'Europe | 4 | 12 | 38 |
Maghreb | 30 | 30 | 49 |
Autres pays d'Afrique | 34 | 45 | 69 |
Turquie, Moyen-Orient | 25 | 28 | 56 |
Autres pays d'Asie | 21 | 41 | 67 |
Descendants européens | 8 | 14 | 45 |
Descendants non européens | 29 | 33 | 55 |
Descendants de deux parents immigrés | 29 | 29 | 58 |
Descendants de couple mixte | 10 | 20 | 41 |
- Lecture : 25 % des immigrés du Maghreb disent qu'on leur demande souvent leur origine.
- Champ : France métropolitaine, immigrés et descendants d'immigrés âgés de 18 à 59 ans vivant dans un logement ordinaire.
- Sources : Ined-Insee, enquête Trajectoires et Origines 2 (2019-2020).
graphiqueFigure 5a – Renvoi aux origines selon l'origine et la génération
Du fait de leur moins grande exposition à l’altérisation, le sentiment de renvoi à leurs origines, le déni de la qualité de Français, et la définition par l’identité ethnoraciale sont moins fréquents pour les descendants de couple mixte que pour les descendants de deux parents immigrés.
Le renvoi aux origines et le déni de la qualité de Français accroissent le sentiment de discrimination
Le fait de définir son identité par des dimensions ethnoraciales n’est pas significativement associé à la déclaration plus fréquente de discriminations par les descendants d’immigrés ni par les immigrés d’origine européenne, à autres caractéristiques comparables. En revanche, pour les immigrés d’origine non européenne, il multiplie par 1,3 le risque qu’ils déclarent des discriminations au cours des cinq dernières années (figure 6).
tableauFigure 6 – Risque de déclarer avoir subi des traitements inégalitaires ou des discriminations au cours des cinq dernières années, pour les immigrés et descendants d'immigrés
Caractéristiques | Immigrés européens | Descendants d'immigrés européens | Immigrés non européens | Descendants d'immigrés non européens | |
---|---|---|---|---|---|
Déni de la qualité de Français | Oui | 1,8 | 2,8 | 2,1 | 3,2 |
Non | Réf. | Réf. | Réf. | Réf. | |
Renvoi aux origines | Oui | 1,9 | 2,4 | 2,1 | 2,4 |
Non | Réf. | Réf. | Réf. | Réf. | |
Identité ethnoraciale | Oui | ns | ns | 1,3 | ns |
Non | Réf. | Réf. | Réf. | Réf. |
- ns : non significatif au seuil de 5 %.
- Notes :
- estimation des rapports de risque (odds ratio) par des modèles logit, par génération et origine. Pour chaque variable, les odds ratio permettent de comparer les différentes modalités avec la modalité de référence (Réf.) pour laquelle le risque est supposé valoir 1. Une valeur supérieure à 1 indique qu’une variable est associée, toutes choses égales par ailleurs, à une augmentation du risque de déclaration.
- le modèle a été estimé en incluant des variables sociodémographiques : sexe, âge, niveau de diplôme, statut d'activité, catégorie socioprofessionnelle, religion, lieu de résidence, état de santé, origine détaillée. Les rapports de risque associés à ces variables sont développés en Figure 2 et dans les paragraphes consacrés de cet éclairage : ils ne sont donc pas rapportés ici, mais sont disponibles en ligne. - Lecture : À autres caractéristiques comparables, en 2019-2020, les immigrés européns déclarant être « plutôt pas d'accord » ou « pas du tout d'accord » avec l'affirmation « On me voit comme un Français » (deni de la qualité de Français) ont un risque de déclarer des discriminations dans les cinq dernières années 1,8 fois supérieur.
- Champ : France métropolitaine, immigrés et descendants d'immigrés âgés de 18 à 59 ans vivant dans un logement ordinaire.
- Sources : Ined-Insee, enquête Trajectoires et Origines 2 (2019-2020).
