Insee Analyses Ile-de-France · Mai 2023 · n° 170

Illectronisme en Île-de-France : 1,3 million de personnes en difficulté face au numérique

À l’heure de la dématérialisation, de plus en plus de démarches de la vie courante s’effectuent sur Internet, comme la recherche d’emploi ou des démarches administratives par exemple. Si cette dématérialisation peut permettre la simplification de nombreux procédés, elle n’en constitue pas moins une réelle contrainte pour les personnes rencontrant des difficultés avec les outils numériques et en particulier celles se trouvant en situation d’illectronisme.

Les formations techniques des demandeurs d’emploi visant à améliorer leur insertion dans le marché du travail et la mise à disposition de services d’assistance à l’utilisation du numérique dans les maisons France Services sont autant d’initiatives qui permettent de réduire la fracture numérique et de répondre aux enjeux d’égalité d’accès aux droits et d’insertion sociale que pose le phénomène de l’illectronisme.

En 2019, près de 1,3 million de Franciliens âgés de 15 ans ou plus sont en situation d’illectronisme. Il s’agit de personnes qui ne disposent d’aucune des quatre compétences du numérique ou qui n’ont pas utilisé Internet depuis moins d’un an. Elles représentent 12 % de la population de 15 ans ou plus en Île-de-France, soit le taux le plus faible de toutes les régions de France métropolitaine (17 % en moyenne).

En particulier, l’Île-de-France est la région comportant le plus de personnes dont la maîtrise du numérique est forte (encadré). En outre, dans la région capitale, 81 % de la population dispose d’un équipement permettant d’accéder à Internet et huit personnes sur dix y accèdent effectivement tous les jours.

De manière générale, les situations d’illectronisme sont d’autant plus fréquentes que les personnes appartiennent à des générations anciennes. Ainsi, 67 % des Franciliens nés avant 1940 et 36 % de ceux nés entre 1940 et 1949 sont en situation d’illectronisme (figure 1). De fait, l’équipement en ordinateurs a commencé à se diffuser dans la population au cours des années 1990 et l’accès à Internet s’est fortement développé à partir des années 2000 [Gleizes et al., 2019 ; pour en savoir plus (4)]. Les plus jeunes générations ont donc pu davantage se familiariser avec ces nouvelles technologies, que ce soit durant leurs études ou leurs carrières professionnelles. Ainsi, les générations nées à partir de 1960 sont très peu touchées par l’illectronisme : seulement 8 % des personnes nées entre 1960 et 1974 et 2 % de celles nées entre 1975 et 1989 sont concernées.

Les Franciliens les plus jeunes (nés entre 1990 et 2004) se distinguent non seulement par la rareté des situations d’illectronisme (moins de 4 %) mais aussi par leur grande maîtrise des outils informatiques, jugée forte pour 65 % d’entre eux.

Le niveau de compétences dans le numérique peut également être relié à la détention d’un diplôme. Les titulaires du baccalauréat ou d’un diplôme d’études supérieures sont en effet quatre fois moins souvent en situation d’illectronisme (5 %) que ceux qui n’en disposent pas (23 %) (figure 2). Ce constat se retrouve quelles que soient les générations. Il contribue à expliquer l’avantage comparatif des générations plus jeunes, lesquelles ont bénéficié de la massification de l’accès aux études supérieures et donc de l’allongement de la durée de leurs études, suivant de plus en plus des formations intégrant le numérique.

Les compétences numériques sont particulièrement fragiles chez les personnes éloignées du marché du travail. Les inactifs, ni retraités ni étudiants, sont proportionnellement cinq fois plus nombreux en situation d’illectronisme (21 %) que les actifs. Parmi la population active, les personnes en emploi sont deux fois moins concernées (4 %) que celles au chômage (9 %). Ces dernières rencontrent sans doute des difficultés dans leurs démarches de recherche d’emploi, de même que dans l’accès à l’emploi. Pour pallier ces difficultés, les personnes sans activité professionnelle peuvent bénéficier du dispositif « Pass Numérique » financé par des acteurs publics et privés à hauteur de 100 euros pour suivre des formations du numérique de base auprès d’organismes labellisés.

