Courrier des statistiques N11 - 2024

Vous avez aimé découvrir l’histoire de la statistique publique dans le numéro N9 du Courrier sur le thème « Statistiques publiques et débat démocratique (1946-1987) », alors n’hésitez plus et lisez le 2e épisode. Peu à peu, la construction européenne façonne la production de statistiques publiques, une nouvelle ère d’ouverture et de gratuité s’ouvre et de nouveaux thèmes apparaissent.
Comment faciliter la navigation dans l’océan de données mis à disposition sur le site de l’Insee ? C’est le sujet de l’article suivant, qui pointe les indispensables métadonnées, l’importance d’un catalogue, et les possibilités d’accès à des « hypercubes ».
Les dessous de la quantification dans le secteur de l’énergie sont ensuite dévoilés, au moment où la transition écologique est toujours plus d’actualité.
Les quatre autres articles de ce numéro constituent un dossier, organisé autour du Répertoire statistique des individus et des logements (Résil).
Si le premier présente le projet Résil dans son ensemble, avec ses principes directeurs, le second nous révèle la démarche de concertation engagée par l’Insee, pour assurer la légitimité de ce répertoire, et répondre aux enjeux juridiques et éthiques. Deux étapes du processus Résil nécessitaient une attention particulière. Ainsi le troisième article du dossier porte-t-il sur les appariements : finalités, méthodologie, mise en pratique et évaluation de la qualité. Enfin, le dernier papier s’attelle de façon pédagogique à expliquer l’outil ARC (accueil-réception-contrôle) : appliqué dans un premier temps à la déclaration sociale nominative (DSN), il a été généralisé pour le projet Résil.

Courrier des statistiques
Paru le :Paru le08/07/2024
Françoise Dupont, au moment de la rédaction de cet article, chargée de mission « Questions juridiques et communication » sur le projet Résil, Josy Dussart, chargée de mission « Questions juridiques et communication » sur le projet Résil, josy.dussart@insee.fr et François Guillaumat-Tailliet, secrétaire général adjoint du Cnis, francois.guillaumat-tailliet@insee.fr
Courrier des statistiques- Juillet 2024
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La concertation : une étape essentielle pour le projet Résil

Françoise Dupont, au moment de la rédaction de cet article, chargée de mission « Questions juridiques et communication » sur le projet Résil, Josy Dussart, chargée de mission « Questions juridiques et communication » sur le projet Résil, josy.dussart@insee.fr et François Guillaumat-Tailliet, secrétaire général adjoint du Cnis, francois.guillaumat-tailliet@insee.fr

Construire un répertoire statistique des individus et des logements (Résil) est un défi qui présente des enjeux techniques, juridiques, mais aussi éthiques. Les enjeux éthiques s’inscrivent dans un contexte où croissent à la fois le besoin d’informations statistiques fiables et détaillées, la circulation des données personnelles, et la vigilance quant à la bonne utilisation de ces dernières.

La concertation engagée par l’Insee a permis de partager la réflexion sur ce que pouvait être Résil et comment il devait être utilisé, mais aussi comment l’expliquer au plus grand nombre. Menée sous l’égide du Conseil national de l’information statistique (Cnis), cette démarche exigeante a mobilisé des compétences diverses, pour la plupart éloignées du monde de la statistique, pour prendre en compte les considérations éthiques (de protection des libertés publiques, de transparence, etc.) et parvenir à une évaluation partagée des principes de nécessité, minimisation et proportionnalité.

L’Insee a intégré la plupart des recommandations du groupe de concertation dans sa réflexion. Il les a traduites en dispositions juridiques, techniques (dans la conception et le contenu du répertoire), organisationnelles et dans la communication menée autour du répertoire. La concertation ne s’arrête pas là : la démarche de communication et d’écoute doit se poursuivre et un enjeu spécifique reste à traiter concernant l’appréciation des appariements réalisés grâce à Résil au regard des principes de nécessité et de proportionnalité.

L’Insee s’est engagé dans la construction d’un à l’horizon 2025. Ce projet s’inscrit dans un contexte national et international marqué à la fois par :

  • une forte attente de statistiques détaillées au regard de l’accroissement du volume des données disponibles, et des innovations en matière d’exploitations statistiques pour des finalités de préparation et d’évaluation de politiques publiques et d’alimentation du débat public. Ce besoin se manifeste en particulier par une dont le se fait régulièrement l’écho.
  • une attention croissante des citoyens et de leurs représentants aux enjeux de protection des données individuelles, face à l’accroissement du volume de ces données et des capacités de traitement. Elle se traduit du côté des producteurs de données par le renforcement des règles relatives à la transparence sur le traitement des données, permettant aux citoyens d’avoir des garanties sur leur bon usage.

Le projet de répertoire Résil intègre ces deux attentes. Dès le début du projet, l’Insee a considéré que les enjeux juridiques et éthiques étaient à la hauteur des enjeux techniques et nécessitaient une attention particulière compte tenu du caractère exhaustif du répertoire et de l’utilisation de plusieurs sources appariées pour créer ce répertoire.

Aussi, l’Insee a souhaité associer à la réflexion des représentants de la société, au-delà de ses interlocuteurs habituels, pour confronter son point de vue à d’autres approches et ce, très en amont du projet. Il l’a fait grâce à un groupe de concertation qui s’est réuni de mai à septembre 2022 sous l’égide du Cnis. Cette démarche originale a permis de rassembler des spécialistes sur des sujets très variés (protection des libertés fondamentales, protection des données sur les plans légal et informatique, transformation numérique, éthique, recherche socioéconomique, etc.) pour dresser la liste des interrogations que suscite le projet Résil, échanger sur les réponses apportées par l’Insee à ces interrogations, proposer des modalités concrètes pour poursuivre les réflexions tout au long de la construction du projet jusqu’en 2025 et au-delà. Cette expérience a été riche d’enseignements pour la conduite du projet Résil et plus largement pour la statistique publique.

