Courrier des statistiques N3 - 2019

Le numéro N3 consacre pas moins de six articles à l’innovation dans la statistique publique. L’arrivée des données de caisses fait évoluer la méthodologie de l’indice des prix à la consommation (IPC) à compter de 2020. Le Centre d’accès sécurisé aux données (CASD) innove également avec la certification de recherches fondées sur données confidentielles. Innovation encore pour développer la plateforme de collecte par internet auprès des entreprises, avec un générateur automatique et un outil de conception des questionnaires, complétant l’offre de service pour les enquêtes auprès des entreprises. Enfin, s’appuyant sur un socle commun, deux nouveaux règlements européens sur les statistiques d’entreprise (FRIBS) et sociales (IESS) vont avoir des conséquences concrètes pour les producteurs, les utilisateurs et la cohérence entre domaines ; ce numéro en présente les avancées pour l’Insee, ainsi que pour le système statistique allemand.

Courrier des statistiques
Paru le :Paru le19/12/2019
Véronique Alexandre, en fonction au département de la Coordination statistique et internationale, Insee, et Jean-Pierre Cling, Chef du département de la Coordination statistique et internationale, Insee
Courrier des statistiques- Décembre 2019
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Le système statistique allemand Une évolution facilitée par la réglementation européenne

Véronique Alexandre, en fonction au département de la Coordination statistique et internationale, Insee, et Jean-Pierre Cling, Chef du département de la Coordination statistique et internationale, Insee

L’organisation du système statistique public en Allemagne, adaptée à une république fédérale, présente trois caractéristiques principales. En premier lieu, un légalisme contraignant qui exige que toute enquête statistique soit régie par une loi spécifique (ou dans certains cas par un acte législatif délégué). En second lieu, une décentralisation très marquée avec un office statistique fédéral, Destatis, et quatorze offices statistiques des Länder qui en sont indépendants. Enfin, une forte concentration fonctionnelle et l’absence de services statistiques ministériels au sens français du terme. Les évolutions de la réglementation européenne ont donné des marges de liberté nouvelles au système statistique allemand, notamment des possibilités de recours plus large aux données administratives et d’ouverture accrue des données statistiques au monde de la recherche. Elles ont également renforcé le rôle de coordination de Destatis.

Le système statistique allemand est encadré, décentralisé et coordonné par consensus

, la statistique publique en Allemagne apparaît comme très encadrée par la loi. Façonnée par l’organisation fédérale du pays, elle est fortement décentralisée et coordonnée essentiellement par consensus. En particulier, les composantes du système statistique public, l’office statistique fédéral, Destatis, et ceux des Länder, jouissent chacune d’une totale indépendance administrative et financière vis-à-vis des autres. L’accès aux données administratives est par ailleurs très encadré.

Mutatis mutandis, cette organisation s’apparente à bien des égards à celle de la statistique européenne. En effet, la relation d’harmonisation par la négociation entre Destatis et les offices statistiques des Länder ressemble à celle qui prévaut entre Eurostat et les Instituts nationaux de statistique (INS). De plus, la régulation d’ensemble est largement portée par la loi en Allemagne, par les règlements au sein de l’Union européenne. En revanche, Destatis concentre l’essentiel des statistiques publiques au niveau fédéral et il n’existe pas, comme en France, de services statistiques ministériels à part entière.

Un encadrement législatif fort

Le cadre juridique de la statistique publique est inscrit dans le texte même de la constitution allemande du 23 mai 1949. L’article 73 de celle-ci (alinéa 11) attribue la compétence législative pour les statistiques fédérales au niveau fédéral.

La loi sur les statistiques fédérales (Bundesstatistikgesetz) de 1987 (remplaçant la première loi datant de 1953), dont la dernière modification substantielle remonte à 2016, est basée sur cet article. Elle réglemente notamment l’organisation et les missions de Destatis (voir ci-après) et du Conseil de la statistique. Elle précise que toute statistique doit avoir pour fondement une dans laquelle sont définies la couverture, la périodicité et les variables d’enquête. Ce principe s’applique également pour les règlements statistiques européens.

