Guerre et Prix Note de conjoncture - juin 2022

Note de conjoncture
Paru le :Paru le24/06/2022
Note de conjoncture- Juin 2022
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Vue d'ensemble

Note de conjoncture

Paru le :24/06/2022

L’environnement économique international est en large partie tributaire des développements géopolitiques et sanitaires, mais aussi des réactions de politique économique face à la remontée de l’inflation

L’économie mondiale porte au premier semestre 2022 l’empreinte d’une nouvelle succession de chocs exogènes. Avec la vague Omicron, le Covid-19 a de nouveau affecté le fonctionnement économique, certes légèrement en Europe, mais de manière beaucoup plus marquée en Chine compte tenu de sa stratégie « zéro-Covid ». La guerre en Ukraine a quant à elle renforcé les difficultés d’approvisionnement énergétique et alimentaire ainsi que l’incertitude géopolitique. Ces deux chocs, de natures très différentes, ont globalement amplifié les tensions inflationnistes et mis de nouveau à l’épreuve les chaînes de valeur mondiales, déjà sous pression à la sortie de la phase la plus intense de la crise sanitaire.

Ce contexte difficile pose de nouveaux défis aux politiques économiques. Pendant la pandémie, les soutiens budgétaires et monétaires ont été massifs, contribuant à une sortie de crise rapide. La très vive hausse de l’inflation dans le monde conduit maintenant à des resserrements monétaires susceptibles de peser sur les comportements, comme en témoignent les inquiétudes manifestées par les marchés financiers. De leur côté, les politiques budgétaires tentent de limiter l’impact de l’inflation, par des mesures visant à limiter directement les prix ou à soutenir les revenus.

Après avoir marqué le pas au printemps, le commerce mondial pourrait rebondir au second semestre, porté notamment par une reprise de l’activité chinoise. L’économie américaine resterait quant à elle portée par la demande intérieure, malgré le ralentissement attendu dans un contexte d’inflation qui se stabiliserait à un niveau élevé. Enfin, les pays européens sont davantage exposés que les États-Unis au choc de la guerre en Ukraine, compte tenu notamment de leurs importations d’énergie, mais ils présentent un potentiel de rattrapage sans doute plus important. La croissance y serait positive mais modérée d’ici la fin 2022.

Ce scénario global serait néanmoins mis à l’épreuve en cas par exemple de rupture complète des approvisionnements européens en produits énergétiques russes, de nouveaux confinements chinois conduisant à des perturbations durables des chaînes de valeur, ou bien encore de freinage plus net de l’activité américaine.

À l’horizon de la prévision (fin 2022), l’inflation en France resterait élevée et sa base continuerait de s’élargir

Le glissement annuel des prix à la consommation a atteint en mai 2022 5,2 % sur un an en France, un niveau inédit depuis 1985, mais cependant moins élevé que dans les autres principales économies de la zone euro. Plusieurs facteurs peuvent se conjuguer pour expliquer ces écarts entre pays : par exemple, et entre autres, la structure de la consommation des ménages, les modalités de fixation des prix (en particulier de l’énergie) et les mesures récentes de limitation de l’inflation. Le glissement annuel des prix de l’électricité apparaît ainsi beaucoup plus contenu en France, où le bouclier tarifaire sur les tarifs réglementés de vente du gaz et de l’électricité a, conjointement avec la remise à la pompe, diminué l’inflation globale d’environ 2 points de pourcentage en mai.

Sous l’hypothèse d’un maintien de ce bouclier jusqu’à la fin de l’année, d’une réduction graduelle de la remise à la pompe entre septembre et décembre et d’un cours du Brent à 111 €/baril, l’inflation énergétique pourrait s’atténuer progressivement d’ici la fin de l’année. Sa contribution à l’inflation d’ensemble resterait supérieure à 2 points de pourcentage en décembre, mais ce ne serait plus la première. Les services prendraient en effet le relais, compte tenu de leur poids (près de 50 %) dans la consommation des ménages, tandis que les prix de l’alimentation et des produits manufacturés continueraient également d’accélérer, en répercussion des hausses passées des coûts de production. Au total, l’inflation d’ensemble continuerait tout d’abord d’augmenter cet été, pour se stabiliser à l’automne entre 6,5 et 7 % sur un an (et autour de 4,5 % pour l’inflation sous-jacente). En moyenne annuelle, l’inflation s’élèverait à +5,5 % en 2022 (après +1,6 % en 2021).

Les chiffres d’inflation sont habituellement publiés en moyenne pour l’ensemble de la population. Néanmoins, chaque année en janvier, l’Insee publie également des indices par catégorie de ménages, les structures de consommation pouvant différer d’un ménage à l’autre. Il est apparu opportun d’actualiser cet exercice à un peu plus haute fréquence dans cetteNote. Les écarts apparaissent en effet beaucoup plus importants qu’à l’accoutumée, compte tenu de la vive hausse des prix de l’énergie. En avril 2022 par exemple, cette simulation suggère que les ménages habitant en zone rurale étaient exposés à une inflation supérieure d’environ un point à la moyenne d’ensemble.