Des enjeux éthiques méritant une réflexion partagée

Les données personnelles : une sensibilité croissante au fil des années, qui diffère selon les contextes culturels des pays

Le sujet des données personnelles est un sujet croissant de préoccupation dans un contexte de transformation numérique de la société, avec une masse de données potentiellement mobilisables en hausse continue alors que les outils d’analyse sont de plus en plus puissants, sous l’effet des progrès techniques de stockage et de calcul (Ouvrir dans un nouvel ongletChaire Valeurs et politiques des informations personnelles, 2019). De nouvelles opportunités sont offertes et une forte demande pour réguler ces nouveaux usages émerge dans la société pour profiter des bénéfices tout en limitant les risques liés à leur mauvais usage.

Depuis une dizaine d’années, l’encadrement des nouveaux outils et des nouveaux usages fait l’objet de très nombreuses discussions sous l’angle de la protection des données et celui de la protection des libertés fondamentales aux niveaux national, européen et international dans un champ très vaste, beaucoup plus large que celui qui s’applique aux travaux du service statistique public.

Ainsi, par exemple, l’entrée en vigueur en 2018 du Règlement général sur la protection des données (Ouvrir dans un nouvel ongletRGPD, CNIL, 2016) qui concerne toutes les données personnelles a constitué un pas important vers de nouveaux droits pour les personnes et a induit une responsabilisation des pilotes de traitements de données assortie de nouvelles obligations ainsi que la mise en place d’une instance de coordination européenne : le .

Face à ces enjeux, la statistique publique s’appuie sur un cadre juridique et déontologique à la fois exigeant et protecteur

La statistique publique s’appuie depuis longtemps, sur un , avec une loi spécifique datant de 1951 complétée par la loi générale sur la protection des données personnelles de 1978. Ce cadre est régulièrement mis à jour pour tenir compte de l’évolution des besoins, des opportunités et des pratiques, il est également mis en cohérence avec le droit européen : le .

En parallèle, s’est développé au fil des années au niveau international un cadre éthique :

  • les adoptés en 1994 au niveau de l’ONU ;
  • la qui vaut pour les statisticiens privés comme les statisticiens publics a été adoptée en 1985 et révisée en 2023 ;
  • le a été adopté en 2005.

Plus récemment, l’UNECE a adopté six valeurs essentielles pour la statistique publique, ainsi qu’un corpus de bonnes pratiques pour les mettre en œuvre concrètement. Ces valeurs inspirent le cadre juridique du service statistique public français (figure 1).

Figure 1 - Les six valeurs adoptées par la conférence des statisticiens européens de l’UNECE

 

Source : UNECE : United Nations Economic Commission for Europe. La Commission Économique des Nations Unies pour l’Europe a été mise en place en 1947 par le Conseil économique et social des Nations Unies. C’est l’une des cinq commissions régionales des Nations Unies. Elle se compose de 56 États membres : les pays européens, ainsi que les États-Unis, le Canada, Israël, la Turquie, et les ex républiques soviétiques du Caucase et d’Asie centrale.

L’enjeu de la confiance

Les enjeux liés à la protection des données personnelles sont de plus en plus importants et la confiance que placent les citoyens dans les institutions s’érode, dans un contexte de défiance croissante vis-à-vis des institutions ou de toutes formes d’expertise (Ouvrir dans un nouvel ongletAgacinski, 2018 ; Rouban, 2022). L’argument d’autorité ne suffit plus : il faut expliquer, écouter et s’adapter si nécessaire.

Un besoin de transparence sur l’utilisation de donnée administratives à des fins statistiques...

Contrairement à la situation d’enquête où le consentement éclairé est recueilli, lorsqu’on utilise des données administratives, qui sont désormais la base d’une partie importante des statistiques publiques, la personne qui fournit des informations personnelles ne donne son consentement explicite que pour la finalité première (déclarer ses revenus, percevoir une prestation, s’inscrire dans l’enseignement supérieur, s’abonner auprès d’un distributeur d’énergie, etc.) et n’a pas conscience des traitements ultérieurs de réutilisation et encore moins des appariements de données. L’information sur tous les traitements de la statistique publique est actuellement assurée conformément aux principes éthiques de la profession de statisticien public et sur la base légale du Règlement général sur la protection des données (Ouvrir dans un nouvel ongletRGPD, CNIL, 2016) par une information publique sur l’utilisation des données, dans la .

Le Cnis joue également un rôle en faveur de cette transparence, avec en particulier l’examen des programmes de travail de la statistique publique, laquelle développe de plus en plus les enjeux liés aux nouvelles sources de données et aux appariements. Sur ces sujets complexes, les producteurs de statistiques publiques et le Cnis augmentent progressivement la visibilité de ces travaux dans une forme aussi accessible que possible au grand public.

… mais aussi une attention croissante au principe de nécessité et de proportionnalité

Deux principes ont pris plus d’importance récemment dans le dialogue entre les statisticiens et la société civile : la nécessité et la proportionnalité. Ils expriment une demande d’attention croissante sur une utilisation parcimonieuse des données. Il s’agit de vérifier dans un premier temps la nécessité de recourir à ces données eu égard à l’objectif poursuivi, puis dans un deuxième temps, que les données sélectionnées et les traitements requis sont bien proportionnés par rapport aux finalités poursuivies au titre de l’intérêt général.

