Insee FocusEstimation avancée du taux de pauvreté et des indicateurs d’inégalités Résultats expérimentaux pour 2015

Kevin Schmitt et Michaël Sicsic, division Études sociales, Insee

L’Insee publie tous les ans, en septembre, le taux de pauvreté et les principaux indicateurs d’inégalités de niveau de vie pour l’avant-dernière année. Il a ainsi publié en septembre 2016 ces indicateurs pour l’année 2014. Comme il est souhaitable de disposer d’indicateurs plus précoces, l’Insee a décidé de publier en fin d’année N+1 une estimation avancée pour l’année N à l’aide d’une méthode expérimentale fondée sur la microsimulation. Mise en œuvre pour la première fois fin 2015 sur l’année 2014, cette méthode a fourni des résultats avancés pour 2014 proches des données définitives publiées en septembre 2016 : très légère hausse du taux de pauvreté et des inégalités mesurées par l’indice de Gini. Appliquée à l’année 2015, cette méthode indique une poursuite de la remontée du taux de pauvreté (+ 0,2 point) et, dans une moindre mesure, des inégalités (+ 0,003 pour l’indice de Gini). En 2015, le taux de pauvreté atteindrait 14,3 % de la population. Les données définitives seront publiées en septembre 2017.

Insee Focus
No 70
Paru le :Paru le05/12/2016
Kevin Schmitt et Michaël Sicsic, division Études sociales, Insee
Insee Focus No 70- Décembre 2016

En 2015, le taux de pauvreté monétaire augmenterait légèrement…

Pour l’année 2015, la méthode expérimentale basée sur la microsimulation (encadré) indique une légère hausse du taux de pauvreté monétaire, de 0,2 point. Ainsi, le taux de pauvreté en 2015 s’élèverait à 14,3 %, après 14,1 % en 2014 (figure 1). Cette augmentation de la pauvreté monétaire prévue pour 2015 ferait suite à une légère hausse de 0,1 point en 2014, après deux années de baisse. Le taux de pauvreté en 2015 serait ainsi inférieur de 0,4 point à son point haut de 2011, mais supérieur d’un point par rapport au niveau d’avant la crise en 2008. Cette hausse du taux de pauvreté en 2015 proviendrait principalement de l’augmentation du nombre de chômeurs vivant au-dessous du seuil de pauvreté, elle-même liée à celle du nombre de chômeurs de longue ou très longue durée.

Figure 1 - Évolutions et niveaux des principaux indicateurs de pauvreté et d’inégalités en 2015

Figure 1 - Évolutions et niveaux des principaux indicateurs de pauvreté et d’inégalités en 2015 - Lecture : en 2015, le taux de pauvreté simulé augmenterait de 0,2 point et atteindrait 14,3 %.
2014 2015
Observé Simulé
Taux de pauvreté à 60 %
Évolution par rapport à l'année précédente (en points) + 0,1 + 0,2
Niveau (en %) 14,1 14,3
Indice de Gini
Évolution par rapport à l'année précédente + 0,002 + 0,003
Niveau 0,293 0,296
(100-S80)/S20
Évolution par rapport à l'année précédente (en points) + 0,1 0,0
Niveau 4,4 4,5
Rapport interdécile D9/D1
Évolution par rapport à l'année précédente 0,0 0,0
Niveau 3,5 3,5
  • Note : le ratio (100-S80)/S20 augmente de 4,4, à 4,5 du fait d'un effet d'arrondi (la hausse étant de 0,04).
  • Lecture : en 2015, le taux de pauvreté simulé augmenterait de 0,2 point et atteindrait 14,3 %.
  • Champ : France métropolitaine, ménages ordinaires, dont le revenu est positif ou nul et dont la personne de référence n’est pas étudiante.
  • Source : Insee, enquête Revenus fiscaux et sociaux 2014 (actualisée 2015) ; modèle Ines 2015, calculs Drees et Insee.

... et les inégalités de niveau de vie se renforceraient légèrement

Selon la méthode de microsimulation, la tendance à la hausse des inégalités de niveau de vie entamée en 2014 se poursuivrait en 2015. L’indice de Gini augmenterait de 0,003, pour atteindre 0,296 en 2015. En 2013, ce coefficient avait fortement baissé (passant de 0,305 en 2012 à 0,291 en 2013) et effacé ainsi l’ensemble de la hausse des inégalités constatée depuis le début de la crise de 2008, avant de légèrement augmenter en 2014 (+ 0,002). En 2015, l’indice de Gini serait ainsi inférieur de 0,012 point à son point haut de 2011 et au même niveau qu’en 2008, avant la crise.

L’évolution des inégalités serait principalement liée à celle des  : l’indice de Gini calculé sur le niveau de vie avant redistribution augmenterait de 0,004, contre 0,003 pour le niveau de vie après redistribution. En effet, les mesures sociofiscales intervenues en 2015 auraient atténué les inégalités, notamment en raison des revalorisations exceptionnelles de certaines prestations perçues par les plus modestes, de baisses d’impôt sur le revenu bénéficiant aux ménages au niveau de vie médian et de la modulation des allocations familiales touchant les plus aisés (André et al., 2016).

