Insee Analyses Grand Est ·
Septembre 2022 · n° 146Depuis 1980, 40 % des communes du Grand Est ont perdu leurs derniers services de proximité
En 40 ans, de nombreux petits commerces ont disparu et de nombreuses classes d’écoles primaires ont été regroupées, dans le Grand Est comme en France. En revanche, les services de santé de proximité ont mieux résisté.
Dans le Grand Est, deux communes sur cinq ont perdu des services du quotidien, davantage encore dans le centre de la région. En 2021, quatre communes sur cinq sont dépourvues d’un minimum d’équipements.
Cette évolution est liée à l’essor de l’automobile et à la métropolisation des emplois.
- Commerce alimentaire : le modèle du grand magasin incompatible avec la proximité
- Désertification scolaire des communes de 100 à 300 habitants
- Vieillissement, périurbanisation et numérisation font évoluer les équipements
- En 40 ans, 670 000 habitants ont perdu le dernier équipement de leur commune
- La raréfaction de l’offre de services de proximité n’épargne aucun territoire
- Encadré - Essor de la voiture : la clé de la polarisation des emplois et des services
La facilité de déplacement que permet la voiture a bouleversé le maillage territorial des équipements ces quatre dernières décennies. Une analyse de la répartition d’une quinzaine de ces services de proximité est possible sur 40 ans (Sources et pour comprendre).
Commerce alimentaire : le modèle du grand magasin incompatible avec la proximité
La généralisation de l’automobile a redéfini le commerce alimentaire généraliste (encadré). Depuis 1980, le nombre de communes avec une épicerie ou une supérette a été divisé par 3,7 dans le Grand Est, pendant que le nombre de supermarchés ou d’hypermarchés a été multiplié par 2,2. Ces derniers captent une zone de chalandise plus grande, si bien que le nombre de communes qui disposent d’un commerce d’alimentation générale a diminué de 61 % entre 1980 et 2021 (figure 1).
tableauFigure 1 – Nombre de communes dans le Grand Est selon le type d’équipement dont elles disposent depuis 1980
1980 | 1988 | 1998 | 2008 | 2016 | 2021 | |
---|---|---|---|---|---|---|
Au moins un commerce d'alimentation générale | 2 250 | 1 799 | 1 330 | 966 | nc | 884 |
Dont épicerie ou supérette | 2 242 | 1 767 | 1 231 | 760 | nc | 604 |
Dont super ou hypermarché | 251 | 341 | 399 | 474 | nc | 543 |
Au moins un commerce alimentaire | 2 596 | 2 219 | 1 896 | 1 755 | nc | 1 627 |
Dont boulangerie | 1 784 | 1 696 | 1 563 | 1 475 | 1 422 | 1 373 |
Dont boucherie | 1 298 | 1 197 | 932 | 764 | nc | 607 |
Au moins un équipement de santé de proximité | 1 192 | 1 343 | 1 418 | 1 352 | nc | 1 431 |
Dont médecin généraliste | 866 | 1 089 | 1 142 | 1 081 | 1 034 | 968 |
Dont chirurgien-dentiste | 591 | 706 | 732 | 709 | 701 | 680 |
Dont masseur-kinésithérapeute | 527 | 629 | 697 | 760 | 901 | 966 |
Dont infirmier | 929 | 996 | 1 062 | 961 | 1 171 | 1 195 |
Dont pharmacie | 681 | 757 | 785 | 790 | nc | 786 |
Au moins une présence scolaire | 3 979 | 3 546 | 3 153 | 2 937 | nc | 2 388 |
Dont école élémentaire complète (classe de maternelle non exigée) | 2 866 | 2 504 | 2 498 | 1 747 | nc | 1 625 |
Dont classe de regroupement pédagogique intercommunal (RPI) sans école complète | 1 113 | 1 042 | 655 | 1 190 | nc | 763 |
- nc : non comparable sur la période 2016-2021.
- Lecture : en 1980, 2 866 communes disposaient d'au moins une école élémentaire, et 1 113 de celles n'en disposant pas avaient une classe dans le cadre d'un regroupement intercommunal. Elles ne sont plus que 1 625 et 763 en 2021.
- Champ : 5 014 communes du Grand Est à découpage comparable entre 1980 et 2021.
- Source : Insee, Base permanente des équipements 2008-2021, Inventaires communaux 1980-1998.
