Insee PremièreLa précarité énergétique : avoir froid ou dépenser trop pour se chauffer

Isolde Devalière, Centre scientifique et technique du bâtiment, Pierrette Briant et Séverine Arnault, division Logement, Insee

La loi reconnaît la précarité énergétique comme une difficulté à disposer de la fourniture d’énergie nécessaire à la satisfaction de ses besoins élémentaires en raison de l’inadaptation de ses ressources ou de ses conditions d’habitat. Dans tous les cas, le ménage doit alors faire des arbitrages : se chauffer au risque d’impayés ou ne plus se chauffer et subir les conséquences du froid sur sa santé, son logement, sa vie sociale.

Ainsi, 3,8 millions de ménages de France métropolitaine ont un taux d’effort énergétique supérieur à 10 %  de leur revenu tandis que 3,5 millions déclarent souffrir du froid dans leur logement. Les ménages modestes sont surtout exposés au froid car ils cumulent des contraintes financières et un habitat peu performant. 621 000 ménages souffrent des deux formes de précarité.

Isolde Devalière, Centre scientifique et technique du bâtiment, Pierrette Briant et Séverine Arnault, division Logement, Insee
Insee Première No 1351- Mai 2011

Plus d'un ménage modeste sur cinq déclare souffrir du froid dans son logement

En France métropolitaine, 3,5 millions de ménages ont déclaré avoir souffert du froid dans leur logement au cours de l’hiver 2005, soit 14,8 % des ménages (encadré). Cette proportion atteint 22 % chez les ménages modestes () et 10 % parmi les plus aisés (4e quartile). Les ménages ayant souffert du froid consacrent en moyenne 4,9 % de leurs ressources au poste « énergie », soit davantage que l’ensemble des ménages (4,3 % - tableau 1).

Globalement, la proportion de personnes déclarant précédant l’enquête a fortement progressé, passant de 10,9 % en 1996 à 14,8 % en 2006 (+ 3,9 points). Les conditions climatiques ne semblent pas responsables de cette évolution : l’hiver 2005-2006 n’a pas été plus rigoureux que l’hiver 1995-1996 (4,3 degrés contre 4,8 en moyenne). De plus, en dix ans, les conditions de logement se sont plutôt améliorées.

Il est possible que la population soit devenue plus sensible au froid ou plus exigeante en matière de confort thermique que par le passé. Mais surtout, davantage de ménages ont déclaré avoir restreint leurs dépenses d’énergie en renonçant au confort thermique. En effet, les ménages ayant eu froid dans leur logement indiquent plus fréquemment en 2006 qu’en 2002 avoir limité leur consommation de chauffage en raison de son coût (21,5 % contre 14 %).

Au total, 14,4 % des ménages français ont un dépassant 10 %, soit 3 800 000 ménages en 2006. Dans ce cas également, on peut parler de précarité énergétique. Près de 70 % de ces ménages sont parmi les plus modestes (1er quartile), le taux d’effort énergétique moyen décroissant avec les revenus : de 9,3 % pour les 25 % de ménages les plus modestes, il passe à 2,7 % pour les plus aisés.

Tableau 1Taux d'effort énergétique selon les quartiles de niveau de vie

Taux d'effort énergétique selon les quartiles de niveau de vie - Lecture : le taux d'effort énergétique de l'ensemble de la population est de 4,3 % contre 4,9 % pour la population ayant déclaré avoir eu froid au cours de l'hiver précédent.
en %
Ensemble de la population Population déclarant avoir eu froid
Ensemble 4,3 4,9
1er quartile 9,3 9,1
2e quartile 5,7 5,6
3e quartile 4,2 4,4
4e quartile 2,7 2,8
  • Lecture : le taux d'effort énergétique de l'ensemble de la population est de 4,3 % contre 4,9 % pour la population ayant déclaré avoir eu froid au cours de l'hiver précédent.
  • Champ : France métropolitaine.
  • Source : Insee, enquête nationale Logement 2006.

Avoir froid ou dépenser beaucoup pour se chauffer : deux populations différentes

En dehors des ménages modestes, les deux populations touchées par la précarité énergétique ont des profils différents (tableau 2).