Les collègues canadiens ont donné récemment une visibilité particulière à ces deux principes en mettant en place en 2018 un cadre spécifique portant sur la nécessité et la proportionnalité qui s’applique à tous les traitements de données (Ouvrir dans un nouvel ongletPrincipes de nécessité et de proportionnalité de Statistique Canada, 2019 ; Rancourt, 2019). Cette initiative fait suite à des discussions dans le cadre de la modification de la loi statistique canadienne en 2017 et des interpellations de la société et d’élus sur des projets de traitements de données bancaires. Chez nos collègues canadiens, des efforts constants et croissants sont réalisés depuis pour communiquer de façon très pédagogique sur tous les travaux de la statistique publique et sur l’attention accordée à la nécessité et à la proportionnalité des travaux. L’utilisation des données administratives à des fins statistiques et des appariements de données sont bien documentés sur le .

En France, une telle démarche d’examen de nécessité et de proportionnalité n’est pas nouvelle. Elle est pratiquée sous l’égide du Cnis et du depuis 1994 pour toutes les enquêtes de la statistique publique. Il s’agit de vérifier que la charge de réponse pour les enquêtés n’est pas excessive et que les informations demandées ne sont pas trop intrusives au regard des finalités. Des personnes extérieures à la statistique publique sont sollicitées en fonction des thèmes (syndicats professionnels et de salariés, CNIL, chercheurs). Cette démarche, qui est installée pour les enquêtes, reste à développer en ce qui concerne les sources administratives et les appariements de données.

Dans ce cadre, une démarche de concertation s’est imposée pour le projet Résil

Concernant le projet Résil, l’Insee a eu très tôt la conviction que ces différents enjeux méritaient une attention particulière, au regard du caractère exhaustif de Résil et des appariements qu’il allait faciliter – critères qui requièrent une analyse d’impact au sens du RGPD – , mais surtout qu’il était essentiel de ne pas y réfléchir seul. Il fallait ainsi lancer la réflexion très en amont du projet, pour s’assurer de sa légitimité, examiner à quelles conditions les principes de nécessité et de proportionnalité pouvaient être respectés, et enrichir l’analyse de risques associés à ce projet. Il a été décidé d’engager une démarche de concertation (encadré 1) qui soit à la fois élargie, par la variété des compétences mobilisées, et approfondie grâce au temps consacré aux échanges.

Encadré 1. Qu’est-ce qu’une concertation ?

Dans un de ses avis, le Cese* (Conseil économique, social et environnemental), définit la concertation comme « un dialogue structuré autour d’un projet entre parties prenantes, visant à sa réalisation dans les meilleures conditions possibles à partir de la prise en compte des différents points de vue. Elle peut être envisagée comme une aspiration à trouver collectivement des formes d’intérêt commun ». Il indique également que « Cette démarche est associée à un processus de prise de décision clair et bien identifié ». Il ajoute : « On entend par parties prenantes, d’une part les personnes, d’autre part tout groupe ou organisation directement ou indirectement concerné ou affecté par les activités, les objectifs du projet ».

La concertation est différente de la consultation et de la négociation. La consultation est un recueil d’avis ponctuel auprès des parties prenantes sur un projet ou une question qui permet d’alimenter un processus de décision avec une seule interaction avec les parties prenantes. La négociation est un échange visant à trouver un accord à partir de positions différentes.

La concertation vise à travailler collectivement avec des acteurs représentant une grande diversité de points de vue pour trouver ensemble une réponse à un problème ou pour aboutir à l’enrichissement d’un projet. Elle s’appuie sur la confiance en la sincérité des échanges et en la prise en compte future des conclusions de la concertation dans les décisions. L’objectif n’est pas forcément de parvenir à un consensus, mais que les décisions soient les plus pertinentes possibles, en intégrant le maximum de points de vue. Cet exercice de démocratie participative répond à une attente forte des citoyens et plus généralement de l’ensemble de la société (Dictionnaire critique et interdisciplinaire de la participation).

Elle se pratique selon des formes diverses, en fonction des sujets et des attentes des porteurs de projet. Dans tous les cas, l’organisation concrète des interventions d’experts, la fourniture de supports écrits et/ou vidéos qui permettent d’avoir une information éclairée et équilibrée, représentent un défi pour assurer en même temps la précision, la concision et l’accessibilité (intelligibilité) pour tous.

Quelques formes de concertation

La consultation en ligne vise à mettre à disposition de tous, sur une plateforme dédiée, les informations sur un projet, puis à recueillir les réactions publiques des citoyens, entreprises, organisations représentatives et associations, via un site internet. Le bilan est rendu public et le projet intègre autant que possible les demandes qui ont été exprimées. Recourir à cette méthode suppose que le projet se prête à une présentation très synthétique, autoportée et qu’il soit possible d’assurer à la démarche une publicité suffisante et non biaisée pour assurer la représentativité de toutes les parties prenantes concernées dans les réponses.

Le panel citoyen est un dispositif qui rassemble une trentaine de citoyennes et citoyens bénévoles tirée au sort en assurant des critères de représentativité, durant plusieurs sessions de travail réparties sur une ou plusieurs semaines. L’objectif est qu’ils répondent à une question précise, grâce à une information éclairée par de nombreux intervenants représentant les différents points de vue sur le sujet traité et aux délibérations menées tout au long des travaux.

La convention citoyenne est basée sur le même principe et diffère par l’ampleur du dispositif qui est beaucoup plus large et adapté à une question plus générale comme la fin de vie ou la transition écologique (rassemblant plutôt 150 à 200 personnes et impliquant un travail sur plusieurs mois). Une des difficultés est de trouver les personnes disponibles et disposées à prendre du temps, souvent le week-end ou le soir, pour s’approprier le sujet et donner leur avis soit en présentiel soit à distance avec une petite compensation financière.

Le panel d’experts est adapté à des sujets très techniques : il est composé d’experts bénévoles ou non. Son rôle est de croiser les regards de différentes expertises, de synthétiser des contributions diverses et de les partager.