Les différences dans la maîtrise des outils numériques s’observent également selon les catégories socioprofessionnelles, en lien avec les emplois nécessitant plus ou moins l’usage de ces outils. En particulier, les cadres et professions intermédiaires sont six fois moins souvent en situation d’illectronisme (2 %) que les ouvriers (12 %). Ces différences sont particulièrement marquées pour les générations nées entre 1960 et 1974 qui étaient déjà arrivées dans la vie active au moment du premier essor des technologies du numérique. Les cadres et professions intermédiaires de ces générations sont globalement peu touchés (2,4 % et 3,5 %). Cela peut probablement être relié au fait qu’elles occupent majoritairement un emploi de bureau, qui nécessite une maîtrise a minima du numérique, pour lequel elles ont pu recevoir une formation dans le cadre professionnel. Par contre, dans ces générations, un ouvrier sur cinq et un inactif sur quatre sont en situation d’illectronisme.

Pour les générations nées à partir de 1975, du fait du fort développement et de la démocratisation des outils du numérique à partir des années 1990, le taux d’illectronisme est relativement faible quelle que soit la catégorie socioprofessionnelle (2 % en moyenne). Ainsi, les personnes nées entre 1975 et 1989 présentent un taux d’illectronisme de 0,5 % pour les cadres, de 4,8 % pour les ouvriers et de 6,2 % pour les inactifs.

Au sein des générations nées entre 1990 et 2004, des différences apparaissent : les plus jeunes, notamment dans la période lycéenne, sont deux fois plus nombreux que leurs aînés, en proportion, à n’avoir aucune compétence de base du numérique : 6,5 % des 15-18 ans contre 3 % des 19-29 ans sont en situation d’illectronisme. Ces écarts devraient se résorber au fur et à mesure que les plus jeunes avancent dans leurs parcours scolaires et universitaires, ou s’insèrent sur le marché de l’emploi. Toutefois, pour certains, les lacunes pourraient ne pas être comblées et, dans ce cas, l’illectronisme demeurerait un frein à l’accès à l’emploi. En 2019, 7,2 % des Franciliens âgés de 15 à 29 ans ni en emploi, ni en études ou en formation (les NEETs) sont touchés par l’illectronisme et se trouvent ainsi en situation de vulnérabilité.

Les générations nées entre 1950 et 1959 sont constituées pour un quart d’actifs et pour deux tiers de retraités. En moyenne, 20 % de ces personnes âgées de 60 à 69 ans sont touchées par l’illectronisme. En particulier, les chômeurs (26 % en situation d’illectronisme) et les inactifs non retraités (38 %), apparaissent comme des populations davantage concernées et, en ce sens, plus fragiles.

Enfin, l’illectronisme affecte fortement les générations les plus âgées, constituées quasi exclusivement de retraités. En 2019, un Francilien sur trois âgés de 70 à 79 ans, et deux sur trois parmi ceux âgés de 80 ans ou plus, sont en situation d’illectronisme. À ces âges, les Franciliens ont les plus faibles taux d’utilisation quotidienne d’Internet et d’équipement connecté parmi toutes les générations. En l’absence d’aide extérieure, ils se retrouvent potentiellement en situation difficile, notamment pour effectuer des démarches administratives.

En mars 2022, la région compte 307 structures d’accueil avec 487 conseillers numériques France Services (CNFS) pouvant accompagner le public dans leurs démarches administratives. Les conseillers seront, à terme, intégrés dans un dispositif de certification plus large appelé « Aidants Connect » impliquant divers aidants professionnels comme des travailleurs sociaux, médiateurs du numérique…

La proportion de personnes éloignées du numérique varie selon les territoires de l’Île-de-France. Les personnes en situation d’illectronisme sont plus présentes d’une part en Seine-Saint-Denis (15 %), en particulier au nord du département et sur le plateau de Roissy, et d’autre part à l’ouest de la région dans les Yvelines et les Hauts-de-Seine (13 % chacun) (figure 3). Toutefois, les profils des personnes concernées diffèrent entre ces territoires. Dans le premier cas, les personnes en situation d’illectronisme sont essentiellement des personnes moins diplômées et moins actives. Dans le second cas, ce sont plutôt des personnes âgées.

À l’opposé, en Seine-et-Marne, l’illectronisme est moins fréquent : il ne touche qu’à peine une personne sur dix (9,5 %). La situation de ce département est cependant contrastée : au centre, où les territoires sont les plus urbains et hébergent en grande partie des actifs et relativement peu de personnes âgées, les taux d’illectronisme sont faibles ; à l’est, les taux sont plus élevés, notamment en périphérie excentrée et rurale où vit une population moins diplômée, plus âgée, et où la couverture réseau et l’éligibilité au très haut débit sont moindres qu’ailleurs dans la région.