Certaines adaptations sont cependant possibles sous certaines conditions à travers un acte législatif délégué pris par le gouvernement (équivalent d’une ordonnance) avec l’accord de l’assemblée qui réunit les représentants des Länder (Bundesrat). Trois cas de figure autorisent le suivi de cette procédure : un alourdissement marginal des enquêtes (ajout de variables, augmentation de la taille de l’échantillon, etc.), dont la validité peut atteindre jusqu’à trois ans ; en sens inverse, des allègements marginaux (par exemple report d’une enquête ou réduction du nombre de répondants), dont la validité peut atteindre jusqu’à quatre ans ; enfin, l’application des nouveaux règlements statistiques européens.

La loi sur les statistiques fédérales ne concerne pas les Länder (art. 83 de la constitution) : chacun d’entre eux a également sa propre qui, sans contredire la loi fédérale (art. 87, alinéa 3), indique comment sont remplies les obligations fédérales et la complète pour prendre en compte ses propres spécificités.

Il en résulte que le processus de toute nouvelle opération statistique ou toute modification substantielle d’une statistique existante est long, car il nécessite un vote identique des deux chambres, le parlement fédéral (Bundestag) et l’assemblée qui réunit les représentants des Länder (Bundesrat).

Cet encadrement oblige les statisticiens à une grande transparence vis-à-vis du législateur et du public. Ceux-ci doivent notamment évaluer l’impact des changements qu’ils proposent, les envisager dans la durée, les expliciter et les justifier. Le vote des lois par les deux chambres introduit une forte dimension de négociation et de concertation que l’on retrouve dans le cadre des relations entre l’office statistique fédéral et ceux des Länder.

Le Conseil de la statistique (Statistischer Beirat) représente, lui, les utilisateurs, les fournisseurs et les producteurs de données qui peuvent y exprimer leurs besoins et avis (encadré 1).

La loi sur les statistiques fédérales de 1987 (et ses révisions ultérieures) a renforcé l’encadrement juridique de la statistique publique en Allemagne. Il s’agissait de tirer les conclusions d’un jugement de la Cour fédérale constitutionnelle relatif au . Ce jugement répondait à l’inquiétude de l’opinion publique et étendait la protection des libertés individuelles face à l’utilisation croissante des fichiers informatiques et à l’abondance des enquêtes statistiques. En conséquence, la loi statistique et des lois spécifiques ont restreint en particulier l’interconnexion des fichiers et fixé des exigences particulières pour les offices statistiques.

Encadré 1. Le Conseil de la statistique représente les utilisateurs, les producteurs et les fournisseurs de données statistiques

Le Conseil de la statistique en Allemagne est l’équivalent du Conseil national de l’information statistique en France. Son rôle est de conseiller Destatis sur les questions statistiques. Son secrétariat est assuré par ce dernier, tandis que son président est élu parmi ses membres. Le Conseil de la statistique recueille les besoins des utilisateurs : représentants des différents secteurs économiques, des professions libérales, des syndicats de salariés et d’employeurs, des associations environnementales, des communes, du monde de l’éducation et de la communauté scientifique. Il tient également compte des avis des répondants aux enquêtes statistiques et des producteurs de données eux-mêmes (Destatis, les offices statistiques des Länder et Eurostat). Le niveau fédéral y est représenté par les ministères, la Cour des comptes, la Deutsche Bundesbank et un délégué au niveau fédéral pour la protection des données. Il existe aussi une commission statistique régionale dans chaque office de Land, équivalente au Conseil de la statistique, qui doit être consultée sur la législation, les modifications ou le maintien de statistiques ; elle peut proposer la mise en place, la modification ou des compléments à des travaux statistiques.

Au final, l’utilisation des fichiers administratifs à des fins statistiques (compte tenu des difficultés d’appariement, de partage de données entre administrations, etc.) est restée moins développée en Allemagne que dans beaucoup de pays développés et notamment en France, où la statistique publique s’est de plus en plus appuyée sur les sources administratives.