Être renvoyé à ses origines ou se faire dénier la qualité de Français contribuent en revanche fortement au sentiment de discrimination quelle que soit l’origine, pour les immigrés comme pour les descendants d’immigrés. À caractéristiques comparables, ces deux expériences multiplient par deux à trois la probabilité de déclarer des discriminations. Le fait que les descendants d’Européens soient relativement invisibles dans la vie sociale peut ainsi contribuer à expliquer que le « paradoxe de l’intégration » se vérifie uniquement pour les descendants d’immigrés non européens : ceux‑ci continuent à expérimenter l’altérisation connue par les immigrés, et celle‑ci contredit leur aspiration à l’égalité de traitement et les conduit à mieux identifier les discriminations.
Sources
L’enquête Trajectoires et Origines 2 (TeO2) est une enquête sur la diversité des populations vivant en France, réalisée conjointement par l’Ined et l’Insee. Elle a vocation à mieux connaître les processus d’intégration et les discriminations concernant l’ensemble de la population dans sa diversité. Il s’agit de la seconde édition de l’enquête, la première ayant eu lieu en 2008‑2009. La collecte de l’enquête TeO2 s’est déroulée en 2019 et 2020 auprès d’environ 27 000 personnes âgées de 18 à 59 ans et vivant dans un logement ordinaire en France métropolitaine.
Méthodes
Décomposition de l’évolution intergénérationnelle des discriminations déclarées
La méthode de Ouvrir dans un nouvel ongletFairlie (2005) est utilisée pour décomposer la différence observée du sentiment de discrimination entre immigrés et descendants d’immigrés. La composante dite « expliquée » est liée pour chaque origine (européenne ou non européenne) aux différences de caractéristiques sociodémographiques observables entre les générations.
Les variables sociodémographiques observées sont le sexe, l’âge, le niveau de diplôme, le statut d’activité, la catégorie socioprofessionnelle, la religion, le lieu de résidence, l’état de santé déclaré et l’origine détaillée. Pour chaque origine, la référence est la première génération : les coefficients associés à chaque variable dans l’estimation du risque de déclarer des discriminations, pour les immigrés, sont appliqués aux caractéristiques des descendants d’immigrés. La « composante expliquée » de l’évolution ainsi mesurée correspond à la variation théorique que devrait connaître le sentiment de discrimination des descendants d’immigrés par rapport à celui des immigrés, au regard de l’évolution des profils sociodémographiques entre les générations, si l’effet des variables sociodémographiques était le même pour les deux populations. La composante dite « inexpliquée » n’est pas attribuable à l’évolution des caractéristiques entre les générations : elle illustre les différences de sensibilisation aux traitements inégalitaires entre les immigrés et les descendants d’immigrés, ainsi que les écarts de caractéristiques inobservées [Boutchenik et al., 2019].
Indicateurs d’altérisation
L’enquête Trajectoires et Origines 2 comporte des questions qui permettent de construire trois indicateurs donnant une mesure du sentiment d’être perçu comme différent ou étranger dans les interactions sociales :
- l’indicateur de « renvoi aux origines » correspond à la réponse « souvent » à la question « Dans la vie quotidienne, à quelle fréquence vous demande‑t‑on vos origines ? » ;
- l’indicateur de « déni de la qualité de Français » correspond aux réponses « plutôt pas d’accord » ou « pas du tout d’accord » à la proposition « On me voit comme un Français » ;
- enfin, l’indicateur « d’identité ethnoraciale » correspond aux réponses « votre nationalité », « vos origines » ou « votre couleur de peau » à la question « D’après vous, parmi les caractéristiques suivantes, quelles sont celles qui vous définissent le mieux ? », les enquêtés pouvant choisir jusqu’à 4 modalités parmi une liste de 14.
Définitions
Un descendant d’immigrés (de deuxième génération) est une personne née en France ayant au moins un parent immigré. L’enquête TeO distingue les personnes nées Outre-mer. Ainsi, dans cette publication, un descendant d’immigrés de deuxième génération est une personne née en France métropolitaine ayant au moins un parent immigré.