Le focus group est une discussion dirigée par un animateur au sein d’un petit groupe de personnes représentatif de la société ou d’une sous-partie (une douzaine de personnes maximum qui reçoivent une petite compensation financière). Le focus group peut permettre de tester un concept en amont d’une démarche « concertative » plus large à laquelle il ne peut se substituer.

Il existe également d’autres outils (Ouvrir dans un nouvel ongletCNDP**, 2023).

* La loi organique du 15 janvier 2021 fait du Cese le carrefour de la participation citoyenne pour nourrir ses travaux sous plusieurs formes : l’intégration de citoyennes et citoyens tirés au sort à ses formations de travail, les consultations en ligne, les pétitions citoyennes (le Cese peut être saisi par voie de pétition, dès lors qu’une pétition qui lui est adressée sur la plateforme Ouvrir dans un nouvel onglethttps://petitions.lecese.fr/ recueille 150 000 signatures). Le Cese peut également s’auto-saisir d’une thématique soulevée par une pétition ou encore recevoir les auteurs de la pétition dans le cadre de ses travaux.

** Commission nationale du débat public.

Comment organiser la concertation sur le projet Résil et ses usages ?

Compte tenu du caractère très technique du projet, la solution de la plateforme en ligne a été exclue. Après des échanges dans le cadre du Cnis le 28 janvier 2022 et des échanges avec la CNIL, il semblait également difficile de se tourner vers un panel citoyen. En effet, pour évaluer le projet Résil, il faut pouvoir, le temps de la concertation, s’approprier suffisamment les enjeux des travaux d’appariement et d’analyse des bases de données de la statistique publique, leur contexte juridique et éthique pour être à même d’évaluer les risques et les bénéfices et ainsi intervenir dans les discussions et les alternatives possibles. Les échanges sur le projet ont permis de montrer que le coût d’entrée était trop élevé et le sujet trop abstrait, sans impact direct et facile à s’approprier par des citoyens, pour mettre à niveau un panel de citoyens qui n’aurait pas déjà réfléchi à ces sujets (contrairement aux sujets généralement présentés dans une concertation).

Après des discussions au sein du Cnis, en s’inspirant de l’expérience acquise par les praticiens de la concertation, le choix a été fait de réunir un groupe de spécialistes aux compétences diverses pour évaluer toutes les facettes du projet, ses opportunités et ses risques, et la proportionnalité de la solution technique en cours de conception du côté de l’Insee. Les domaines couverts étaient vastes : libertés publiques, protection des données, usages des données pour les sciences sociales, éthique, communication, usage des outils numériques, etc. L’Insee a estimé que des spécialistes seraient plus à même de se saisir du sujet et de formuler des critiques précises pour l’aider à faire évoluer le projet vers une solution équilibrée et respectueuse des libertés fondamentales, qui permet d’éloigner les craintes que peut susciter ce projet de répertoire. Ces spécialistes ont l’habitude de porter les préoccupations des citoyens dans des débats, ils peuvent plus facilement apporter la contradiction si nécessaire. Le caractère abstrait du sujet et les efforts nécessaires pour se l’approprier ont été confirmés par le groupe qui a fourni un travail d’appropriation remarquable à partir des interventions et supports fournis, rendus au préalable aussi simples et accessibles que possible. Le groupe a réuni dix-huit personnes, lors de sept réunions et dix auditions.

Le déroulement de la concertation

Le groupe de concertation sur le projet de Répertoire Statistique des Individus et des Logements (figure 2), placé sous l’égide du Cnis, s’inscrit dans le prolongement de la rencontre du Cnis du 28 janvier 2022 (Ouvrir dans un nouvel ongletRencontres du Cnis, 2022) sur les appariements. En effet, celle-ci avait permis de présenter pour la première fois le projet Résil et ses finalités ainsi que le contexte statistique national et international en matière d’appariements de données personnelles (Bénichou et alii, 2023 ; Ouvrir dans un nouvel ongletDupont et alii, 2023) afin de recueillir les points de vue des représentants de la société dans sa diversité (administration publique, chercheurs, associations, syndicats, collectivités locales) en amont du projet. Des intervenants de la table ronde sur la transparence et l’information du public, qui découvraient le projet Résil et le cadre légal et déontologique des travaux de la statistique publique (Anxionnaz et alii, 2021 ; Bureau, 2020 ; Christine et Roth, 2020 ; Redor, 2023), avaient souligné que cette réflexion sur Résil et les appariements devait à leurs yeux être approfondie sur une plus longue période avec un panel d’expertise adapté aux enjeux éthiques et juridiques.

Figure 2 - Calendrier de la concertation et de l’encadrement juridique de Résil

 

La mission du groupe de concertation était de dresser la liste des interrogations que suscite le projet Résil, échanger sur les réponses apportées par l’Insee à ces interrogations, proposer des modalités concrètes pour poursuivre les réflexions tout au long de la construction du projet jusqu’en 2025 et, le cas échéant, au-delà. Le Bureau du Cnis du 12 mars 2022 en a approuvé la création et le mandat.

Le Cnis a proposé à Jean-Marie Delarue, conseiller d’état honoraire, de présider ce groupe de concertation compte tenu de son expertise et de son intérêt pour le droit des libertés publiques et le respect de la vie privée. Outre son président, le groupe était constitué du maître d’ouvrage de Résil et de quatorze personnes (encadré 2) ayant une spécialité susceptible d’exprimer les interrogations de la société sur le projet Résil (protection des libertés fondamentales, protection des données sur le plan juridique et informatique, travaux statistiques, travaux de la recherche économique et sociale, transformation numérique, communication auprès du grand public sur les données, éthique).

Encadré 2. Les participants au groupe de concertation

 

Le champ, le dispositif, les acteurs

Le choix du groupe de spécialistes placé sous l’égide du Cnis s’est imposé assez vite. Les conditions matérielles et financières ont été bien cadrées au départ. Le président du groupe, reconnu pour son expertise et son indépendance, a joué un rôle fondamental dans la crédibilité de la démarche.