Ce mouvement de concentration n’a épargné aucune zone. Entre 1980 et 2021, le nombre de communes pourvues d'un commerce d'alimentation a diminué de 49 % dans le Haut-Rhin, jusqu'à 73 % dans la Meuse. Ainsi, le seuil de population au-dessus duquel toutes les communes sont équipées d’un commerce alimentaire est passé de 2 500 à 6 300 habitants. En 1980, 98 % des communes de plus de 1 000 habitants en étaient équipées, alors qu’elles ne sont plus que 67 % en 2021. Pour les communes de 300 à 500 habitants, la fréquence chute de 54 % à 7 %.
Depuis 2008, 130 supérettes (commerce alimentaire de 120 à 400 m²) ont fermé dans le Grand Est, soit 80 communes supplémentaires dépourvues de commerce alimentaire. Néanmoins, les implantations d’épiceries (moins de 120 m²) ont augmenté, avec 190 magasins supplémentaires dans les villes.
Désertification scolaire des communes de 100 à 300 habitants
Au 19e siècle, la loi sur l’instruction primaire rendait obligatoire la présence d’une école primaire pour les communes de plus de 500 habitants. À partir de 1963, la création de la carte scolaire vise à regrouper les écoles de faibles effectifs. En 1980, la présence d’une école primaire complète était encore quasi systématique dans les communes de plus de 500 habitants et dans plus de la moitié des communes de plus de 200 habitants. En comptant les classes de regroupements pédagogiques intercommunaux (RPI), presque toutes les communes de plus de 200 habitants et deux tiers de celles entre 100 et 200 habitants bénéficiaient d’une présence scolaire.
Par la suite, la suppression des classes à plusieurs niveaux scolaires a favorisé les regroupements. Actuellement, l’offre s’oriente vers des pôles équipés de cantines, d’activités périscolaires, et même de garderies. Il en résulte que l’école primaire complète n’est désormais généralisée qu’au-dessus de 1 000 habitants. La présence scolaire est systématique (RPI inclus) à partir de 500 habitants et elle est majoritaire seulement au-dessus de 300 habitants.
Vieillissement, périurbanisation et numérisation font évoluer les équipements
Le nombre de communes avec un médecin généraliste a nettement augmenté entre 1980 et 1998 (+ 26 %). Ensuite, 200 communes ont perdu leur dernier médecin généraliste. La moitié de ces communes ont moins de 1 000 habitants. En revanche, une trentaine de communes ont accueilli un médecin généraliste. En 2021, le nombre de communes accueillant un médecin généraliste dans le Grand-Est reste supérieur de 12 % à son niveau de 1980, malgré une baisse dans la Meuse, la Haute-Marne et les Vosges.
Les autres services de santé ont renforcé leur présence territoriale, notamment les infirmiers et kinésithérapeutes. Le nombre de communes accueillant au moins un kinésithérapeute est équivalent au nombre de communes accueillant au moins un médecin généraliste. Dans le Grand Est, 130 communes disposent d’une maison de santé pluridisciplinaire. Ce mode d’organisation pourrait conduire à la concentration des équipements de santé.
Les coiffeurs, les vétérinaires et les crèches sont les services de proximité qui investissent le plus de nouveaux territoires. Au contraire, le nombre de magasins d’électronique, de librairies, de banques et de postes décline. Ce recul s’accélère depuis vingt ans avec l’apparition du commerce et des services en ligne.
En 40 ans, 670 000 habitants ont perdu le dernier équipement de leur commune
La population des communes ne disposant pas d’au moins un commerce alimentaire (a minima une boulangerie ou une boucherie), d’une classe d’école primaire et d’un service de santé (infirmier, kinésithérapeute, médecin, pharmacie ou dentiste), doit se rendre dans une autre commune pour ces besoins élémentaires. C’est le cas pour 78 % des communes du Grand Est, regroupant 22 % de la population, soit 1,2 million d’habitants. Ainsi, un tiers de la population du Grand Est habite dans une commune qui ne dispose pas à la fois d’un commerce alimentaire général, d’un médecin généraliste, et d’une école primaire complète.