Sont concernés les ménages consacrant plus de 10 % de leurs ressources pour chauffer leur logement. Il s’agit de propriétaires (19,5 %), de personnes de 65 ans et plus (25,4 %) et d’habitants de maisons individuelles (17,1 %). La précarité énergétique se manifeste par l’impossibilité d’atteindre une température convenable. Sont alors surtout concernés les jeunes (19,1 %), les locataires (25,2 %) et les ménages habitant en logement collectif (21 %).

En outre, 621 000 ménages cumulent les deux formes de précarité. Parmi eux, 281 000 ménages consacrent plus de 15 % de leur aux dépenses d’énergie. Ces ménages habitent dans des logements déperditifs entraînant de fortes dépenses d’énergie sans protéger du froid, ce qui place leurs occupants dans une situation de précarité énergétique extrême. Cette situation, que les experts attribuent à des logements qualifiés parfois de « passoires énergétiques », touche essentiellement les ménages les plus modestes (1er quartile de revenu). 75 % des ménages concernés cumulant les deux formes de précarité appartiennent au 1er quartile de revenu.

Tableau 2Profils des ménages en précarité énergétique selon l'approche retenue

Profils des ménages en précarité énergétique selon l'approche retenue - Lecture : parmi les ménages du 1er quartile de niveau de vie, 22,0 % ont déclaré souffrir du froid et 40,1 % ont un taux d'effort énergétique (TEE) supérieur à 10 % de leur revenu.
en %
Part des ménages déclarant souffrir du froid Part des ménages ayant un TEE > 10 %
Ensemble des ménages 14,8 Ensemble des ménages 14,4
Ménages du 1er quartile 22,0 Ménages du 1er quartile 40,1
Locataires 25,2 Propriétaires 19,5
Moins de 50 ans 19,1 Plus de 65 ans 25,4
Logements entre 1949 et 1975 17,7 Logements avant 1948 20,1
Agglomérations > 200 mille habitants 17,5 Communes rurales 20,8
Habitat collectif 21,0 Habitat individuel  17,1
  • Lecture : parmi les ménages du 1er quartile de niveau de vie, 22,0 % ont déclaré souffrir du froid et 40,1 % ont un taux d'effort énergétique (TEE) supérieur à 10 % de leur revenu.
  • Champ : France métropolitaine.
  • Source : Insee, enquête nationale Logement 2006.

Inconfort thermique : raisons financières, installation de chauffage défectueuse ou insuffisante

Les principales raisons invoquées par les ménages se plaignant du froid sont relatives à l’état du logement : une mauvaise isolation est citée dans 41 % des cas, une installation de chauffage insuffisante dans 33 % des situations et une panne (ponctuelle, récurrente ou pérenne) de l’installation dans 18 % des cas. Par ailleurs, dans plus d’un cas sur cinq (21,5 %), les ménages limitent leur consommation de chauffage en raison de son coût. Sans surprise, les 25 % de ménages les plus modestes invoquent plus fréquemment que les autres des raisons financières (27 % des cas) ou une installation de chauffage insuffisante (37 % des cas) comme causes de leur inconfort thermique. À l’inverse, les ménages les plus aisés déclarant avoir eu froid citent plus fréquemment des pannes de chauffage, pannes a priori ponctuelles ne mettant pas en cause durablement leur confort thermique.

L’inconfort thermique des logements anciens

Les ménages qui déclarent souffrir du froid occupent plus souvent des logements construits entre 1949 et 1975. C’est le cas de 17,7 % d’entre eux, contre 14,8 % pour l’ensemble des ménages. La date de construction d’un logement influe donc sur son confort thermique, constat qui reste vrai lorsque l’on tient compte des caractéristiques de ces ménages et de la qualité du logement.

À l’inverse, les logements construits après 1975 sont les plus performants sur le plan thermique. En conséquence, seulement 11 % des ménages éprouvent une sensation de froid. Les progrès accomplis se manifestent par une incidence plus faible de « défauts » structurels (mauvais état de la façade, des fenêtres, isolation médiocre du toit, présence d’humidité, infiltrations, etc.).

Enfin, bien que présentant davantage de défauts, les logements construits avant 1948 n’exposent pas plus au froid que ceux construits entre 1949 et 1974 (16,8 %). Les façades de ces bâtiments sont pourtant souvent dans un état médiocre (49 %), tandis que 37 % de leurs fenêtres sont sans double vitrage et 31 % des logements sont humides (tableau 3).

