Insee Analyses Auvergne-Rhône-Alpes · Mai 2022 · n° 144

Accès aux équipements culturels : des livres à portée de main, des scènes éloignées des populations rurales

Comme d’autres secteurs économiques, le monde de la culture a été fortement affecté par la crise sanitaire liée à la pandémie de Covid-19 et ses restrictions. Déjà en forte mutation avec le numérique et les changements de comportements associés (encadré 1), les acteurs du secteur doivent se réinventer. La population montre son lien à la culture, à travers, par exemple, le succès des Journées européennes du patrimoine ou récemment par le débat sur les commerces essentiels, soulevé par le réseau des libraires pendant les confinements.

La culture est un atout important en matière d’attractivité des territoires et de développement économique et touristique. Elle joue également un rôle de lien social et de cohésion sociale. Appréhender l’accès aux équipements culturels, au cœur des politiques culturelles de diffusion et de démocratisation de la culture, permet de mettre en lumière des inégalités entre les territoires. Dès lors, il est important de comprendre comment se répartissent les équipements culturels dans la région et d’analyser quels sont les territoires et les populations qui y ont accès.

En 2020, Auvergne-Rhône-Alpes rassemble 5 265 équipements culturels, soit 15 % des équipements culturels de France métropolitaine. C’est la deuxième région la mieux dotée, derrière l’Île-de-France. Ce ratio est légèrement supérieur à son poids dans la population métropolitaine (12 %). Les équipements culturels peuvent être regroupés en quatre domaines : le secteur du livre (bibliothèques et librairies), les cinémas, le spectacle vivant et son apprentissage (équipements de musique et de danse, théâtres, conservatoires) et enfin les lieux de visite (lieux d’exposition et de patrimoine, jardins remarquables).

Au-delà des équipements culturels, la région dispose d’un riche patrimoine : parcs nationaux, sites inscrits au Patrimoine mondial de l’Unesco tels que la Grotte ornée du Pont d’Arc en Ardèche ou la Chaîne des Puys…

Avec près de 2 700 bibliothèques et 1 900 librairies, boutiques de presse et papeteries, le secteur du livre représente 87 % des équipements culturels de la région (figure 1) (84 % en métropole).

Les bibliothèques s’entendent comme des points d’accès au livre, et regroupent les médiathèques, les bibliothèques, les points de lecture. À elles seules, elles représentent plus de la moitié des équipements culturels régionaux (51 % contre 43 % en France métropolitaine). Quand les communes n’ont qu’un seul équipement culturel, c’est quasiment toujours une bibliothèque.

Elles sont importantes dans les politiques culturelles locales (encadré 2) : la région compte plus de 4 000 communes et offre le plus grand nombre de bibliothèques de France. Près de 2 500 communes d’Auvergne-Rhône-Alpes accueillent une bibliothèque, soit 61 % des communes. C’est beaucoup plus qu’au niveau national (40 %). Les bibliothèques sont toutefois comptabilisées sans tenir compte de leur surface et donc de la richesse de leur offre. Grâce à ce maillage, près de 90 % des habitants de la région bénéficient d’une bibliothèque dans leur commune, malgré son étendue géographique et les contraintes liées au relief. C’est plus que la moyenne métropolitaine (85 %) et proche du niveau de Provence-Alpes-Côte d’Azur ou de l’Île-de-France. La part de la population ayant une bibliothèque dans sa commune baisse à 70 % dans le Grand Est, en Bourgogne-Franche-Comté ou en Normandie et à 50 % en Corse. Parmi les équipements de proximité, il y a ainsi davantage de communes dotées d’une bibliothèque que de communes dotées d’une boulangerie ou d’un bureau de poste (environ 1 900).

Seuls commerces culturels de l’étude, les 1 900 librairies, boutiques de presse et papeteries d’Auvergne-Rhône-Alpes représentent la deuxième plus grande offre après celle de l’Île-de-France. Deux habitants de la région sur trois ont une librairie dans leur commune, comme au plan national.

Les cinémas sont majoritaires parmi les autres équipements culturels avec 300 établissements et 800 salles. Le nombre moyen de salles par cinéma est légèrement inférieur à la moyenne nationale (2,7 contre 3,1). Près de la moitié de la population (45 %) profite de ce service dans sa commune, un peu moins qu’au niveau national (48 %). La production et la création en faveur du cinéma, de l’audiovisuel et des arts numériques sont également importantes dans la région (Pôle Pixel à Villeurbanne, Cité de l’image en mouvement à Annecy, Festival du court métrage à Clermont-Ferrand…).

Avec près de 200 équipements, le spectacle vivant et son apprentissage représente près de 5 % des équipements culturels, comme au niveau national. Les théâtres sont les plus nombreux (environ 100), loin devant les conservatoires (environ 60) et le secteur de la musique et de la danse, qui regroupe une vingtaine de centres chorégraphiques, opéras ou zéniths. Environ 30 % des habitants disposent d’un théâtre ou d’un conservatoire dans leur commune, mais seulement 17 % d’un établissement du secteur de la musique et de la danse.