Pour leur part, le rapport entre la masse des niveaux de vie détenue par les 20 % les plus riches et celle détenue par les 20 % les plus modestes () et le resteraient stables. Ainsi, en 2015, le ratio (100-S80)/S20 atteindrait 4,5 et le rapport interdécile se maintiendrait à 3,5.

Compte tenu de l’incertitude inhérente à l’utilisation d’une enquête par sondage, les évolutions du taux de pauvreté et de l’indice de Gini sont à la limite du seuil de significativité d’un point de vue statistique.

Les données définitives pour 2015 des indicateurs de pauvreté et d’inégalités seront publiées en septembre 2017.

Retour sur les prévisions 2014 : une première expérimentation satisfaisante pour le taux de pauvreté et les indicateurs d’inégalités

L’Insee a publié pour la première fois, en décembre 2015, une estimation avancée par microsimulation du taux de pauvreté et des principaux indicateurs d’inégalités pour l’année 2014 (Fontaine et Sicsic, 2015). Ces prévisions peuvent être comparées aux données définitives pour 2014 publiées en septembre 2016 (Argouarc’h et Boiron, 2016). Pour le taux de pauvreté et les indicateurs d’inégalités, les évolutions des indicateurs précoces vont dans le même sens et sont très proches de celles observées : le taux de pauvreté a augmenté de 0,1 point en 2014 contre 0,2 point pour l’indicateur avancé. La hausse de l’indice de Gini observée a été plus modérée que ce qui avait été simulé (+ 0,002 contre + 0,004). La stabilité observée du rapport interdécile a bien été prévue (figure 2). En revanche, pour le niveau de vie médian et donc le seuil de pauvreté à 60 %, la simulation est moins satisfaisante : ils ont augmenté de 0,2 % en euros constants contre une diminution de 0,3 % selon l’indicateur avancé.

L’exercice de prévision pour 2014 reposait, pour certaines variables agrégées (notamment les masses de revenus en 2014 : salaires, pensions de chômage et de retraite…), sur l’information incomplète disponible à l’automne 2015, et non sur l’information connue actuellement. En renouvelant l’exercice pour 2014, un an après, le fait de disposer d’informations supplémentaires permet de retrouver exactement le chiffre observé pour le taux de pauvreté (écart nul) et améliore la prévision de l’indice de Gini (écart de 0,001 contre 0,002), tandis que la prévision du rapport interdécile est toujours identique à la donnée observée. A contrario, les estimations du niveau de vie médian et du seuil de pauvreté auraient été légèrement dégradées. Ainsi, l’écart entre les estimations avancées réalisées à l’automne 2015 et les données observées pour le taux de pauvreté et l’indice de Gini provient de l’information incomplète disponible au moment de la simulation et non de la méthode de microsimulation. Les résultats de cette première expérimentation de 2014 ne sont pas concluants en ce qui concerne les estimations avancées du niveau de vie médian et du seuil de pauvreté qui ne sont de ce fait pas publiées pour 2015.

Il faut souligner que les écarts entre les évolutions prévues et celles effectivement observées ne sont pas significatifs. En effet, le taux de pauvreté est connu à plus ou moins 0,32 près (alors que l’écart est de + 0,1) et l’indice de Gini à plus ou moins 0,0029 (alors que l’écart est de + 0,002).

Figure 2 - Évolutions et niveaux des principaux indicateurs de pauvreté et d’inégalités en 2014

Figure 2 - Évolutions et niveaux des principaux indicateurs de pauvreté et d’inégalités en 2014 - Lecture : en 2014, le taux de pauvreté a augmenté de 0,1 point, contre une hausse prévue par la méthode de microsimulation de 0,2 point à l'automne 2015 (soit un écart de 0,1 point) et de 0,1 point à l'automne 2016 (soit un écart nul).
2014
Observé Simulé Automne 2015 Écart avec l'observé Simulé Automne 2016 Écart avec l'observé
Taux de pauvreté à 60 %
Évolution par rapport à l'année précédente (en points) + 0,1 + 0,2 + 0,1 + 0,1 0,0
Niveau (en %) 14,1 14,2 0,1 point 14,1 0,0 point
Indice de Gini
Évolution par rapport à l'année précédente + 0,002 + 0,004 + 0,002 + 0,003 + 0,001
Niveau 0,293 0,295 0,002 0,294 0,001
Niveau de vie médian
Taux de croissance en euros constants (en %) + 0,2 - 0,3 - 0,5 point - 0,5 - 0,8 point
Seuil de pauvreté à 60 %
Niveau (en euros courants) 1008 1003 - 5 1000 - 8
Rapport interdécile D9/D1
Évolution par rapport à l'année précédente 0,0 0,0 0,0 0,0 0,0
Niveau 3,5 3,5 0,0 3,5 0,0
  • Lecture : en 2014, le taux de pauvreté a augmenté de 0,1 point, contre une hausse prévue par la méthode de microsimulation de 0,2 point à l'automne 2015 (soit un écart de 0,1 point) et de 0,1 point à l'automne 2016 (soit un écart nul).
  • Champ : France métropolitaine, ménages ordinaires, dont le revenu est positif ou nul et dont la personne de référence n’est pas étudiante.
  • Source : Insee, enquête Revenus fiscaux et sociaux 2014 (actualisée 2015) ; modèle Ines 2015, calculs Drees et Insee.