Une partie importante du travail a consisté à repérer les expertises existantes non encore familières du Cnis et de l’Insee qui seraient utiles pour constituer le groupe et disponibles pour assister à une concertation gratuitement. Or les spécialistes (issus du monde de la recherche, d’une entreprise, d’une institution publique ou d’une association) sont déjà fortement sollicités et les moyens des associations sont tout particulièrement limités. La participation au groupe représente un investissement substantiel en termes de temps pour s’approprier le sujet et participer activement aux échanges. Il est donc difficile de trouver des personnes qui sont disponibles pour plusieurs demi-journées de réunions et la participation à titre gracieux n’est pas non plus une évidence. Rappelons qu’il est d’usage dans les panels citoyens de couvrir les frais de transports et donner une petite rétribution (certes très modeste) pour la participation. Pour cette concertation sous l’égide du Cnis, la règle habituelle de la gratuité (hors frais de transport) pour la participation a été appliquée.

Pour réunir les meilleures conditions du débat, il a fallu clarifier le mandat (ce à quoi s’engagent les participants et ce à quoi ils ne s’engagent pas), les marges de manœuvre dans le projet (ce qui peut être remis en question et ce qui est déjà décidé ou fortement contraint). Ceci a été abordé en amont lors du recrutement puis complètement explicité lors de la première séance. Le périmètre, le champ qui est l’objet de la discussion doit aussi être clair pour tous pour ensuite lister les aspects qu’il faudra absolument éclairer pour une discussion sans angle mort. Dans le cas présent, la concertation portait sur le répertoire Résil, mais elle s’est naturellement emparée des appariements que Résil permet. Les questions à éclairer ont été assez facilement déduites de la rencontre du Cnis du 28 janvier 2022.

Des auditions ont permis d’élargir le périmètre de la réflexion en associant des interlocuteurs variés, français comme étrangers :

  • un juriste spécialiste des libertés fondamentales ;
  • la directrice d’un institut anglais spécialisé dans les démarches de concertation avec les citoyens sur les sujets numériques (Ouvrir dans un nouvel ongletPeppin, 2022) ;
  • un expert en matière de médiation avec le grand public ;
  • l’Anssi (Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information) pour évoquer les risques en matière de cybersécurité ;
  • un statisticien connaissant le projet Safari (Ouvrir dans un nouvel ongletPoulain, 2022 ; Espinasse et Roux, 2022) permettant ainsi de commenter les différences majeures avec le projet Résil ;
  • un chercheur en économie pour évoquer les besoins d’informations et comparer à l’international les possibilités en matière d’appariement pour ce public ;
  • Eurostat pour les besoins statistiques et les pratiques des autres pays ;
  • un représentant de Statistique Canada pour évoquer la démarche canadienne d’analyse de la nécessité et la proportionnalité ;
  • un représentant du Cese mais son audition n’a pas pu se tenir.

Les collègues étrangers (Eurostat, Statistique Canada) ont expliqué que les préoccupations étaient largement partagées, et que chaque pays avait mis en œuvre des modalités qui paraissaient appropriées, compte tenu du contexte institutionnel ou culturel propre à chacun.

Un état d’esprit ouvert dans les échanges afin d’accueillir les critiques, questions, propositions

Lors des premières réunions du groupe de concertation, il est apparu essentiel de brosser un tableau d’ensemble permettant à tous les participants, aussi éloignés de la statistique soient-ils, de s’approprier le cadre général (juridique, pratique, déontologique). De ce point de vue, le travail effectué pour le groupe, puis, ensuite, pour préparer la communication grand public a permis à l’Insee de progresser vers plus de simplicité pour des présentations futures. Pour toutes les présentations, les efforts de simplification déjà réalisés pour la rencontre du Cnis, intensifiés pour la première séance et ajustés au fur et à mesure aux besoins des participants au fil des séances, ont été bénéfiques.

Lors des réunions, les choses ont été rendues les plus simples possibles pour les participants, qu’il s’agisse des modalités de participation, de la prise de connaissance des spécificités du sujet et de ses enjeux ou encore de la mise à disposition de supports informatifs et pédagogiques.

Pendant les réunions du groupe, le choix a été fait de donner la priorité à l’échange, donc de , en étant aussi concis et simple que possible pour expliquer le projet, les contraintes et opportunités, les enjeux. Un point d’attention dans tous les débats : éviter l’implicite, car le risque est fort que les interprétations de chacun, conditionnées par son propre référentiel, ne soient pas partagées et que des quiproquos perturbent la réflexion. La clarification du vocabulaire était une étape cruciale. L’animation a permis aux intervenants d’être également précis et concis sans brider l’expression.

Enfin, dans cette concertation, on s’est exposé à des questionnements et des propositions parfois très éloignées de la réflexion déjà réalisée en interne sur le projet, voire en contradiction. Le partage des connaissances, des enjeux et des idées (solutions) participe à créer une dynamique de confiance. Toutefois, pour maintenir la confiance, les échanges ont été retranscrits à chaque séance puis dans le rapport avec le plus de fidélité et de précision possible. La rédaction a fait l’objet d’une validation minutieuse avec les participants pour être fidèle aux débats.

L’apport du groupe du Cnis aux réflexions de l’Insee quant à la construction du projet et son accompagnement est incontestable, mais il est important de souligner que le sujet n’est pas épuisé. D’abord car le temps était limité (sept réunions en cinq mois dont deux pendant l’été) et le sujet vaste, technique et peu débattu jusqu’alors ; ensuite parce que si l’on a cherché à mobiliser des spécialistes en dehors de la statistique publique, ils ne se considéraient pas comme investis de la mission de représenter toute la société dans ce groupe, leur expertise rendant leur approche un peu différente de celle du grand public, même s’ils ont contribué à l’appréhender ; enfin parce qu’il s’agit d’un projet en construction à horizon 2025, dont l’évolution et les usages ne peuvent pas être figés une fois pour toutes.