Fortement soutenu par des mesures budgétaires, le pouvoir d’achat des ménages se redresserait au second semestre 2022, mais baisserait tout de même en moyenne annuelle en 2022

Notre prévision d’inflation conduirait à une nouvelle revalorisation automatique du Smic pendant l’été ou au début de l’automne. Le taux de rémunération du livret A pourrait également augmenter cet été. À côté de ces revalorisations mécaniques et des mesures de limitations des prix, le pouvoir d’achat des ménages, qui a nettement diminué au premier trimestre 2022 et diminuerait de nouveau au deuxième, pourrait se redresser au second semestre à la faveur du dynamisme de la masse salariale et des mesures complémentaires de soutien au revenu.

La prévision de revenu des ménages présentée dans cette Note a été effectuée en s’appuyant sur les annonces publiques disponibles concernant les mesures de soutien au pouvoir d’achat. Cela ne préjuge pas des mesures précises qui seront instaurées in fine, et dont les modalités sont susceptibles d’évoluer avant leur mise en place effective. Ces mesures peuvent concerner les salaires (reconduction et augmentation du plafond de la prime exceptionnelle de pouvoir d’achat, revalorisation du point d’indice de la fonction publique), les prestations sociales (revalorisation des pensions de retraites, des minima sociaux, des allocations familiales, de la prime d’activité et mesures ciblées d’aide pour les dépenses de carburants et d’alimentation), ainsi que les prélèvements sociaux et fiscaux (suppression de la contribution à l’audiovisuel public, notamment). Mises bout à bout, ces mesures contribueraient à rehausser le revenu disponible brut (RDB) des ménages d’environ 1 point de pourcentage en 2022.

La masse salariale serait par ailleurs soutenue tout à la fois par le dynamisme des salaires, du fait notamment des accords salariaux de branche, et par la relative bonne tenue de l’emploi. Celui-ci, certes, ralentirait en 2022 (+200 000 créations nettes prévues d’emplois salariés après +855 000 en 2021) mais permettrait tout de même au taux de chômage de continuer à baisser légèrement (7,0 % prévu fin 2022).

En prenant en compte l’évolution des prix de la consommation, le pouvoir d’achat du RDB des ménages se redresserait nettement au second semestre, mais baisserait en moyenne sur l’ensemble de l’année 2022 (–0,6 % prévu, soit –1 % par unité de consommation).

La croissance française a ployé début 2022 sous l’accumulation des chocs exogènes, mais elle ne romprait pas à ce stade

La baisse du pouvoir d’achat a contribué au net recul de la consommation des ménages au premier trimestre. Celle-ci pourrait néanmoins rebondir modérément au deuxième trimestre, à la faveur notamment d’un effet de rattrapage dans les services les plus affectés par la pandémie pendant l’hiver, tandis que la consommation de biens fléchirait. Au second semestre, le contexte d’inflation très élevée et d’incertitude continuerait de peser sur les décisions d’achats des ménages et de favoriser l’épargne de précaution. Les ménages lisseraient par ailleurs l’effet sur leur consommation des fluctuations trimestrielles de leur pouvoir d’achat. Au total, avec une consommation progressant modérément au second semestre, le taux d’épargne resterait en 2022 à 16,3 %, assez nettement supérieur donc à son niveau d’avant la crise sanitaire (15,0 % en 2019).

Le taux de marge des entreprises a quant à lui culminé pendant la crise sanitaire du fait notamment des mesures de soutien. La baisse prévue pour 2022 a largement été amorcée tout au long de 2021. Elle s’explique tout à la fois par la dégradation des termes de l’échange et par la fin des aides d’urgence liées à la pandémie. Le taux de marge s’établirait à 31,7 % en 2022, un niveau similaire à celui de 2018. Malgré cette baisse du taux de marge, l’investissement des entreprises, qui a déjà nettement dépassé son niveau d’avant la crise sanitaire, ferait preuve d’une résistance relative. Après une légère accélération au printemps, il pourrait toutefois ralentir compte tenu des incertitudes. Les exportations, de leur côté, présentent encore un potentiel de rattrapage ; elles marqueraient cependant le pas au printemps avant de se redresser en deuxième moitié d’année avec le rebond escompté du commerce mondial.

Compte tenu par ailleurs des résultats en demi-teinte des enquêtes de conjoncture menées en juin, la croissance trimestrielle serait modérée : +0,2 % prévu au deuxième trimestre, puis +0,3 % au troisième comme au quatrième trimestre. Ce rythme de croissance serait en deçà de ce que l’on aurait pu attendre dans une phase de reprise, mais pas très éloigné du rythme moyen enregistré pendant la décennie d’avant la crise sanitaire. Fin 2022, le PIB français se situerait à 1,2 % au-dessus de son niveau de la fin 2019. La croissance annuelle serait de 2,3 % en 2022 (après +6,8 % en 2021).

À côté des risques internationaux déjà mentionnés, et qui constituent sans doute les principaux aléas de la prévision, d’autres facteurs sont susceptibles d’infléchir cette dernière. Le comportement de consommation des ménages reste par exemple difficile à anticiper précisément dans ce contexte de forte inflation. Une baisse éventuelle du taux d’épargne pourrait ainsi rendre un peu plus dynamique la demande intérieure. Inversement, la confiance des ménages paraît actuellement affaiblie, et n’a pas connu, contrairement aux scrutins présidentiels précédents, d’amélioration à la faveur des élections d’avril 2022. Enfin, les résultats récents des élections législatives en France rajoutent de l’incertitude.