Encadré - Le recours à la microsimulation pour établir une estimation avancée du taux de pauvreté et des indicateurs d’inégalités

L’Insee publie tous les ans, en septembre N+2, le niveau de vie médian des ménages, le taux de pauvreté et les principaux indicateurs d’inégalités de niveau de vie relatifs à l’année N. Cependant, pour évaluer plus rapidement la situation et l’efficacité des politiques publiques de lutte contre la pauvreté et les inégalités, il est souhaitable de disposer d’indicateurs plus précoces.

En l’absence de possibilité de réduction sensible du délai de 21 mois de mise à disposition des informations définitives, l’Insee renouvelle son expérimentation, lancée en 2015, d’une méthode fondée sur la microsimulation afin de produire à l’automne N+1 des indicateurs avancés sur l’année N. Cette méthode expérimentale consiste à simuler la situation de l’année N à partir d’un échantillon représentatif de ménages de l’année N-1, des dernières données démographiques et économiques agrégées, et des barèmes de la législation sociale et fiscale (Fontaine et Sicsic, 2015, pour plus de détails sur la méthode et les exercices rétrospectifs).

Sources

Les résultats présentés dans cette étude sont obtenus à partir du modèle de microsimulation Ines (courte synthèse), développé par la Drees et l’Insee, dont Ouvrir dans un nouvel ongletle code et la documentation sont accessibles librement depuis l’été 2016. Le modèle Ines est adossé à l’enquête Revenus fiscaux et sociaux (ERFS) qui réunit les informations sociodémographiques de l’enquête Emploi, les informations administratives des Caisses nationales d’allocations familiales (Cnaf) et d’assurance vieillesse (Cnav), de la Caisse centrale de la mutualité sociale agricole (CCMSA) et le détail des revenus déclarés à l’administration fiscale pour le calcul de l’impôt sur le revenu fourni par la direction générale des finances publiques (DGFiP).

Définitions

Taux de pauvreté monétaire :

Le taux de pauvreté monétaire correspond à la proportion d'individus (ou de ménages) étant en situation de pauvreté monétaire.

Niveau de vie :

Le niveau de vie est égal au revenu disponible du ménage divisé par le nombre d'unités de consommation (UC). Le niveau de vie est donc le même pour tous les individus d'un même ménage.

Le niveau de vie correspond à ce qu’Eurostat nomme « revenu disponible équivalent ».

Les unités de consommation sont généralement calculées selon l'échelle d'équivalence dite de l'OCDE modifiée qui attribue 1 UC au premier adulte du ménage, 0,5 UC aux autres personnes de 14 ans ou plus et 0,3 UC aux enfants de moins de 14 ans.

Indice de Gini / Coefficient de Gini :

L'indice (ou coefficient) de Gini est un indicateur synthétique permettant de rendre compte du niveau d'inégalité pour une variable et sur une population donnée. Il varie entre 0 (égalité parfaite) et 1 (inégalité extrême). Entre 0 et 1, l'inégalité est d'autant plus forte que l'indice de Gini est élevé.

Il est égal à 0 dans une situation d'égalité parfaite où la variable prend une valeur identique sur l’ensemble de la population. À l'autre extrême, il est égal à 1 dans la situation la plus inégalitaire possible, où la variable vaut 0 sur toute la population à l’exception d’un seul individu. .

Les inégalités ainsi mesurées peuvent porter sur des variables de revenus, de salaires, de niveau de vie,etc.

Le niveau de vie avant redistribution est le niveau de vie avant prise en compte des prestations sociales et des prélèvements directs.

Le ratio (100-S80)/S20 des niveaux de vie correspond au rapport entre le niveau de vie moyen détenu par les 20 % les plus riches et celui détenu par les 20 % les plus modestes.

Le rapport interdécile D9/D1 est le ratio entre le niveau de vie au-dessus duquel se situent les 10 % les plus aisés et celui au-dessous duquel se situent les 10 % les plus modestes.

Pour en savoir plus

André M., Biotteau A.-L., Cazenave M.-C., Fontaine M., Sicsic M., Sireyjol A., « Les réformes des prestations et prélèvements intervenues en 2015 opèrent une légère redistribution des 30 % les plus aisés vers le reste de la population », in « France, portrait social », Insee Références, édition 2016.

Argouarc’h J., Boiron A., « Les niveaux de vie en 2014 », Insee Première n° 1614, septembre 2016.

Fontaine M., Sicsic M., « Des indicateurs précoces de pauvreté et d’inégalités - Résultats expérimentaux pour 2014 », Insee Analyses n° 23, décembre 2015.