Une décentralisation marquée

Le système statistique public allemand s’inscrit dans l’organisation fédérale de l’Allemagne, qui diffère radicalement de l’organisation très centralisée de la France. Celle-ci distingue un niveau fédéral qui dispose de compétences exclusives (défense, politique extérieure, nationalité notamment) et seize Länder qui ont chacun leurs propres institutions politiques (un gouvernement, un parlement, une administration, une cour constitutionnelle). Ces derniers bénéficient d’une dévolution totale dans plusieurs domaines (éducation, culture, police, etc.), ou partagent les compétences avec le niveau fédéral (droit du commerce par exemple).

La statistique publique est une compétence partagée. Elle repose ainsi sur une institution fédérale chargée des statistiques, le Statistisches Bundesamt (Destatis), et sur les offices statistiques des Länder, qui jouissent d’une totale indépendance par rapport à Destatis (article 83 de la constitution) mais qui exécutent la loi fédérale. Très schématiquement, ces derniers collectent et traitent les données tant pour le niveau fédéral et européen que pour le niveau régional. Ils fournissent à Destatis principalement des données agrégées pour lui permettre d’établir les statistiques fédérales et des données détaillées (micro-données). Les données individuelles sur les ménages sont anonymisées avant leur transmission à l’office statistique fédéral. Destatis est, pour sa part, responsable de la conception des opérations statistiques, du calcul et de la diffusion des résultats au niveau de l’Allemagne, ainsi que de la coordination d’ensemble du système statistique public.

Le rôle de coordination d’ensemble de Destatis

Destatis est une administration fédérale autonome, rattachée au ministère de l’Intérieur. en 2018 (Destatis, 2018) et disposait en 2019 d’un budget de 280 millions d’euros. Son siège est à Wiesbaden (capitale du Land de Hesse), sachant qu’il existe un bureau de taille importante à Bonn et une antenne à Berlin. Son président (Georg Thiel depuis octobre 2017) est nommé par le Président de la République sur proposition du gouvernement fédéral.

Destatis représente le système statistique allemand dans les instances internationales. Aux réunions du Comité du système statistique européen, le Président de Destatis est accompagné d’un représentant des offices des Länder.

Dans le contexte fédéral allemand, Destatis ne peut pas transmettre des directives aux offices statistiques des Länder et agit en partenariat avec eux. Ce partenariat opère de manière informelle, avec des compte-rendus de réunions qui actent des décisions prises (de manière analogue au fonctionnement des réunions du comité du système statistique européen, hors comitologie). Destatis exerce une coordination des travaux de production et veille à la qualité homogène des résultats au niveau national. Il bénéficie également de la concertation étroite qui existe avec les offices des Länder au sein de la Conférence des dirigeants des offices statistiques, qui les réunit, mais aussi via des échanges permanents entre eux.

Destatis est également responsable, au niveau fédéral, de la préparation du programme statistique, des normes et études méthodologiques et techniques, des publications ainsi que du traitement et de la fourniture de données à Eurostat et aux autres institutions internationales.

Il produit en propre notamment les statistiques du commerce extérieur et une enquête sur «  », collectant les données et les traitant au niveau central. Il a la responsabilité de la conduite des opérations de niveau fédéral et des enquêtes européennes, sans avoir la possibilité de diriger toutes les phases des travaux. En particulier, Destatis tire les échantillons pour les enquêtes de niveau fédéral telles que le Mikrozensus (Rivière, 2019). Les Länder publient les résultats des enquêtes pour leur Land, .

Les offices statistiques des Länder, piliers de la statistique publique

Les quatorze offices statistiques régionaux (pour seize Länder, du fait de deux regroupements) ne dépendent pas de l’office central comme en France, mais en général du ministère de l’Intérieur de leur Land, quelquefois de celui des finances. La définition de leur programme statistique tient compte des demandes de tous les ministères de leur Land, avec lesquels sont négociés les travaux à effectuer.

