Insee FocusEstimation avancée du taux de pauvreté et des indicateurs d’inégalités Résultats expérimentaux pour 2016

Kevin Schmitt et Michaël Sicsic, division Études sociales, Insee

L’Insee publie tous les ans, en septembre, le taux de pauvreté et les principaux indicateurs d’inégalités de niveau de vie relatifs à l’avant-dernière année. Il a ainsi publié en septembre 2017 ces indicateurs pour l’année 2015. Depuis deux ans, l’Insee publie également à l’automne N+1 une estimation avancée pour l’année N, à l’aide d’une méthode expérimentale fondée sur la microsimulation. Appliquée à 2014 et 2015, cette méthode a fourni des estimations proches des données observées publiées l’année suivante. Pour 2016, elle indique une légère baisse du taux de pauvreté (– 0,3 point) et des inégalités mesurées par l’indice de Gini (– 0,002) et par le rapport interdécile (– 0,1). Le taux de pauvreté atteindrait 13,9 % de la population.

Insee Focus
No 96
Paru le :Paru le17/10/2017
Kevin Schmitt et Michaël Sicsic, division Études sociales, Insee
Insee Focus No 96- Octobre 2017

En 2016, le taux de pauvreté et les inégalités diminueraient légèrement…

Pour l’année 2016, selon la méthode expérimentale basée sur la microsimulation (encadré), le taux de pauvreté monétaire baisserait légèrement, de 0,3 point, atteignant 13,9 % de la population (figure 1). Ce recul ferait suite à deux années consécutives de légère hausse (+ 0,2 point en 2014 et en 2015). Le taux de pauvreté en 2016 serait ainsi inférieur de 0,7 point à son point haut de 2011, mais supérieur de 0,7 point à son niveau d’avant la crise de 2008.

Figure 1 - Évolutions et niveaux du taux de pauvreté et des principaux indicateurs d’inégalités en 2016

Figure 1 - Évolutions et niveaux du taux de pauvreté et des principaux indicateurs d’inégalités en 2016 ( ) - Lecture : en 2016, le taux de pauvreté simulé baisserait de 0,3 point et atteindrait 13,9 %.
2015 2016
Observé Simulé
Taux de pauvreté à 60 %
Évolution par rapport à l'année précédente (en points de %) 0,2 -0,3
Niveau (en %) 14,2 13,9
Indice de Gini
Évolution par rapport à l'année précédente 0,003 -0,002
Niveau 0,292 0,290
Ratio (100-S80)/S20
Évolution par rapport à l'année précédente 0,0 -0,1
Niveau 4,4 4,3
Rapport interdécile D9/D1
Évolution par rapport à l'année précédente 0,0 -0,1
Niveau 3,5 3,4
  • Lecture : en 2016, le taux de pauvreté simulé baisserait de 0,3 point et atteindrait 13,9 %.
  • Champ : France métropolitaine, personnes vivant dans un ménage dont le revenu déclaré est positif ou nul et dont la personne de référence n’est pas étudiante.
  • Source : Insee, enquête Revenus fiscaux et sociaux 2015 (actualisée 2016) ; modèle Ines 2016.

Selon cette même méthode de microsimulation, les principaux indicateurs d’inégalités suggèrent une très légère baisse des inégalités de niveau de vie en 2016. L’indice de Gini diminuerait de 0,002, pour atteindre 0,290 en 2016, après deux années consécutives de hausse (+ 0,001 en 2014 et + 0,003 en 2015). En 2016, l’indice de Gini serait ainsi inférieur de 0,015 à son point haut de 2011 et proche de son niveau d’avant la crise de 2008.

Pour leur part, le rapport entre la masse des niveaux de vie détenue par les 20 % les plus riches et celle détenue par les 20 % les plus modestes (ratio (100-S80)/S20 des niveaux de vie) et le rapport interdécile D9/D1 diminueraient très légèrement (– 0,1). Ainsi, en 2016, le rapport interdécile serait de 3,4 et le ratio (100-S80)/S20 de 4,3.

Il faut toutefois noter que les évolutions annuelles du taux de pauvreté et des indicateurs d’inégalités présentés sont à la limite du seuil de significativité d’un point de vue statistique.

Les données définitives pour 2016 des indicateurs de pauvreté et d’inégalités seront publiées en septembre 2018.