Un immigré est une personne née étrangère à l’étranger et résidant en France. L’origine d’un immigré est déterminée par son pays de naissance. Certains immigrés ont pu devenir Français, les autres restant étrangers. Un individu continue à être immigré même s’il acquiert la nationalité française.
L’altérisation est un phénomène par lequel un groupe est perçu comme différent, et est assigné à cette différence, en raison de caractéristiques spécifiques.
Un couple mixte est formé d’une personne née en France et d’une personne immigrée.
Pour en savoir plus
Boutechnik B., Coudin E., Maillard S., « Les méthodes de décomposition appliquées à l’analyse des inégalités », Documents de travail, no M2019/01, Insee, avril 2019.
Fairlie R. W., "Ouvrir dans un nouvel ongletAn Extension of the Blinder‑Oaxaca Decomposition Technique to Logit and Probit Models", Journal of economic and social measurement, vol. 30, pp. 305–316, 2005.
Lê J., Rouhban O., Tanneau P., Beauchemin C., Ichou M., Simon P., « En dix ans, le sentiment de discrimination augmente, porté par les femmes et le motif sexiste », Insee Première no 1911, juillet 2022.
Rouhban O., Tanneau P., « Une situation des descendants d’immigrés plus favorable que celle des immigrés »in Emploi, chômage, revenus du travail, coll. « Insee Références », édition 2024.
Safi M., « Ouvrir dans un nouvel ongletPenser l’intégration des immigrés : les enseignements de la sociologie américaine », Sociologie, 2011/2 (Vol. 2), p. 149‑164, 2011.
Safi M., Simon P., « Les discriminations ethniques et raciales dans l’enquête Trajectoires et Origines : représentations, expériences subjectives et situations vécues », Économie et Statistique no 464‑465‑466, p. 245‑275, avril 2014.
Schaeffer M., Kas J., "Ouvrir dans un nouvel ongletThe Integration Paradox: a review and Meta‑Analysis of the Complex Relationship Between Integration and Reports of Discrimination", International Migration Review, mai 2023.
Simon P., "Ouvrir dans un nouvel ongletContested citizenship in France: The Republican politics of identity and integration", in Cola A., Meunier S. and Tiberj V. (Ed.) Development in French Politics 5, Basingstocke, Palgrave McMillan, p. 203‑217, 2013.
Van Doorn M., Scheepers P., Dagevos J., "Ouvrir dans un nouvel ongletExplaining the Integration Paradox Among Small Immigrant Groups in the Netherlands", Int. Migration & Integration vol. 14, p. 381–400, 2013.
Dans la suite de cet éclairage, les personnes « non européennes » sont les personnes originaires d’Afrique et d’Asie, le faible nombre de répondants originaires d’Amérique ou d’Océanie ne permettant pas de mener des analyses détaillées sur ces continents.
Pour certaines caractéristiques socioéconomiques (comme la situation et la catégorie socioprofessionnelles, le niveau de diplôme, l’état de santé ou le lieu de résidence), la causalité peut jouer dans les deux sens : une personne sans emploi va rapporter davantage de discrimination, et symétriquement, le fait d’être au chômage peut s’expliquer par des expériences de discriminations à l’embauche. Les coefficients estimés associés à ces variables traduisent donc des corrélations et non des liens causaux.
Le quartier est appréhendé au niveau des ilots regroupés pour l’information statistique (Iris).
Dans la suite de cet éclairage, les personnes « non européennes » sont les personnes originaires d’Afrique et d’Asie, le faible nombre de répondants originaires d’Amérique ou d’Océanie ne permettant pas de mener des analyses détaillées sur ces continents.
Pour certaines caractéristiques socioéconomiques (comme la situation et la catégorie socioprofessionnelles, le niveau de diplôme, l’état de santé ou le lieu de résidence), la causalité peut jouer dans les deux sens : une personne sans emploi va rapporter davantage de discrimination, et symétriquement, le fait d’être au chômage peut s’expliquer par des expériences de discriminations à l’embauche. Les coefficients estimés associés à ces variables traduisent donc des corrélations et non des liens causaux.
Le quartier est appréhendé au niveau des ilots regroupés pour l’information statistique (Iris).