Comparés à ceux de Destatis, le budget et le personnel global des offices statistiques des Länder (environ 4 700 employés au total) en représentent plus du double. À l’Insee, le ratio est du même ordre de grandeur (environ 2,5) entre les effectifs des directions régionales et ceux de la direction générale.

Ces offices régionaux collectent et traitent les données tant pour le niveau fédéral et celui de l’Union européenne que pour le niveau régional. Pour l’office statistique de l’Union européenne Eurostat, ce sont d’ailleurs tous des ONAs (Other National Authorities), même s’ils ne transmettent pas les statistiques européennes directement à Eurostat. En effet, si les offices statistiques des Länder contribuent à produire les statistiques européennes pour leur territoire, c’est Destatis qui se charge de les transmettre à Eurostat.

Les offices régionaux de statistique ont développé une coopération entre eux, grâce au Comité de pilotage sur la coopération optimisée, La Optiko (Lenkungsausschuss « Optimierte Kooperation »), où siègent les chefs des offices statistiques (du niveau fédéral et des Länder). Ils y travaillent notamment à la mutualisation du développement et de la maintenance de logiciels ainsi qu’à la standardisation des processus de traitement et d’apurement des données.

Chacun d’entre eux publie ses propres résultats et analyses : mensuellement, pour l’indice des prix à la consommation (élaboré selon une méthodologie différente de celle de l’indice des prix harmonisé au niveau européen) et l’indice de la production industrielle ; trimestriellement, pour les salaires dans l’industrie. Ils diffusent également les résultats des enquêtes qu’ils ont collectées, soit au total l’équivalent des deux tiers des .

Ces offices régionaux peuvent par ailleurs réaliser différents types d’analyses et de recherches, prévisions et modélisations en relation avec les administrations régionales compétentes ou le niveau fédéral. À la demande de leur ministère de tutelle, ils peuvent aussi participer à la préparation de règlements juridiques et administratifs concernant le niveau fédéral ou régional.

Coopération et mutualisation sont aussi très développées pour les comptes régionaux. Les comptes nationaux de l’Allemagne relèvent de la responsabilité de Destatis. Une fois ceux-ci publiés, les comptes régionaux des Länder (et ceux établis à un niveau géographique encore plus fin) sont établis et publiés par un groupe de travail commun qui existe depuis 1954 (Ouvrir dans un nouvel ongletFrey et Thalheimer, 2010). Tous les offices statistiques des Länder en sont membres avec droit de vote, alors que Destatis y participe . Celui du Bade-Wurtemberg en assure la présidence et la direction. L’organisation retenue est originale : au lieu d’établir les comptes annuels pour son Land, chaque autorité régionale est responsable du calcul d’un agrégat économique ou d’un secteur économique pour l’ensemble des seize Länder. Cela garantit une cohérence d’ensemble des comptes des Länder, fondés sur les mêmes sources et des méthodologies identiques.

Un principe de concentration fonctionnelle du système statistique public...

En Allemagne, Destatis et les offices statistiques des Länder sont les principaux producteurs de statistiques fédérales et européennes. À la différence de la France où la loi statistique affirme dès son article 1 que l’Insee et les services statistiques ministériels sont les deux composantes du service statistique public, la loi statistique allemande n’évoque à aucun endroit l’existence de services statistiques ministériels (ou d’). Cela implique que les ministères n’ont pas de légitimité à disposer d’un service statistique, à la différence de ce qui existe en France. Le système statistique public allemand est par conséquent caractérisé par une nette concentration fonctionnelle.

Ainsi, Destatis (avec l’aide des offices de Länder) est notamment responsable au niveau fédéral des statistiques économiques, démographiques et sociales et des comptes nationaux comme l’est l’Insee en France mais également de celles de l’agriculture, de l’environnement, du commerce extérieur, de la santé, de la protection sociale et de l’éducation, qui en France relèvent des services statistiques ministériels. Cette organisation présente certains avantages. Destatis et les offices statistiques des Länder peuvent ainsi potentiellement centraliser toutes les , si tant est qu’elles s’expriment effectivement, ce qui donne une plus grande cohérence aux travaux. Les ministères demeurent cependant l’instance de décision politique et budgétaire pour le travail statistique. Ils en sont les principaux utilisateurs et, à ce titre, réalisent aussi des analyses.