Continuer à bénéficier de regards extérieurs

La démarche de concertation doit se poursuivre : c’est une préconisation forte du groupe.

La concertation sur Résil n’est pas achevée. Elle se poursuivra, sous des formes adaptées et encore à définir, d’abord durant la phase de mise en œuvre de Résil, puis tout au long de son utilisation. Prolonger la concertation sur les principes de nécessité et de proportionnalité, intervenir en cas de risque de mésusage, conseiller l’Insee dans la mise en œuvre de dispositions spécifiques, auditer le résultat, tester les supports de communication : dans tous ces cas, le recours à des instances extérieures à l’Insee est pour les participants du groupe de concertation une garantie visible par le citoyen que les engagements seront suivis donc tenus.

Pour la suite du projet, des regards extérieurs enrichis (parfois déjà sollicités en amont), permettront de vérifier différentes facettes du projet ou de sa mise en œuvre :

  • le Cnis pour intégrer les besoins mais aussi, si son rôle évolue, pour prendre en compte le point de vue des citoyens contributeurs, au regard des questions éthiques ;
  • la CNIL qui veille au respect de la protection des données personnelles et qui sera consultée pour l’ajout éventuel de sources alimentant Résil ;
  • l’Anssi, pour la sécurité du système d’information. Le recours à l’Anssi est de nature à rassurer les citoyens car le répertoire bénéficiera des protections informatiques les plus fortes (haute protection) et d’une revue de conformité des pratiques à jour ;
  • l’Autorité de la statistique publique (ASP), garante des bons usages à finalités uniquement statistiques et dans le respect du Code de bonnes pratiques de la statistique européenne et « lanceur d’alerte » dans le cas contraire ;
  • des « focus groups » de citoyens pour recueillir leur point de vue sur le dispositif et la manière dont il est présenté.

Au-delà de ces regards, recommandés par le groupe, il sera important de continuer à associer aux échanges des interlocuteurs porteurs de regards spécifiques, sur l’éthique, la protection des libertés publiques, les usages du numérique, etc. Les modalités de cette réflexion commune restent à inventer, mais il est indispensable de poursuivre cette démarche de confrontation des points de vue. Il sera important pour l’Insee de continuer à s’inscrire dans une démarche de communication sur ses travaux et ses valeurs, associée à une écoute renforcée des publics et une qu’il délivre.

Les recommandations du groupe de concertation

En préalable, le groupe a fait part du risque que l’accroissement des appariements encourage une tendance du politique à la « gouvernance par le nombre » : en d’autres termes, la mise à disposition de données plus nombreuses pourrait encourager les gouvernants à ne décider qu’en fonction de données chiffrées. Ce risque existe, mais le groupe a considéré qu’il tenait davantage à l’usage des données plutôt qu’à leur production. Le groupe a également exprimé des craintes sur les risques de mésusages des données de Résil ou des appariements de données qui en résultent en cas de fuite de données consécutive à une cyberattaque, ou lors d’un détournement de finalité à la suite d’une pression politique par exemple.

Les préoccupations du groupe sont centrées sur trois ordres d'idées qui transparaissent dans les recommandations : le principe d'un répertoire de cette nature ; les atteintes à la vie privée qui pouvaient en résulter ; la limitation des accès internes et la protection contre les risques de cyberattaque.

Concernant le principe du répertoire, le groupe a admis que le critère de nécessité était satisfait dans la mesure où les besoins de connaissance avec une précision accrue sont réels et qu’il n’y a pas d’alternative convaincante. L’utilisation de répertoires lui est également apparue conforme au principe de proportionnalité exigé des textes en vigueur. Le groupe a également noté que les services proposés par Résil seraient accessibles uniquement aux agents du Service statistique public, pour des traitements à finalité statistique exclusivement, et que la maîtrise de l'outil demeurerait du seul ressort de l'Insee. Ces éléments ont été précisés dans les textes juridiques fondant Résil.

Un avis défavorable pour certaines sources

L'absence d'usage du et un usage approprié du ) ont été notés ainsi que l’engagement de l’Insee qu’aucune donnée « sensible » au sens du RGPD ne figurerait dans le répertoire.

Face aux sources de données envisagées pour Résil, le a rendu un avis défavorable sur l’utilisation du fichier des titres de séjour des étrangers (), en raison de la sensibilité de la question de la possession des titres de séjour par les étrangers. Il a également émis un avis défavorable en raison d‘un risque d’image et d’une non-proportionnalité pour le fichier de la et pour le fichier (lui-même conglomérat de fichiers de diverses caisses de protection sociale).

Un cadre juridique à enrichir

L’encadrement juridique de Résil par un décret en Conseil d’état pris après avis de la CNIL a paru souhaitable au groupe. Il a recommandé que les sources de données constitutives des répertoires des individus et des logements figurent dans un texte séparé pris après avis du Cnis et de la CNIL, afin de s’assurer qu’un examen de la nécessité et de la proportionnalité soit réalisé pour chaque source utilisée. Ces textes devront être mis à jour, après avis de la CNIL et du Cnis, à chaque modification de la liste des sources (voir les références juridiques en fin d’article).