Enfin, les lieux d’exposition et de patrimoine représentent 3 % des équipements culturels de la région (contre 33 % en moyenne nationale). Un quart de la population régionale en bénéficie dans sa commune. Le Musée des Confluences à Lyon, le Palais Idéal du Facteur Cheval dans la Drôme, le Château de Murol dans le Puy-de-Dôme ou encore le Musée-Château d’Annecy figurent parmi les sites les plus visités de la région en 2019. Par ailleurs, 5 % des habitants vivent dans une commune dotée d’un jardin remarquable (contre 15 % au plan national). Les lieux d’exposition et de patrimoine regroupent les musées, les centres d’art contemporain, les monuments nationaux, etc. Les jardins remarquables sont des jardins et des parcs, présentant un intérêt culturel, esthétique, historique ou botanique (Parc de la Tête d’Or à Lyon, jardin botanique de Saint-Chamond, vergers à Anglards-de-Salers, Arboretum de Balaine à Villeneuve-sur-Allier…).

Lyon est la seule commune de la région qui offre les huit types d’équipements culturels (figure 2). Dans d’autres régions, plusieurs communes proposent une offre complète (cinq en Occitanie, quatre en Provence-Alpes-Côte d’Azur et dans le Grand Est). Les autres communes de la Métropole de Lyon complètent l’offre et, dans son ensemble, la Métropole accueille 10 % des équipements culturels de la région, 32 % des théâtres et 35 % des équipements de musique et de danse. Hormis Lyon, huit communes de la région ont un panier d’au moins sept types d’équipements culturels (Bourg-en-Bresse, Montluçon, Romans-sur-Isère, Bourgoin-Jallieu, Grenoble, Saint-Étienne, Clermont-Ferrand et Annecy) ce qui représente 1,3 million d’habitants.

Les communes urbaines de la région concentrent les équipements, d’autant plus quand il s’agit d’équipements « rares ». Les bibliothèques, librairies, lieux d’exposition et cinémas sont bien implantés dans les communes rurales mais les équipements du spectacle vivant en sont quasiment absents.

Les bibliothèques, équipements culturels de proximité par excellence, sont présentes sur l’ensemble du territoire de la région. Ainsi, 95 % de la population urbaine dispose d’une bibliothèque dans sa commune et 78 % de la population rurale (figure 3). Les librairies sont moins bien réparties sur le territoire régional : 80 % des habitants des zones urbaines résident dans une commune équipée, mais 28 % dans le rural. Enfin, si les cinémas restent un peu présents en milieu rural, les autres équipements en sont presque absents. Dans l’urbain, 60 % des habitants bénéficient d’un cinéma dans leur commune, contre 11 % dans le rural. 50 % de la population urbaine dispose d’un théâtre, 25 % d’un équipement de musique ou de danse, alors que ces équipements sont quasi absents du rural. Moins de 5 % de la population rurale bénéficie d’un lieu d’exposition dans sa commune, et moins d’1 % pour les autres équipements.

Pour les populations vivant dans les territoires les plus isolés et les moins équipés, se pose alors la question des temps d’accès à ces différents équipements culturels.

Certains équipements culturels sont moins présents dans les zones rurales sous influence d’un pôle urbain que dans le rural autonome. Dans ce dernier, 18 % de la population dispose d’un cinéma dans sa commune, trois fois plus que dans le rural sous influence urbaine. Plus du tiers de la population des territoires ruraux autonomes accède à une librairie dans sa commune, contre un quart dans les territoires sous influence urbaine. Si peu d’habitants des zones rurales ont des lieux d’exposition dans leur commune, ceux du rural autonome sont cependant plus nombreux à en bénéficier que ceux du rural sous influence urbaine (6 % contre 2 %). En effet, les habitants du rural sous influence urbaine peuvent accéder plus facilement à des équipements des pôles urbains à proximité que ceux des zones rurales plus éloignées.

En raison de la concentration de sa population sur ses trois principales communes (Montluçon, Moulins et Vichy), l’Allier se démarque des autres départements les plus ruraux. Si 30 % des habitants de ces départements ont un cinéma dans leur commune, les situations sont diverses pour les autres équipements : 30 % des habitants de l’Allier profitent d’un théâtre dans leur commune alors qu’ils ne sont que 22 % dans le Cantal, 15 % dans l’Ain et environ 10 % en Haute-Loire ou en Ardèche. Un quart des Bourbonnais bénéficient d’un conservatoire ou d’un lieu d’exposition contre moins de 10 % des Altiligériens.

Malgré une forte présence des bibliothèques sur le territoire, 9 % des habitants d’Auvergne-Rhône-Alpes n’ont aucun équipement culturel dans leur commune. C’est un peu en dessous de la moyenne nationale (12 %). Seules quatre autres régions sont sous le seuil des 10 % (Pays de la Loire, Bretagne, Île-de-France et Provence-Alpes-Côte d’Azur). Dans le milieu rural, 20 % des habitants n’ont aucun lieu culturel dans leur commune, alors qu’à peine 3 % des urbains sont dans ce cas.