De la même manière, chaque office statistique régional répond aux demandes des ministères de son Land avec des priorités qui peuvent varier suivant les régions. Il en résulte certaines contraintes pour Destatis qui a un rôle de négociation, d’harmonisation et de coordination des productions statistiques. En effet, il doit publier, sur commande fédérale, les résultats fédéraux à partir de données qui doivent être également commandées par les ministères des Länder, et collectées par les offices régionaux dans la majorité des cas. La plupart d’entre elles ne sont transmises que sous forme anonyme et parfois seulement sous des formes agrégées.

... Avec cependant quinze autres producteurs de statistique européenne

Des missions de statistique européenne sont assumées par quinze autres entités que Destatis au niveau fédéral. Au sein de ces entités, la mission statistique est assurée par des équipes de taille réduite. Si la concentration fonctionnelle affichée comme principe juridique est réelle en pratique, elle est moindre qu’aux Pays-Bas par exemple, où elle est poussée à l’extrême (il n’existe pas d’ONA).

Outre les offices statistiques des Länder, les entités définies comme ONAs sont la Banque centrale (Bundesbank), qui produit les statistiques monétaires et celles de la balance des paiements, et des administrations fédérales aux statuts très variés. Il s’agit surtout d’offices, dans des domaines très divers (emploi, migrations et réfugiés, automobile, environnement, agriculture et alimentaire, protection des consommateurs), d’instituts spécialisés (emploi, santé, etc.) et enfin de deux ministères (Travail et affaires sociales, Éducation et recherche). Ce ne sont toutefois pas des , au sens français du terme mais des ONAs qui produisent et diffusent à Eurostat des statistiques européennes dans leur domaine de compétence. Ceci diffère des offices statistiques des Länder, qui envoient leurs chiffres à Destatis qui les agrège ensuite et les transmet à Eurostat. Ces statistiques ne proviennent généralement pas d’enquêtes, mais de sources administratives.

Les évolutions de la réglementation européenne ont levé plusieurs contraintes

La réglementation européenne a beaucoup évolué au cours des trente dernières années (Voir l'article d'Hervé Piffeteau dans ce même numéro). L’introduction du code de bonnes pratiques de la statistique publique en 2005 et les règlements statistiques de l’Union européenne ont permis aux autorités statistiques allemandes d’introduire une certaine souplesse dans leur dispositif législatif.

En particulier, la révision en 2015 du règlement européen n° 223/2009 relatif aux statistiques européennes a donné aux Instituts nationaux de statistique (Destatis en Allemagne et l’Insee en France) un rôle de coordination de l’ensemble des activités en lien avec les statistiques européennes produites au niveau national. Elle a conféré également à ces mêmes Instituts nationaux de statistique et aux autres autorités statistiques nationales (en particulier les offices statistiques des Länder en Allemagne) « un droit d’accès gratuit et immédiat à l’ensemble des fichiers administratifs de même qu’un droit d’utilisation et d’intégration de ces fichiers aux statistiques, etc. ». Ce ayant force de loi dans les États membres pour ce qui a trait aux statistiques européennes, il a donné des marges de liberté nouvelles tout particulièrement au système statistique allemand ainsi qu’à Destatis pour y faire évoluer son rôle et son positionnement.

Encadré 2. Les missions autres que statistiques de Destatis

Les missions de Destatis se limitent à la production statistique et ne couvrent pas les études économiques, ce qui est le cas de la quasi-totalité des INS dans le monde (à l’exception notable de l’Insee). Pour autant, ceci n’empêche pas celui-ci de participer à d’autres activités.

Son président est en charge de l’organisation des élections législatives et de celles au Parlement européen, ainsi que de la publication de leurs résultats. Cette particularité allemande est unique au monde à notre connaissance.