Le groupe a estimé que le fondement juridique des appariements pouvait être mieux assuré et a recommandé qu’il soit clarifié. Il a par ailleurs jugé que la vigilance sur le risque de stigmatisation de groupes sociaux du fait de l’accroissement du nombre des appariements, bien que déjà présente dans les travaux statistiques actuels, devait être renforcée. À cette fin, le groupe recommande de publier la liste des appariements réalisés grâce à Résil en mentionnant le responsable de traitement, les sources utilisées, les finalités des traitements, les populations concernées, de manière à rendre compte du respect des principes de nécessité et de proportionnalité. Il a préconisé que le Cnis donne un avis d’opportunité sur les appariements réalisés par la statistique publique en prenant en compte les dimensions éthiques et celles liées aux droits et aux libertés des personnes et a recommandé pour cela d’élargir les missions du Cnis et de modifier sa composition, en y nommant des membres compétents en matière de libertés et de protection des données.

Prévenir les mésusages

La sécurité informatique de Résil doit être garantie par l’Insee qui porte la responsabilité du dispositif et des données qu’il traite. Les précautions que l’Institut prendra à cet égard (en conformité avec la politique de sécurité de l’État et des recommandations de l’Anssi) ont paru appropriées au groupe qui demande à ce que la sécurité du système d’information fasse l’objet d’audits réguliers par un intervenant externe.

Le groupe a recommandé également de s’appuyer sur l’Autorité de la statistique publique (ASP) pour prévenir les risques de mésusages qui seraient en contradiction avec les règles fixées : l’ASP doit pouvoir intervenir à titre préventif en cas de pression sur les services et dénoncer tout mésusage ; il est important qu’elle soit régulièrement informée de l’avancement du projet, puis de ses usages.

Développer la communication vers le grand public

Plus largement, le groupe a suggéré de développer une communication à destination du grand public sur l’utilisation des sources administratives et les appariements de données en s’inspirant des bonnes pratiques des instituts nationaux statistiques étrangers, en particulier celui du Canada. Il a recommandé de poursuivre la concertation sur le projet Résil : il a proposé de tenir une nouvelle rencontre du Cnis sur les appariements et la mise en œuvre de Résil en 2025 et a souhaité que le bureau du Cnis et les commissions compétentes soient régulièrement informés des avancées du projet Résil. En ce qui concerne la communication sur le projet et sur ses usages, la transparence doit rester la règle. Pour cela, il a recommandé d’ouvrir une rubrique internet grand public très complète sur le site de l’Insee pour présenter le projet Résil, ses finalités, les apports attendus, les modalités de protection des données, les textes juridiques et la délibération de la CNIL.

Les enseignements de cette concertation

Pour l’Insee, l’exercice a été exigeant, mais très stimulant et utile. Les échanges ont permis une réelle amélioration du projet et une appréciation partagée des enjeux de proportionnalité, permettant de questionner certaines évidences (qui ne l’étaient pas tant que ça, finalement) et de positionner de manière pertinente le curseur. Il en tire des enseignements directs concernant Résil, mais aussi des enseignements plus généraux sur la démarche de concertation et la communication sur la production des statistiques.

Recommandations en lien direct avec le projet Résil

Concernant le projet, l’Insee a décidé de prendre en compte la quasi-totalité des recommandations (figure 3), ce qui était possible grâce à une concertation suffisamment en amont du projet.

Figure 3 - Les recommandations du groupe de concertation

 

Source : Rapport du Cnis n° 161, novembre 2022.

L’Insee a ainsi intégré dans le décret fondant Résil les dispositions recommandées par le groupe. Il a également mis en œuvre, conformément aux recommandations du groupe, une communication spécifique au projet Résil : celle-ci se présente sous la forme de pages internet donnant accès à des infographies et vidéos, avec un travail important pour . Ces supports ont fait l’objet d’un examen critique par un « focus group » composé de personnes représentatives de la société (aux profils variés) qui connaissaient peu ou pas nos travaux. Les échanges très riches d’enseignements ont permis de simplifier au maximum le message délivré. Cette communication vient compléter une communication plus générale sur nos travaux, réalisée grâce à deux billets de blog : l’un « Quels types de sources l’Insee utilise-t-il pour construire ses statistiques ? », le second « Les appariements de données de la statistique publique : des analyses enrichies, un cadre juridique protecteur » (Dupont, mai et septembre 2023).

Dans sa délibération, la CNIL a fait de multiples références aux travaux du groupe de concertation, d’abord pour saluer la démarche engagée par l’Insee, ensuite pour en intégrer les conclusions en complément des informations transmises par l’Insee. Elle appelle de ses vœux la poursuite de la démarche de recherche de regards extérieurs, de prise en compte des questions éthiques, de transparence sur Résil et ce qu’il permettra de faire.

Au-delà du projet Résil, cette démarche de concertation a permis aux membres du groupe de découvrir les travaux et les pratiques des statisticiens publics, notamment l’ampleur des données traitées, ainsi que leurs valeurs. Elle a, de plus, fortement incité l’Insee à communiquer davantage sur ses travaux et ses valeurs.

Enseignements pour mener les concertations sur des projets à fort impact

Par rapport aux pratiques de concertation plus habituelles du Cnis, le format de la concertation retenu pour Résil est différent : il associe des personnalités plus éloignées de la statistique publique et de ses utilisations. La mise au point s’est appuyée sur diverses pratiques et expertises de concertation (, chercheurs, Cese, etc.). À l’issue de cet exercice, il est possible de tirer des enseignements qui ne sont pas spécifiques à Résil.

Afin que la concertation soit génératrice d’impacts sur le projet et donc d’intérêt à participer pour les parties prenantes, il est indispensable de la positionner assez tôt dans le calendrier du projet, dès que ses grandes lignes sont connues, avec peut-être l’apport d’un prototype de ce que l’on souhaite réaliser et des expérimentations sur certaines parties du projet. Le tempo est important, car si cela intervient trop tôt, le risque est de discuter sur des principes très abstraits ; au contraire, si le projet est trop avancé, la marge de manœuvre de co-construction est trop limitée.