La majorité des départements de la région sont proches de la moyenne régionale ; seuls le Cantal, la Drôme et l’Ain se situent nettement au-dessus, avec près de 15 % de leur population qui ne bénéficie d’aucun équipement culturel dans sa commune.

Les communes de l’est de la Drôme (Baronnies) sont souvent dépourvues d’équipements culturels, alors que plusieurs communes de la vallée du Rhône, plus urbanisées, proposent au moins six types d’équipements. En Haute-Loire, seulement 5 % de la population ne bénéficie d’aucun équipement culturel dans sa commune mais, contrairement à la Drôme, les habitants sont éloignés de pôles culturels proposant au moins six types d’équipements.

Les habitants des territoires peu équipés accèdent aux équipements culturels des zones urbaines, avec des temps de trajets plus ou moins longs selon les territoires et les types d’équipements.

Un habitant d’Auvergne-Rhône-Alpes met en moyenne un peu moins de 15 minutes pour se rendre sur un lieu de culture, tous types d’équipements confondus. Ce temps de trajet est proche de la moyenne nationale.

En milieu urbain, la population accède en 10 minutes en moyenne à un lieu culturel quand il faut près de 20 minutes à la population rurale sous influence d’un pôle et plus de 25 minutes à celle d’une zone rurale autonome (figure 4). Majoritairement urbains, les habitants du Rhône ont les temps de trajets moyens les plus courts (8 minutes) et ceux de la Haute-Loire et du Cantal, départements plus ruraux, les plus longs (22 et 30 minutes). Les autres départements sont proches de la moyenne.

L’implantation des bibliothèques et des librairies sur le territoire réduit considérablement les temps d’accès. La population régionale met en moyenne 3 minutes pour aller emprunter un livre. C’est légèrement supérieur à l’Île-de-France mais c’est le même temps qu’au niveau national. Avec un temps de trajet moyen de 4 minutes, les populations rurales dépassent légèrement le temps moyen de la région mais les temps restent inférieurs à 5 minutes dans l’ensemble des départements. Les habitants des zones urbaines mettent par ailleurs 3 minutes en moyenne pour acheter un livre ou leurs périodiques de presse quand les temps sont allongés dans les territoires ruraux (8 minutes). Cependant, ces commerces restent accessibles en moins de 15 minutes pour 97 % des habitants de la région.

Avec un temps d’accès moyen égal à celui enregistré au plan national (8 minutes), les cinémas restent accessibles. Les usagers des zones urbaines mettent moins longtemps (5 minutes) que ceux du rural (un peu moins d’un quart d’heure), que ce soit dans les zones autonomes ou sous influence urbaine. En accueillant 60 % des salles de cinéma et quatre festivals de films de renom (Festival Lumières, d’Avoriaz, de l’Alpe d’Huez ou d’Annecy), le Rhône ainsi que les trois départements alpins offrent une large place aux salles obscures. Les Isérois mettent en moyenne 8 minutes pour s’y rendre quand il faut 7 minutes aux Savoyards et aux Hauts-Savoyards et 5 minutes aux Rhodaniens. En montagne, ces salles facilitent l’accès au cinéma, malgré le relief et des périodes d’ouverture restreintes, notamment dans les stations de ski. Les temps d’accès sont plus élevés dans l’Allier, le Puy-de-Dôme et le Cantal (respectivement 11, 12 et 14 minutes).

L’implantation très urbaine des autres types d’équipements allonge considérablement les temps de trajets moyens. Plus les équipements sont rares, plus les temps de trajet par type d’équipement sont importants. Les habitants de la région mettent en moyenne 30 minutes pour se rendre dans un établissement du secteur de la musique ou de la danse et 14 minutes pour se rendre dans un lieu d’exposition ou de patrimoine.

De surcroît, plus les équipements sont rares, plus les différences sont marquées entre les territoires. Que ce soit pour les scènes, les conservatoires, ou les monuments, les urbains mettent nettement moins de temps que les populations rurales pour s’y rendre. Si, pour les lieux d’exposition et de patrimoine, les différences de temps restent faibles entre rural autonome et rural sous influence d’un pôle (respectivement 22 et 18 minutes), les écarts se creusent pour le reste des équipements. Les conservatoires par exemple sont accessibles en 35 minutes pour le premier mais en 20 minutes pour le second. Les Rhodaniens se rendent en 15 minutes sur un lieu de musique ou de danse, les Savoyards et les Ardéchois en 50 minutes et les Cantaliens en un peu moins de 90 minutes.

Ces inégalités territoriales d’accès à la culture rendent souvent nécessaire l’usage de la voiture. Mais elles ne sauraient faire oublier qu’il existe également un enjeu de lutte contre les inégalités sociales pour favoriser l’accès à la culture pour tous les habitants, quelle que soit la distance à parcourir pour y accéder.

Le temps d’accès théorique à l’équipement le plus proche par commune est calculé à l’aide du distancier Métric, développé par l’Insee. Pour les communes non équipées, le temps d’accès correspond à l’aller simple entre le chef-lieu et celui de la commune équipée. Pour les communes équipées, le territoire communal est découpé en carreaux de 200 mètres, et la distance est calculée entre chaque carreau et l’équipement géolocalisé le plus proche.