Par ailleurs, Destatis apporte son soutien matériel et technique à un Conseil d’experts en économie*, dénommé « les Cinq Sages de l’économie », qui est abrité dans ses locaux. Ce Conseil a été créé en 1963 dans le but de conseiller le gouvernement fédéral et le Bundestag (Parlement fédéral) sur les questions économiques, en particulier en réalisant des analyses et prévisions conjoncturelles.

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* Der Sachverständigenrat zur Begutachtung der gesamtwirtschaftlichen Entwicklung.

Le règlement statistique de 2009 avait, lui, donné la possibilité à Eurostat et aux Instituts nationaux de statistique d’ouvrir l’accès des données statistiques confidentielles (indirectement nominatives) à des chercheurs, à des fins scientifiques. Là encore, le règlement ne portait que sur les données intervenant dans la statistique européenne, mais son impact juridique et pratique était fort en Allemagne du fait du développement de la statistique européenne au cours des dernières décennies.

En outre, la revue par les pairs, menée en 2015 dans le cadre européen, avait adressé au système statistique public et aux pouvoirs publics allemands plusieurs recommandations pour une meilleure mise en œuvre du code de bonnes pratiques, qui concernaient notamment l’accès aux données administratives et le rôle de Destatis (Ouvrir dans un nouvel ongletFenwick, Hackl et Potisepp, 2015).

Ainsi la dernière révision de la loi statistique, votée le 27 juillet 2016, comportait plusieurs orientations :

  • une plus grande utilisation des fichiers administratifs, notamment dans l’objectif de réduire la charge de réponse aux enquêtes ;
  • une plus grande ouverture des données statistiques aux chercheurs (voir infra) ;
  • un assouplissement des obligations législatives pour la production des statistiques fédérales, en particulier, pour les enquêtes ad hoc qui pourraient être décidées par le biais d’actes réglementaires.

Le recours aux sources administratives est élargi mais reste très encadré

L’usage des données administratives reste très encadré en Allemagne et doit être réalisé dans le . En particulier, dans un contexte de forte protection des données, leur récupération est conditionnée à leur anonymisation par la suppression des identifiants individuels (pour les données sur les ménages). Ceci interdit de fait les appariements avec d’autres sources pour ces données, sachant que les appariements sont possibles pour une liste limitative de données qui sont surtout économiques (cf. le répertoire d’entreprises). Destatis et les offices des Länder ne peuvent recourir à des fichiers d’adresses que pour un objectif statistique particulier mentionné par une loi spécifique.

La révision de la loi statistique de 2016 autorise l’office statistique fédéral à demander aux administrations concernées des métadonnées et des données de test. Ces premières ouvertures devraient se renforcer sensiblement dans les toutes prochaines années. En effet, le gouvernement fédéral allemand souhaite développer l’administration numérique, notamment par la mise en commun des données entre services ministériels grâce à des registres administratifs interconnectés. Ces évolutions ouvriraient largement les sources administratives au système statistique public allemand et le mettraient en conformité avec le règlement statistique européen 223/2009, qui prévoit une large utilisation de ces sources (Bens et Schukraft, 2019).

Par ailleurs, Destatis a lancé le projet de remplacer les recensements de population par l’utilisation de registres administratifs à l’horizon 2031.

Un accès plus large pour le monde de la recherche

La création par l’office statistique fédéral d’un centre de données pour mettre à disposition des données statistiques aux chercheurs remonte à 2001. Elle a été suivie dès 2002 par la création d’un centre de données par les offices des Länder. Aujourd’hui, les données individuelles sont stockées sur un site centralisé et accessibles via un portail unique des offices statistiques (fédéral et régionaux).

Du fait d’une prudence juridique de la part du système statistique public, et de l’absence d’organismes équivalents à ceux qui existent en France (Commission nationale pour l’informatique et les libertés, Comité du secret statistique), la communication de données individuelles à l’extérieur des offices statistiques était assez restreinte jusqu’à la révision de la loi statistique de 2016. Celle-ci a élargi l’accès des chercheurs aux micro-données statistiques, avec l’ajout d’un article précisant les conditions d’accès à des données individuelles « formellement anonymisées ».

