L’inflation reflue, la croissance hésite
 Note de conjoncture - juin 2023

 

Note de conjoncture
Paru le :Paru le15/06/2023
Note de conjoncture- Juin 2023
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Vue d'ensemble

Note de conjoncture

Paru le :15/06/2023

Jean-Philippe Cotis, ancien directeur général de l’Insee, vient de nous quitter. La Note de conjoncture faisait partie des publications qu’il affectionnait tout particulièrement. Il était très attaché à sa qualité analytique et à sa pertinence. Son exemple continue d’être une source d’inspiration.

Soutenues par la normalisation des conditions de production mais soumises au durcissement des conditions monétaires et financières, les principales économies mondiales évoluent en ordre dispersé

L’économie mondiale apparaît à la mi-2023 moins contrainte qu’il y a un an par les conséquences directes des chocs survenus ces dernières années (pandémie de Covid-19, guerre en Ukraine notamment). Les restrictions sanitaires ont ainsi été complètement levées en Chine. Les chaînes d’approvisionnement dans l’industrie sont désormais moins perturbées. Les cours de l’énergie et ceux de nombre de matières premières ont nettement reculé par rapport aux sommets atteints au printemps 2022.

Cette normalisation progressive des conditions de production n’est toutefois pas exempte d’interrogations et d’incertitudes. En Chine, le potentiel de rattrapage semble tempéré par des inquiétudes sur la demande et, déjà, des signes de ralentissement de la production. L’activité américaine perd quant à elle progressivement de son dynamisme. En Europe, la baisse des cours de l’énergie peut tarder à bénéficier à certaines entreprises, compte tenu d’engagements contractuels parfois fixés antérieurement. De même, les fluctuations des cours des matières premières peuvent mettre plusieurs trimestres avant de se répercuter aux prix de détail.

Les économies occidentales font donc face tout à la fois à une inflation qui reste relativement élevée (même si elle a amorcé un reflux, s’agissant en particulier de la composante énergétique) et aux premières conséquences des resserrements monétaires décidés par les banques centrales pour la juguler. L’inflation élevée pèse sur la consommation des ménages, tandis que les taux d’intérêt élevés pèsent sur l’investissement des entreprises comme des ménages. En particulier, le marché immobilier s’est récemment retourné dans nombre de pays occidentaux.

D’ici la fin de l’année 2023, l’activité économique au sein de la zone euro progresserait donc modestement, faute d’impulsion marquée de la demande intérieure. En moyenne annuelle, les contrastes entre les pays européens s’expliqueraient par plusieurs facteurs : les croissances espagnole et italienne bénéficieraient encore de leur potentiel de rattrapage en matière d’investissement, avec un fort soutien budgétaire européen. À l’inverse, l’activité allemande apparaît comme la plus exposée aux chocs qui ont affecté l’industrie. La croissance française se situerait quant à elle dans une position intermédiaire. De son côté, l’économie britannique resterait bridée tout à la fois par l’inflation élevée et par des problèmes d’approvisionnement.

Les signes d’un reflux de l’inflation commencent à se concrétiser

En mai 2023, pour la première fois depuis un an, le glissement annuel des prix à la consommation en France, à +5,1 %, est descendu de son plateau qui se situait autour de +6 %. Ce recul de l’inflation s’explique notamment par la baisse sur un an des prix des produits pétroliers, moins chers désormais qu’ils ne l’étaient juste après le déclenchement de la guerre en Ukraine (« effet de base »), mais aussi par le ralentissement des prix d’autres biens et services, y compris ceux de l’alimentation (qui augmentent tout de même de plus de 14 % sur un an, et de 19 % sur deux ans).

Cette inflexion vient concrétiser les signes avant-coureurs que l’on peut lire depuis quelques mois dans les indices des prix de production agricoles et industriels (prix en « sortie de ferme » ou « sortie d’usine ») tout comme dans les résultats des enquêtes de conjoncture auprès des entreprises. Par exemple, en avril 2023, l’indice des prix agricoles à la production se situe 7 % sous son niveau d’avril 2022 (mais tout de même 22 % au-dessus de celui d’il y a deux ans), reflétant les mouvements récents des cours mondiaux des matières premières agricoles. Ces mouvements se répercutent avec retard sur les prix à la production des industries agro-alimentaires (qui ont ralenti en avril, mais sans baisser) puis sur les prix à la consommation. Nos estimations suggèrent ainsi que les fluctuations des cours des matières premières agricoles se répercutent sur les prix de détail à hauteur d’environ 50 % au bout de trois trimestres, et de 80 % au bout d’un an.

Au cours du second semestre 2023 et sous réserve qu’ils suivent leurs déterminants habituels, les prix à la consommation des produits alimentaires pourraient nettement ralentir, sans toutefois forcément baisser en moyenne. Leur glissement annuel serait ainsi divisé par deux d’ici la fin de l’année où il se situerait alors entre +7 et +8 %. Les prix à la consommation des produits manufacturés ralentiraient également. Les services contribueraient en revanche de plus en plus à l’inflation d’ensemble, qui reviendrait à +4,4 % sur un an en décembre. L’inflation sous-jacente refluerait également (+4,1 % sur un an prévu en fin d’année).