Depuis 1980, la moitié des communes qui avaient au moins un de ces services de proximité (alimentaire, scolaire ou de santé) ont perdu leur dernier équipement. Cela concerne 670 000 habitants et deux communes sur cinq du Grand Est. La Meuse et sa bordure ouest, le sud de l’Aube et les environs du Parc naturel régional de Lorraine sont très touchés. Cette diminution du nombre de services de proximité s’est faite régulièrement au fil des quatre dernières décennies (figure 2).
tableauFigure 2 – Évolution du nombre d’équipements dans le Grand Est entre 1980 et 2021
Nombre d’équipements dans les 2 777 communes où leur nombre a diminué | |
---|---|
1980 | 100 |
1988 | 87,57 |
1998 | 76,82 |
2008 | 64,51 |
2021 | 54,53 |
- Les équipements étudiés ici sont les suivants : épicerie-supérette, super-hypermarché, boucherie, boulangerie, généraliste, dentiste, infirmier, kiné, pharmacie, école, classe de RPI, vétérinaire, coiffeur, librairie, magasin d'électronique, magasin vestimentaire.
- Lecture : dans le Grand Est, 2 777 communes ont perdu au moins un équipement de proximité entre 1980 et 2021. Pour 100 équipements présents en 1980, il n’y en avait que 55 en 2021.
- Champ : communes du Grand Est à découpage comparable depuis 1980.
- Source : Insee, Base permanente des équipements 2008-2021, Inventaires communaux 1980-1998.
graphiqueFigure 2 – Évolution du nombre d’équipements dans le Grand Est entre 1980 et 2021
La raréfaction de l’offre de services de proximité n’épargne aucun territoire
La taille de la population des communes ayant perdu leurs derniers services d’une catégorie de base a augmenté en moyenne de 14 % en quatre décennies, contre 36 % pour les autres communes.
Tous les départements sont touchés, en particulier la Meuse et la Haute-Marne, où l’accès aux équipements s’est le plus dégradé (figure 3). Suivent les Ardennes, l’Aube, la Marne (notamment en Argonne champenoise) et les Vosges. De manière générale, résider hors aire d’attraction des villes ou dans la couronne d’une petite aire (moins de 50 000 habitants) nécessite de composer avec une offre de services de proximité réduite.
graphiqueFigure 3 – Présence 2021 et évolution depuis 1980 des trois catégories d'équipements
Encadré - Essor de la voiture : la clé de la polarisation des emplois et des services
La démocratisation de la voiture individuelle a modifié le rapport aux distances. La répartition de l’habitat et de l’emploi en a été profondément remodelée. Le taux de motorisation des ménages se situe entre 82 % et 84 % depuis 2008. Il était de 72 % dans le Grand Est en 1982, et de 28 % en 1960. À partir de 1980, le kilométrage parcouru par l’ensemble des voitures particulières a doublé et le taux de ménages multimotorisés est passé de 16 % à 36 %. En zone périurbaine ou hors aire d’attraction des villes, 91 % des ménages sont désormais équipés, et 94 % dans les communes dépourvues de services de base. Ils ne sont que 75 % dans les pôles, alors que les écarts étaient faibles en 1982.
Parallèlement, la population a stagné dans les pôles urbains, dans les petites aires et dans les communes hors aires d’attraction des villes. Entre 1982 et 2019, elle a progressé de 22 % dans les couronnes des grandes aires (plus de 200 000 habitants), notamment autour de Strasbourg (+ 36 %). Les couronnes des grandes aires ont gagné 21 % d’emplois (environ + 50 % autour de Reims et de Strasbourg) et les pôles 4 %, pendant que les petites aires et l’espace éloigné en perdaient 14 %. Il en résulte une plus forte concentration de l’activité vers les pôles et les grandes aires relativement à celle de la population, si bien qu’en 2019 l’espace hors influence ne compte plus que 25 emplois pour 100 habitants au lieu de 29 en 1982.
La facilitation des déplacements et l’éloignement des emplois n’a pas dissuadé la population d’occuper l’espace rural. Dans certains cas, en Argonne et vers les sources de l’Aube notamment, l’éloignement des métropoles l’a emporté sur l’accélération des déplacements, et 36 communes supplémentaires sont sous le seuil de désertification (5 hab/km²) depuis 1982, portant leur total à 148. Leur nombre dans la région n’a cessé de progresser depuis 1876.