Le rôle de coordination de Destatis a été renforcé dans le droit

Le rôle de coordination de Destatis a été renforcé par la révision en 2015 du règlement européen n° 223/2009. Celui-ci a conféré aux instituts nationaux statistiques un rôle de coordination du système statistique national pour les statistiques européennes. Depuis 2016, Destatis organise ainsi avec tous les ONAs (hors offices de Länder) une réunion annuelle d’un groupe de travail sur les statistiques européennes, sachant qu’un accord-cadre a été signé avec chacun de ces ONAs.

Avec les offices statistiques des Länder, Destatis met en œuvre cette coordination renforcée par la voie d’un « pilotage par la qualité », qui consiste à s’assurer de la qualité des processus statistiques et de celle des données produites.

Le rapport de la revue par les pairs, conduite par Eurostat en 2015, va dans ce sens. Il met l’accent sur le fait que Destatis est en charge de veiller au niveau élevé de conformité au code de bonnes pratiques de l’ensemble des statistiques fédérales, y compris celles produites par les ONAs.

Au moment de la rédaction de cet article, Destatis était en train de lancer une stratégie de suivi de la qualité des statistiques décentralisées (produites en coopération avec les offices des Länder), complétant la stratégie de suivi de la qualité des statistiques produites par Destatis seul (statistiques centralisées) adoptée en 2018. Par ailleurs, la préparation d’un programme statistique national consolidé (qui était aussi une recommandation de la revue par les pairs) a démarré et pourrait être achevée prochainement.

 

Figure 1. Carte de l’Allemagne et des 16 Länder

 

 

Note : il existe 14 offices statistiques pour les 16 Länder administratifs, sachant que l’office de Berlin-Brandebourg (basé à Berlin) et celui de Hambourg-Schleswig-Holstein (basé à Hambourg) couvrent chacun deux Länder.

 

Nota : les auteurs remercient Thomas Riede, Kay Sommer et Bernd Stoertzbach de Destatis, pour leurs commentaires précieux sur une première version de cet article. Les auteurs demeurent entièrement responsables des opinions exprimées et des erreurs qui pourraient subsister.

Le système statistique allemand a été antérieurement présenté, d’une part à l’occasion d’une comparaison France-Allemagne (Alexandre, de Gimel et Heinlein, 1997) et d’autre part, dans le cadre de présentation des systèmes statistiques des grands pays européens (Lefèvre, 1998, 1999).

En France, la statistique ne fait pas partie des domaines relevant de la loi (cf. article 34 de la Constitution de la République française qui liste les domaines relevant de la loi).

La Rhénanie du Nord-Westphalie est le seul Land à ne pas avoir de loi statistique.

La Cour constitutionnelle fédérale a mis fin au recensement prévu pour 1983 avec son « jugement de recensement » du 15 décembre 1983 et a développé le droit à l’autodétermination informationnelle. La collecte et le traitement des données à caractère personnel ont été soumis à des exigences accrues en matière de statistiques publiques.

À titre de comparaison, l’Insee employait 5 370 personnes fin 2018, dont environ 1 500 étaient affectées à la direction générale (Montrouge et Metz). Le budget de l’Insee était de 442 millions d’euros en 2019.

Coût des démarches et formalités administratives pesant sur les personnes et les entreprises. Cette enquête n’entre pas dans le champ des enquêtes soumises à la loi statistique.

Après l’entrée en vigueur au début des années 2020 du règlement-cadre européen sur les statistiques sociales, l’enquête sur les revenus et les conditions de vie des ménages devra fournir, comme le fait déjà l’enquête emploi, des résultats régionaux pour certains indicateurs dans tous les pays de l’Union européenne.

En mai 2019, la répartition est de 128 statistiques fédérales centralisées et 246 décentralisées.

L’office public local de la statistique et des élections de Francfort, en tant que représentant du Congrès des villes allemandes, est également membre du groupe de travail sans droit de vote.