Après un recul au premier semestre 2023, le pouvoir d’achat du revenu disponible brut (RDB) des ménages se stabiliserait au cours de la seconde moitié de l’année

Dans ce contexte, le dynamisme des salaires rattraperait progressivement, au fil de l’année, celui des prix à la consommation. En moyenne annuelle, le salaire moyen par tête (SMPT) dans les branches marchandes non agricoles progresserait ainsi de 5,1 %, soit un rythme proche de l’évolution annuelle prévue de l’indice des prix à la consommation (+5,0 %).

Après un nouveau recul prévu au deuxième trimestre 2023, le pouvoir d’achat du RDB des ménages se stabiliserait donc au second semestre, du fait notamment du ralentissement des prix et du relatif dynamisme des revenus d’activité. En moyenne sur l’ensemble de l’année 2023, le pouvoir d’achat serait en légère hausse (+0,5 % prévu). Mesuré par unité de consommation pour tenir compte des évolutions démographiques, il serait stable (0,0 % prévu en 2023), après une légère baisse (-0,4 %) en 2022.

Du côté des entreprises, le dynamisme du salaire par tête dans un contexte de ralentissement des prix pèserait globalement sur l’évolution du taux de marge des sociétés non financières (SNF). Mais, en sens inverse, celui-ci serait soutenu par les termes de l’échange intérieur, compte tenu de prix de la valeur ajoutée qui redeviendraient plus dynamiques que les prix de la consommation. Au total, le taux de marge des SNF serait donc quasi stable au second semestre 2023, à environ 32 %.

La croissance française resterait hésitante

Depuis plusieurs mois, le climat conjoncturel en France s’érode, selon les enquêtes de conjoncture auprès des entreprises. Les dernières données disponibles, relatives au mois de mai 2023, montrent une accentuation de cette tendance, dans tous les secteurs et en particulier le commerce de gros. L’indicateur de climat des affaires en France a ainsi rejoint sa moyenne de longue période. Cet assombrissement reflète notamment des inquiétudes un peu plus marquées s’agissant de la demande. L’indicateur de confiance des ménages dans la situation économique reste d’ailleurs très dégradé : il ne s’est jamais vraiment redressé depuis le printemps 2022.

La croissance du PIB français resterait donc modeste au cours des prochains trimestres (+0,1 % prévu au deuxième trimestre 2023, +0,1 % au troisième, et +0,2 % au quatrième). Il s’agirait peu ou prou du rythme moyen observé depuis le début 2022, date du retour à la normale post-Covid. En moyenne annuelle, la croissance s’élèverait à +0,6 % en 2023, après +2,5 % en 2022.

Parmi les principaux postes de la demande, la consommation des ménages fléchirait au printemps du fait d’un nouveau repli de la consommation alimentaire, puis ne se redresserait que légèrement au second semestre. L’investissement des entreprises rebondirait ponctuellement au deuxième trimestre, à la faveur notamment du renouvellement des flottes de véhicules professionnels, puis il marquerait le pas, l’investissement en construction poursuivant son recul dans un contexte de taux d’intérêt élevés. Ce contexte pèserait également sur l’investissement des ménages qui poursuivrait une baisse marquée. Enfin, les exportations apporteraient un peu de soutien au printemps puis à l’automne, du fait notamment de livraisons aéronautiques et navales, tandis que les importations resteraient peu dynamiques, dans le sillage de la demande intérieure.

Parmi les principaux secteurs, l’activité de l’industrie manufacturière pourrait fléchir au deuxième trimestre, pénalisée par les branches les plus énergo-intensives et par la cokéfaction-raffinage, puis elle se stabiliserait à partir de l’été. La production d’énergie, en particulier d’électricité, poursuivrait quant à elle son rattrapage. La croissance serait modérée au sein des services marchands. Enfin, l’activité resterait orientée à la baisse dans la construction.

Le taux de chômage demeurerait stable d’ici la fin de l’année

En dépit d’une croissance relativement faible, le dynamisme de l’emploi ne s’est pas démenti au premier trimestre 2023, contribuant à renforcer les interrogations sur l’évolution de la productivité. L’emploi salarié pourrait toutefois ralentir d’ici la fin de l’année, sur fond de progression modeste de l’activité économique. Au total, fin 2023, le nombre net d’emplois créés sur un an atteindrait 175 000, contre 445 000 fin 2022.

La population active augmenterait également plus modérément en 2023 qu’en 2022, compte tenu d’une dynamique moins soutenue des contrats en alternance et malgré les premiers effets de la réforme des retraites à partir de septembre. Le ralentissement conjoint de l’emploi et de la population active conduirait à une stabilité du taux de chômage (à 7,1 % de la population active) jusqu’à la fin de l’année 2023.

Les aléas de la prévision portent tant sur les comportements des agents économiques en France que sur l’environnement international

Cette prévision demeure entourée d’incertitudes, tant nationales qu’internationales. Les évolutions des prix à la consommation, en particulier alimentaires, dépendent ainsi en partie du comportement de marges des industries agro-alimentaires et des distributeurs, et des résultats des renégociations commerciales. Les prévisions de consommation présentées dans cette Note supposent par ailleurs un taux d’épargne des ménages restant autour de 18 %, nettement supérieur à son niveau d’avant-crise (15 %). Une éventuelle baisse de ce taux serait de nature à soutenir la consommation. Enfin, la chronique du resserrement monétaire ainsi que sa vitesse de transmission à l’économie réelle restent incertaines dans les pays occidentaux, tandis que les interrogations persistent sur le rythme à venir de la croissance chinoise.