Pour comprendre
Évolution des équipements sur longue période
Depuis 2008, les équipements sont recensés annuellement par assemblage de sources administratives dans la BPE (Base permanente des équipements). Celles-ci peuvent être redéfinies ou enrichies (ajout récent des bibliothèques et des maisons de santé pluridisciplinaires). Les analyses sont fragiles à court terme. Les évolutions effectives ne sont pas immédiates (fermeture d’un commerce avant reprise et arrêt définitif).
Auparavant, les inventaires communaux, par enquête décennale auprès des mairies, répertoriaient la présence communale des équipements, sans préciser leur nombre et leur adresse. La définition d’une quinzaine d’équipements n’a pas changé depuis 1980, même si le mode de collecte est différent dans la BPE. Les évolutions entre 1998 et 2008 sont moins robustes que celles sur 40 ans.
Crèches, banques et postes ne peuvent être étudiées sur l’ensemble de la période, mais les tendances citées sont observées sur les années disponibles.
Entre 1980 et 2022, certaines communes ont fusionné ou ont été divisées. Les résultats énoncés utilisent le découpage communal 2022. Ils ne seraient pas modifiés par le découpage communal d’une autre date de la période considérée.
Sources
L’Inventaire communal (1982-1998) est une enquête menée auprès des mairies. Il consiste en un inventaire des équipements commerciaux et services à la population existant sur le territoire de la commune.
La Base permanente des équipements (BPE) est une base à vocation statistique. Elle répertorie un large éventail d'équipements et de services, marchands ou non, accessibles au public sur l'ensemble de la France au 1ᵉʳ janvier de chaque année.
La BPE est construite à partir de sources administratives diverses. Elle rassemble des données sur des points d'accès aux services destinés à la population, ou « équipements », localisés à des niveaux géographiques fins : communes, territoires infra-communaux (Iris) et coordonnées (x,y) pour la plupart des types d'équipement.
Définitions
Un équipement est un service, marchand ou non, accessible à la population. Ce peut être un aménagement (zone de baignade aménagée, espace remarquable, patrimoine), une infrastructure (gymnase, piscine, gare, etc.) ou un service (commerce, banque, tribunal, etc.). Il est répertorié dans la Base permanente des équipements (BPE) au 1ᵉʳ janvier de chaque année.
Le plus souvent, c’est l’établissement qui est identifié, mais l’équipement peut aussi désigner le service rendu au sein d’un établissement (par exemple, un service de maternité peut être rendu dans un établissement autonome ou dans un établissement pluridisciplinaire).
Les équipements sont regroupés dans des catégories appelées types d'équipement. Les types d'équipement sont regroupés en 7 domaines : les services aux particuliers ; les commerces ; l'enseignement ; la santé et le social ; les transports et déplacements ; les sports, les loisirs et la culture ; le tourisme.
La nomenclature des types d’équipement est actualisée chaque année.
Taux de motorisation : pourcentage de ménages disposant au moins d’une voiture. À partir de deux véhicules, le ménage est dit multimotorisé.
L’aire d’attraction d’une ville désigne un ensemble de communes, d’un seul tenant et sans enclave, constitué d’un pôle de population et d’emploi, et d’une couronne qui regroupe les communes dont au moins 15 % des actifs travaillent dans le pôle.
La périurbanisation correspond à l’extension des surfaces artificialisées en périphéries des agglomérations urbaines. La périurbanisation est un processus dont l'espace périurbain est la conséquence spatiale.
Pour en savoir plus
Gleizes F., Legleye S., Pla A., « Ordinateur et accès à Internet : les inégalités d’équipement persistent selon le niveau de vie », Insee Focus n° 226, février 2021.
Auger E., Mironova E., Villaume S., « En cinq ans, l’implantation de services évolue plus défavorablement que la moyenne régionale dans 85 intercommunalités, souvent rurales », Insee Analyses Grand Est n° 81, octobre 2018.
Barbier M., Toutin G., Levy D., « L’accès aux services, une question de densité des territoires », Insee Première n° 1579, janvier 2016.
Josef W. J. C., « Ouvrir dans un nouvel ongletL’évolution de l’équipement des ménages depuis 1959 », Willy J.C. Josef, Consommation, octobre 1964.
Collet R., Madre J.-L., Hivert L, « Diffusion de l’automobile en France : vers quels plafonds pour la motorisation et l’usage ? », in Économie et statistique, n° 457-458, juillet 2013.