Une seule mention d’agences ayant une mission de production statistique figure dans la loi – article 3(2) – mais seulement à propos de leur obligation de fourniture de données individuelles à l’office statistique fédéral à sa demande.

On notera que les demandes de statistiques sont principalement passées aux offices statistiques, mais elles peuvent l’être à des universités ou à des instituts sans but lucratif, notamment les instituts dits de conjoncture.

La plupart des offices ou agences travaillent dans la sphère d’un ministère. Par exemple, l’agence fédérale de l’Agriculture et de l’alimentation, en tant que prestataire de services central du ministère fédéral de l’Agriculture, prépare des données sur divers sujets agricoles et nutritionnels. C’est une autorité centrale dont le siège est à Bonn. La base de données provient de diverses sources : les statistiques internes, les chiffres des Länder, du Ministère fédéral de l’Agriculture, de l’office statistique fédéral et d’Eurostat au niveau international.

Il existe cependant des unités ministérielles qui ont le terme « statistique » dans leur intitulé, par exemple : la division M5 (statistiques de migration) du ministère de l’Intérieur, la division I-C3 (Direction I, département 3) du ministère de l’Économie et l’énergie ou encore les divisions I-1b-4 et 5 et la division II-a4 du ministère du Travail et des affaires sociales. Le ministère de l’Agriculture a un site dédié aux statistiques : http://www.bmel-statistik.de/.

Pour la France, l’impact de ce règlement est faible dans ces deux domaines, puisque l’Insee accède aux données administratives et coordonne le système statistique français de longue date (Décret n° 46-1432 du 14 juin 1946, article 1).

Une nouvelle loi fédérale sur la protection des données a été adoptée en 2018 pour prendre en compte l’entrée en application dans tous les pays de l’Union européenne du règlement général sur la protection des données (RGPD).

Pour en savoir plus

ALEXANDRE, Véronique, DE GIMEL, Louis et HEINLEIN, Dirk, 1997. Environnement institutionnel de la statistique – Comparaison France-Allemagne. In : Courrier des statistiques. [en ligne]. Décembre 1997. N° 83-84, pp. 35-64. [Consulté le 24 septembre 2019].

BENS, Arno et SCHUKRAFT, Stefan, 2019. Modernisation des registres administratifs en Allemagne - Développements actuels et enjeux pour la statistique publique. In : Courrier des statistiques. [en ligne]. 27 juin 2019. N° N2, pp. 10-20. [Consulté le 24 septembre 2019].

DESTATIS, 2018. Ouvrir dans un nouvel ongletIhr Nutzen. Unser Auftrag. In : site web de Destatis. [en ligne]. Wiesbaden. [Consulté le 24 septembre 2019].

FENWICK, David, HACKL, Peter G. et POTISEPP, Priit, 2015. Ouvrir dans un nouvel ongletPeer Review Report on compliance with the Code of Practice and the coordination role of the National Statistical Institute : Germany. In : site web d’Eurostat. [en ligne]. Février 2015. Luxembourg. [Consulté le 24 septembre 2019].

FREY, Jeanette et THALHEIMER, Frank, 2010. Ouvrir dans un nouvel ongletGermany Regional GVA Inventory. In : site web duBaden-Württemberg Statistiches Landesamt. [en ligne]. Juin 2010. Stuttgart. [Consulté le 24 septembre 2019].

LEFÈVRE, Cécile, 1998. La statistique en Allemagne. [en ligne]. Octobre 2018. Insee. Regards à l’étranger, N° 2. [Consulté le 27 septembre 2019].

LEFÈVRE, Cécile, 1999. Le système statistique public allemand – Un homologue proche, mais en partie méconnu. In : Courrier des statistiques. [en ligne]. Décembre 1999. N° 91-92, pp. 5-14. [Consulté le 24 septembre 2019].

RIVIÈRE, Pascal M., 2019. Le nouveau Mikrozensus en Allemagne - Un dispositif intégré des enquêtes auprès des ménages à l’horizon 2020. In : Courrier des statistiques. [en ligne]. 27 juin 2019. N° N2, pp. 10-20. [Consulté le 24 septembre 2019].