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Mars 2024 · n° 87Ségrégation mesurée à partir du revenu : rural et urbain se différencient de plus
en plus dans le Grand Est
Les disparités spatiales du Grand Est se sont accentuées depuis 2008 : la distribution des groupes sociaux diffère de plus en plus selon le territoire. Cette situation est davantage prononcée pour les populations les plus modestes et les plus aisées de la région. Les territoires urbains et frontaliers sont les espaces qui contribuent le plus au phénomène de ségrégation. La région se ségrègue parce que les répartitions des populations urbaines et rurales sont de moins en moins homogènes au sein de leurs territoires, et surtout parce que le monde rural et le monde urbain diffèrent de plus en plus. En particulier, les territoires urbains regroupent de plus en plus de population modeste, à l’inverse des ruraux.
Cette étude fait partie d'une série de publications sur la ségrégation résidentielle dans le Grand Est.
- La ségrégation, mesurée à partir du revenu, augmente dans le Grand Est depuis 2008
- L’inégale répartition des populations les plus modestes et les plus aisées porte la ségrégation régionale
- Les territoires urbains et frontaliers contribuent le plus à la ségrégation régionale
- Le rural et l’urbain sont de plus en plus ségrégués, surtout entre eux
La ségrégation, mesurée à partir du revenu, augmente dans le Grand Est depuis 2008
Les différents groupes sociaux d’un territoire ne sont pas présents partout dans les mêmes proportions. Cette répartition spatiale inégale est appelée ségrégation résidentielle, notion qui s’oppose à celle de mixité sociale. Certains sous-territoires présentent une surreprésentation ou une sous-représentation d’un groupe social. Ainsi, les territoires urbains du Grand Est rassemblent 74 % de la population « modeste » de la région pour 62 % de la population régionale.
Entre 2004 et 2008, le niveau de ségrégation est globalement stable dans le Grand Est. Cependant, la région se ségrègue depuis 2008 : les répartitions des populations des différents sous-territoires entre groupes sociaux se ressemblent de moins en moins.
L’inégale répartition des populations les plus modestes et les plus aisées porte la ségrégation régionale
L’indice de ségrégation régional est décomposable en indices de ségrégation pour chaque groupe social. Cette décomposition permet de quantifier la contribution d’un groupe donné à la ségrégation totale.
Les groupes sociaux « modestes » et « aisés » ont les composantes de ségrégation les plus élevées (figure 1). Il existe donc dans la région des sous-territoires où ces groupes sociaux sont fortement sur- ou sous-représentés. Ainsi, quelle que soit l’année, les individus aux revenus extrêmes (les 20 % les plus riches et les 20 % les plus pauvres) portent la ségrégation régionale. Ce phénomène s’observe dans toutes les régions de France.
tableauFigure 1 – Évolution de l’indice de ségrégation de chaque groupe social de 2004 à 2019
Année | Modestes | Moyens-modestes | Moyens | Moyens-aisés | Aisés |
---|---|---|---|---|---|
2004 | 0,050 | 0,013 | 0,007 | 0,012 | 0,043 |
2005 | 0,051 | 0,013 | 0,007 | 0,011 | 0,043 |
2006 | 0,052 | 0,013 | 0,007 | 0,012 | 0,042 |
2007 | 0,050 | 0,012 | 0,007 | 0,011 | 0,040 |
2008 | 0,050 | 0,012 | 0,007 | 0,011 | 0,040 |
2009 | 0,052 | 0,012 | 0,008 | 0,012 | 0,042 |
2010 | 0,054 | 0,013 | 0,008 | 0,012 | 0,043 |
2011 | 0,055 | 0,012 | 0,008 | 0,012 | 0,045 |
2012 | 0,056 | 0,013 | 0,009 | 0,012 | 0,047 |
2013 | 0,058 | 0,013 | 0,009 | 0,013 | 0,047 |
2014 | 0,060 | 0,013 | 0,010 | 0,013 | 0,048 |
2015 | 0,062 | 0,013 | 0,010 | 0,014 | 0,050 |
2016 | 0,063 | 0,013 | 0,011 | 0,014 | 0,052 |
2017 | 0,065 | 0,014 | 0,011 | 0,014 | 0,051 |
2018 | 0,067 | 0,014 | 0,011 | 0,014 | 0,051 |
2019 | 0,068 | 0,014 | 0,012 | 0,015 | 0,052 |
- Note : L’indice de ségrégation de la région peut se décomposer en indices de ségrégation pour chaque groupe social. Ces composantes binaires permettent de quantifier l’apport de chaque groupe à la ségrégation totale mais ne sont pas sommables.
- Source : Insee, RFL 2004-2011 et Filosofi 2012-2019.
graphiqueFigure 1 – Évolution de l’indice de ségrégation de chaque groupe social de 2004 à 2019
Les territoires urbains et frontaliers contribuent le plus à la ségrégation régionale
Les territoires frontaliers avec le Luxembourg ou la Suisse contribuent le plus à la ségrégation de la région (figure 2). Ils regroupent notamment une part importante de population « aisée » : en 2019, à proximité de la Suisse, la moitié de la population appartient à cette catégorie.