Il ne faut pas sous-estimer le temps nécessaire à la préparation du cadre de concertation : toute concertation implique de déterminer son champ, son organisation opérationnelle, les règles du dialogue, puis de mettre en place la structure (infrastructure de concertation, recherche de « concertants », création des supports pédagogiques pour éclairer de façon pédagogique le sujet de concertation).

Suivant en cela les recommandations du groupe de concertation, la concertation sur Résil devra se poursuivre au sein du Cnis, instrument de gouvernance central en matière de concertation sur la statistique publique en France. Ce dernier devra être le garant d’un équilibre constant entre le besoin de connaissance et la protection des libertés individuelles, dans un contexte marqué par un recours croissant aux appariements de données individuelles.

Plus généralement, Résil ouvre des perspectives de développement des appariements dans un cadre protecteur sur le plan informatique, juridique et éthique. Cela suppose de faire évoluer les modalités de concertation en accordant plus de place aux réflexions sur la protection des libertés individuelles en matière d’appariements. Cette réflexion est en cours.

Fondements juridiques

Voir l’article d’Olivier Lefebvre sur Résil dans ce même numéro et plus généralement le dossier dont le présent article fait partie.

Il s’agit notamment d’une demande récurrente d’Eurostat (https://www.insee.fr/fr/metadonnees/definition/c1292). Lors de la pandémie de Covid-19, l’intérêt de fournir rapidement des informations a été mis en évidence.

Voir l'article du Courrier des statistiques N6 : « Le Conseil national de l'information statistique : la qualité des statistiques passe aussi par la concertation », Isabelle Anxionnaz et Françoise Maurel.

Le comité européen de la protection des données est une instance de coordination des autorités de protection des données comme la CNIL des 27 États membres. Ouvrir dans un nouvel onglethttps://www.edpb.europa.eu/about-edpb_fr.

Voir les références juridiques en fin d’article.

Le Comité du label de la statistique publique évalue les modalités de mise en œuvre des enquêtes, notamment en prenant en compte la qualité statistique du projet, la charge qu’implique l’enquête pour les personnes physiques ou morales, le degré de concertation avec les utilisateurs et le respect des termes de l’avis d’opportunité délivré par le Cnis. Il intervient aussi à la demande de l’Autorité de la statistique publique (ASP), lors de la labellisation ou de la reconnaissance de la qualification de statistiques d'intérêt général de statistiques administratives, produites par des organismes chargés d’une mission de service public ne faisant pas partie du Service statistique public (SSP).

La proportion conseillée par la Commission nationale du débat public est 2/3 d’échange pour 1/3 de présentation.

Perception de l'image de l'Insee et de ses indicateurs socioéconomiques auprès du « grand public », enquête menée annuellement : https://www.insee.fr/fr/information/3669009.

NIR : Numéro d’inscription au Répertoire national d’identification des personnes physiques ou numéro de sécurité sociale.

Voir l'article du Courrier des statistiques N9 : « Le code statistique non signifiant : un enjeu majeur pour le service statistique public », Yves-Laurent Bénichou, Lionel Espinasse et Séverine Gilles.

Le détail est donné en partie 5.3.7 du rapport du groupe de concertation (Ouvrir dans un nouvel ongletRapport du groupe de concertation du Cnis, 2022).

AGDREF : Application de gestion des dossiers des ressortissants étrangers en France.

La carte Vitale est la carte de l'assurance maladie en France.

Le projet Résil : un outil pour mieux connaître la société française, Présentation grand public de Résil sur le site insee.fr : https://www.insee.fr/fr/information/7748883.

Commission nationale du débat public.

Pour en savoir plus

AGACINSKI, Daniel, 2018. Ouvrir dans un nouvel ongletExpertise et démocratie. Faire avec la défiance. In : Rapport de France Stratégie. [en ligne]. Décembre 2018. [Consulté le 7 mai 2024].

ANXIONNAZ, Isabelle et MAUREL, Françoise, 2021. Le Conseil national de l’information statistique – La qualité des statistiques passe aussi par la concertation. In : Courrier des statistiques. [en ligne]. 8 juillet 2021. Insee. N° N6, pp. 123-142. [Consulté le 7 mai 2024].

BÉNICHOU, Yves-Laurent, ESPINASSE, Lionel et GILLES, Séverine, 2023. Le code statistique non signifiant (CSNS) : un service pour faciliter les appariements de fichiers. In : Courrier des statistiques. [en ligne]. 30 juin 2023. Insee. N° N9, pp 64-85. [Consulté le 7 mai 2024].

BUREAU, Dominique, 2020. L’Autorité de la statistique publique. Dix ans d’activité, pour une statistique indépendante et de qualité. In : Courrier des statistiques. [en ligne]. 31 décembre 2020. Insee. N° N5, pp. 21-38. [Consulté le 7 mai 2024].

Chaire valeurs et politiques des informations personnelles, 2019. Ouvrir dans un nouvel ongletDonnées personnelles et confiance : évolution des perceptions et usages post-RGPD. In : site de chaire VP-IP. [en ligne]. 31 octobre 2019. [Consulté le 7 mai 2024].

CHRISTINE, Marc et ROTH, Nicole, 2020. Le Comité du label. Un acteur de la gouvernance au service de la qualité des statistiques publiques. In : Courrier des statistiques. [en ligne]. 31 décembre 2020. Insee. N° N5, pp. 39-52. [Consulté le 7 mai 2024].

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CNIL, 2016. Ouvrir dans un nouvel ongletLe règlement général sur la protection des données – RGPD. In : site de la CNIL. [en ligne]. 24 mai 2016. [Consulté le 7 mai 2024].

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CNIS, 2022. Ouvrir dans un nouvel ongletRencontre – Appariements de données individuelles : entre richesse de l’information statistique et respect de la vie privée. In : Site du Cnis. [en ligne]. 28 janvier 2022. [Consulté le 7 mai 2024].

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