… notamment du fait des mesures socio-fiscales mises en œuvre en 2016

L’évolution de la pauvreté serait principalement liée à la redistribution en faveur des ménages les plus modestes. En effet, le taux de pauvreté calculé à partir des serait quasi stable entre 2015 et 2016 (contre – 0,3 point après redistribution). Les prestations sociales (minima sociaux, prestations familiales, allocations logement et prime d’activité) et les prélèvements directs expliqueraient donc l’essentiel de la baisse de la pauvreté monétaire. Cet effet serait surtout dû à la création en 2016 de la prime d’activité en substitution de la prime pour l’emploi et du volet « activité » du revenu de solidarité active (RSA). En effet, la prime d’activité cible davantage les actifs les plus modestes que les deux dispositifs précédents et son taux de recours est largement plus élevé que celui au RSA activité (Favrat et al., 2015). De fait, la baisse du taux de pauvreté liée à la redistribution serait la plus marquée pour les principaux bénéficiaires de la prime d’activité, à savoir les travailleurs aux revenus modestes, les actifs à la tête d’une famille monoparentale et les jeunes actifs de 18 à 24 ans (le RSA activité n’était pas ouvert aux jeunes de moins de 25 ans contrairement à la prime d’activité).

L‘évolution des inégalités en 2016 s’expliquerait par les mêmes raisons. En effet, les inégalités avant redistribution augmenteraient légèrement en 2016, notamment du fait d’une progression des salaires des cadres un peu plus dynamique que celle des employés et ouvriers (Dares, 2017). Les mesures socio-fiscales feraient plus que compenser ce phénomène et conduiraient à une baisse des inégalités. De fait, sous l’effet de la mise en place de la prime d’activité, ainsi que de la nouvelle revalorisation exceptionnelle de 2 % du RSA, le niveau de vie des 20 % des individus les moins aisés augmenterait davantage en euros constants que celui des individus situés au-dessus du deuxième décile de niveau de vie.

Retour sur 2014 et 2015 : des prévisions proches des résultats observés, publiés l’année suivante

C’est la troisième année que l’Insee publie cet exercice d’estimation avancée par microsimulation du taux de pauvreté et des principaux indicateurs d’inégalités (Schmitt et Sicsic, 2016 ; Fontaine et Sicsic, 2015). Ces prévisions peuvent être comparées pour 2014 et 2015 aux résultats publiés un an après (Argouarc’h et Cazenave-Lacrouts, 2017 ; Argouarc’h et Boiron, 2016).

Ainsi, pour l’année 2015, les évolutions du taux de pauvreté et des indicateurs d’inégalités observées en septembre 2017 ont bien été prévues à l’automne 2016 : hausse de 0,2 point du taux de pauvreté, hausse de 0,003 de l’indice de Gini et stabilité du ratio (100-S80)/S20 et du rapport interdécile (figure 2).

Figure 2 - Évolutions simulées et observées du taux de pauvreté et des principaux indicateurs d’inégalités

Figure 2 - Évolutions simulées et observées du taux de pauvreté et des principaux indicateurs d’inégalités ( ) - Lecture : en 2015, l'évolution du taux de pauvreté de + 0,2 point (publiée en septembre 2017) a bien été prévue par la méthode de microsimulation : l'écart est nul.
Évolution 2013-2014 Évolution 2014-2015
Simulé (automne 2015) Observé (septembre 2016) Écart avec l'observé Simulé (automne 2016) Observé (septembre 2017) Écart avec l'observé
Taux de pauvreté à 60 %
Évolution (en points de %) 0,2 0,1 0,1 0,2 0,2 0,0
Indice de Gini
Évolution 0,004 0,002 0,002 0,003 0,003 0,000
Ratio (100-S80)/S20
Évolution 0,1 0,1 0,0 0,0 0,0 0,0
Rapport interdécile D9/D1
Évolution 0,0 0,0 0,0 0,0 0,0 0,0
  • Lecture : en 2015, l'évolution du taux de pauvreté de + 0,2 point (publiée en septembre 2017) a bien été prévue par la méthode de microsimulation : l'écart est nul.
  • Champ : France métropolitaine, personnes vivant dans un ménage dont le revenu déclaré est positif ou nul et dont la personne de référence n’est pas étudiante.
  • Source : Insee, enquête Revenus fiscaux et sociaux 2013, 2014 et 2015 ; modèle Ines 2014 et 2015.

Pour l’année 2014, les évolutions simulées à l’automne 2015 vont dans le même sens et sont très proches de celles publiées un an plus tard en septembre 2016 (qui peuvent différer légèrement de celles révisées en septembre 2017 en raison de l’intégration de l’enquête patrimoine 2014-15) : le taux de pauvreté a augmenté de 0,1 point en 2014 contre 0,2 point pour l’indicateur avancé ; la hausse de l’indice de Gini observée a été plus modérée que ce qui avait été simulé (+ 0,002 contre + 0,004) ; l’évolution de + 0,1 du ratio (100-S80)/S20 et la stabilité du rapport interdécile ont bien été prévues.