Les départements alsaciens ont une forte influence sur la ségrégation régionale, de même que les grandes villes du Grand Est. À l’inverse, les territoires ruraux et peu denses contribuent moins à la ségrégation totale.
graphiqueFigure 2 – Contribution lissée à la ségrégation totale de chaque carreau de 4 km
Le rural et l’urbain sont de plus en plus ségrégués, surtout entre eux
La région se ségrègue en raison de la répartition de moins en moins homogène des populations urbaines et rurales au sein de leurs territoires, mais surtout du fait de la différenciation entre la composition de la population du monde rural et celle des territoires urbains. Cette ségrégation croissante n’est pas liée à une évolution du poids démographique de ces espaces : en effet, de 2004 à 2019, le rural regroupe une part constante de la population régionale (38 %). Les territoires urbains et ruraux se ségrèguent de plus en plus depuis 2008 : les individus de même groupe social vivent de plus en plus à proximité les uns des autres dans ces territoires. Toutefois, la ségrégation due à la différence de profil entre les espaces urbains et ruraux augmente davantage. Par exemple, les personnes à revenu « modeste » sont surreprésentées dans l’urbain et sous-représentées dans le rural et ce phénomène croît entre 2004 et 2019 (figure 3).
tableauFigure 3 – Répartition des groupes sociaux en 2004 et 2019 dans le rural et l’urbain
Groupe social | Modestes | Moyens-modestes | Moyens | Moyens-aisés | Aisés | |
---|---|---|---|---|---|---|
2004 | Rural | 16,5 | 22,0 | 21,7 | 21,0 | 18,7 |
Urbain | 22,1 | 18,8 | 18,9 | 19,4 | 20,8 | |
2019 | Rural | 13,6 | 21,1 | 22,8 | 22,4 | 20,1 |
Urbain | 24,0 | 19,3 | 18,2 | 18,5 | 19,9 |
- Lecture : En 2004, 16,5 % des ménages de l’espace rural appartenaient au groupe social des « modestes » pour 22,1 % dans les territoires urbains. En 2019, ces proportions sont respectivement de 13,6 % et 24,0 %.
- Source : Insee, RFL 2004 et Filosofi 2019.
graphiqueFigure 3 – Répartition des groupes sociaux en 2004 et 2019 dans le rural et l’urbain
Pour comprendre
Les données mobilisées dans cette étude sont issues du dispositif revenus fiscaux localisés des ménages (RFL), et du dispositif sur les revenus localisés sociaux et fiscaux (Filosofi) entre 2004 et 2019.
Pour cette étude, le Grand Est est découpé en carreaux de 4 km de côté. Les carreaux qui possèdent moins de vingt ménages sont écartés pour des raisons de diffusibilité. Cela exclut de l’analyse 10 % du territoire mais uniquement 0,1 % des ménages.
L’indice de ségrégation de Theil quantifie l’écart entre la mixité d’un carreau et celle observée au sein de la population de la région dans sa globalité. Ainsi, la valeur de l’indice est d’autant plus forte que la distribution des groupes sociaux de chaque carreau s’écarte de celle du Grand Est.
Définitions
La ségrégation correspond à l’état de séparation des personnes appartenant à des groupes sociaux différents, mesurés ici par le revenu.
tableauIllustration de la notion de ségrégation
Sous-territoire | Population | Mixité totale | Ségrégation intermédiaire | Ségrégation totale |
---|---|---|---|---|
Sous-territoire 1 | Population Rond | 2 | 3 | 4 |
Population Carré | 2 | 1 | 0 | |
Sous-territoire 2 | Population Rond | 2 | 1 | 0 |
Population Carré | 2 | 3 | 4 |
- Source : Insee.
graphiqueIllustration de la notion de ségrégation
Les groupes sociaux sont définis chaque année en fonction des quintiles de revenu de l’ensemble des habitants du Grand Est. Ainsi, on obtient cinq groupes d’individus de taille semblable (20 % de la population régionale).
Les communes rurales sont définies à partir de la grille de densité : sont rurales toutes les communes peu denses ou très peu denses. Les communes qui ne sont pas rurales sont urbaines.
Le revenu déclaré du ménage (au sens fiscal) est constitué des ressources mentionnées sur la déclaration des revenus n° 2042. Il comprend donc les revenus d’activité salariée ou non salariée, les indemnités de chômage, de maladie, les pensions d’invalidité ou de retraite ainsi qu’une partie des revenus du patrimoine.
Dans cette étude, le revenu est égal au revenu déclaré du ménage divisé par le nombre d’unités de consommation (UC) : 1 UC pour le premier adulte du ménage, 0,5 UC pour les autres personnes de 14 ans ou plus, 0,3 UC pour les enfants de moins de 14 ans. Le revenu est donc le même pour tous les individus d’un même ménage.
Pour en savoir plus
(1) Gerardin M., Pramil J., « En 15 ans, les disparités entre quartiers, mesurées selon le revenu, se sont accentuées dans la plupart des grandes villes », Insee Analyses no 79, janvier 2023.
(2) Decorme H., Labosse A., « Ségrégation résidentielle dans les pôles d’Annecy, Chambéry et Valence : populations aisées et modestes n’ont pas les mêmes adresses », Insee Analyses Auvergne-Rhône-Alpes no 152, décembre 2022.
(3) Isel F., Villaume S., « Le Grand Est, contrasté entre territoires très ruraux et urbains », Insee Analyses Grand Est no 131, avril 2021.