Il faut souligner que les écarts entre les évolutions prévues et celles effectivement observées ne sont pas significatifs. En effet, le taux de pauvreté est connu à 0,3 point de pourcentage près et l’indice de Gini à plus ou moins 0,003 (alors que l’écart est au plus de + 0,1 point pour le taux de pauvreté et de + 0,002 pour l’indice de Gini).

Une méthode d’estimation avancée fondée sur la microsimulation

L’Insee publie tous les ans, en septembre N+2, le niveau de vie médian des ménages, le taux de pauvreté et les principaux indicateurs d’inégalités de niveau de vie relatifs à l’année N. Cependant, pour évaluer plus rapidement la situation et l’efficacité des politiques publiques de lutte contre la pauvreté et les inégalités, il est souhaitable de disposer d’indicateurs plus précoces.

En l’absence de possibilité de réduction sensible du délai de 21 mois de mise à disposition des informations de base, l’Insee poursuit son expérimentation, lancée en 2015, d’une méthode fondée sur la microsimulation afin de produire à l’automne N+1 des indicateurs avancés sur l’année N. Cette méthode expérimentale consiste à simuler la situation de l’année N à partir d’un échantillon représentatif de ménages de l’année N-1, des dernières données démographiques et économiques agrégées et des barèmes de la législation sociale et fiscale (Fontaine et Sicsic, 2015, pour plus de détails sur la méthode et les exercices rétrospectifs).

Sources

Les résultats présentés dans cette étude sont obtenus à partir du modèle de microsimulation Ines, développé par la Drees et l’Insee, dont Ouvrir dans un nouvel ongletle code et la documentation sont accessibles librement depuis l’été 2016. Le modèle Ines est adossé à l’enquête Revenus fiscaux et sociaux (ERFS) qui réunit les informations socio-démographiques de l’enquête Emploi, les informations administratives des Caisses nationales d’allocations familiales (Cnaf) et d’assurance vieillesse (Cnav), de la Caisse centrale de la mutualité sociale agricole (CCMSA) et le détail des revenus déclarés à l’administration fiscale pour le calcul de l’impôt sur le revenu fourni par la direction générale des finances publiques (DGFiP).

Définitions

Le niveau de vie avant redistribution est le niveau de vie avant prise en compte des prestations sociales et des prélèvements directs.

Pauvreté monétaire / Seuil de pauvreté :

Un individu (ou un ménage) est considéré comme pauvre lorsqu'il vit dans un ménage dont le niveau de vie est inférieur au seuil de pauvreté. En France et en Europe, le seuil est le plus souvent fixé à 60 % du niveau de vie médian.

L'Insee, comme Eurostat et les autres pays européens, mesure en effet la pauvreté monétaire de manière relative alors que d'autres pays (comme les États-Unis ou le Canada) ont une approche absolue.

Dans l'approche en termes relatifs, le seuil de pauvreté est déterminé par rapport à la distribution des niveaux de vie de l'ensemble de la population. Eurostat et les pays européens utilisent en général un seuil à 60 % de la médiane des niveaux de vie. La France privilégie également ce seuil, mais publie des taux de pauvreté selon d'autres seuils (40 %, 50 % ou 70 %), conformément aux recommandations du rapport du Cnis sur la mesure des inégalités.

Déciles :

Si on ordonne une distribution de salaires, de revenus, de chiffres d'affaires, etc., les déciles sont les valeurs qui partagent cette distribution en dix parties d’effectifs égaux.

Ainsi, pour une distribution de salaires :

  • le premier décile (noté généralement D1) est le salaire au-dessous duquel se situent 10 % des salaires ;
  • le neuvième décile (noté généralement D9) est le salaire au-dessous duquel se situent 90 % des salaires.

Le premier décile est, de manière équivalente, le salaire au-dessus duquel se situent 90 % des salaires ; le neuvième décile est le salaire au-dessus duquel se situent 10 % des salaires.

Pour en savoir plus

Argouarc’h J., Boiron A., « Les niveaux de vie en 2014 », Insee Première n° 1614, septembre 2016.

Argouarc’h J., Cazenave-Lacrouts M.-C., « Les niveaux de vie en 2015 », Insee Première n° 1665, septembre 2017.

« Ouvrir dans un nouvel ongletLes indices de salaire de base », Dares, 2017.

Favrat A., Lignon V., Reduron V., « Ouvrir dans un nouvel ongletLes effets redistributifs de la prime d’activité et l’impact du non-recours », Revue des politiques sociales et familiales n° 121, Cnaf, 2015.

Fontaine M., Sicsic M., « Des indicateurs précoces de pauvreté et d’inégalités - Résultats expérimentaux pour 2014 », Insee Analyses n° 23, 2015.

Schmitt K. et Sicsic M., « Estimation avancée du taux de pauvreté et des indicateurs d’inégalités - Résultats expérimentaux pour 2015 », Insee Focus n° 70, 2016.