Tableau 3Présence de défauts dans le logement selon la date de construction

Présence de défauts dans le logement selon la date de construction - Lecture : 42,9 % des logements construits avant 1948 n'ont pas de double vitrage.
en %
Date de construction Infiltrations Fuites Bruit dans les agglomérations > 100 000 habitants État moyen ou mauvais de la façade Fenêtres en mauvais état Pas de double vitrage Toit non isolé Humidité sur les murs
Avant 1948 6,5 2,8 18,6 48,6 36,9 42,9 22,2 30,9
Entre 1949 et 1967 4,6 2,5 18,2 44,8 34,2 38,1 10,2 20,5
Entre 1968 et 1974 4,7 2,3 15,7 39,3 33,1 41,7 9,7 18,5
Entre 1975 et 1981 4,3 2,1 11,1 39,6 28,5 29,0 10,2 15,2
1982 et après 4,3 2,4 7,7 23,9 13,5 7,1 5,3 11,5
  • Lecture : 42,9 % des logements construits avant 1948 n'ont pas de double vitrage.
  • Champ : France métropolitaine.
  • Source : Insee, enquête nationale Logement 2006.

Le type de chauffage est déterminant dans la sensation de froid

Au-delà des logements sans chauffage, les ménages déclarant souffrir du froid occupent souvent des logements équipés de chaudières collectives et d’appareils de chauffage indépendants (radiateurs, convecteurs, poêles - tableau 4).

L’existence d’un chauffage secondaire venu suppléer un chauffage principal insuffisant ou trop onéreux s’accompagne d’un nombre plus élevé de ménages qui se plaignent du froid (32,1 % contre 14,5 % pour les ménages qui n’en n’ont pas).

Le type d’énergie utilisée a également un impact. Parmi les ménages en inconfort thermique pour des raisons financières, 48 % se chauffent à l’électricité, alors qu’en moyenne 33 % des ménages utilisent ce type de chauffage. En particulier, malgré le coût de cette énergie, le chauffage d’appoint électrique est bien souvent le seul palliatif immédiat d’une installation principale défaillante ou insuffisante. Ces habitats de qualité médiocre en termes de bâti ou d’installations de chauffage sont souvent occupés par les plus modestes.

Tableau 4Mode de chauffage principal et secondaire des ménages

Mode de chauffage principal et secondaire des ménages - Lecture : 45 % des ménages ont une chaudière indépendante comme mode de chauffage principal, contre 12 % des ménages ayant déclaré avoir eu froid au cours de l'hiver précédent. 71,2 % des ménages n'ont pas de chauffage secondaire, contre 14,5 % des ménages ayant déclaré avoir eu froid.
en %
Part de ménages utilisant ce mode de chauffage Part de ménages ayant déclaré avoir eu froid
Pas de chauffage principal 0,2 29,3
Chaudière collective 19,9 20,4
avec chauffage secondaire indépendant 2,3 36,5
Chauffage électrique 23,0 14,8
avec chauffage secondaire indépendant 2,4 24,1
Chaudière indépendante 45,0 12,0
avec chauffage secondaire indépendant 6,1 17,9
Appareils indépendants 6,9 21,0
Autres modes de chauffage 4,9 9,9
Tous modes de chauffage principal 100,0 14,8
sans mode de chauffage secondaire 71,2 14,5
avec un mode de chauffage secondaire 28,8 32,1
  • Lecture : 45 % des ménages ont une chaudière indépendante comme mode de chauffage principal, contre 12 % des ménages ayant déclaré avoir eu froid au cours de l'hiver précédent. 71,2 % des ménages n'ont pas de chauffage secondaire, contre 14,5 % des ménages ayant déclaré avoir eu froid.
  • Champ : France métropolitaine.
  • Source : Insee, enquête nationale Logement 2006.

Les locataires qui ne peuvent pas choisir leur source d’énergie sont les plus pénalisés

Les ménages qui se plaignent du froid dans leur logement sont majoritairement des locataires, aussi bien dans le secteur social (26 %) que dans le secteur privé (24,5 %). Les propriétaires semblent mieux prémunis contre l’inconfort thermique puisque seuls 11 % des accédants et 7,8 % des propriétaires se plaignent du froid. Il est en effet plus aisé pour les propriétaires occupants d’engager des travaux pour lutter contre l’inconfort thermique, alors que les locataires sont dépendants des choix de leur bailleur. Du reste, la qualité des logements des propriétaires est en moyenne meilleure : les locataires déclarent davantage d’infiltrations, de façades ou de fenêtres en mauvais état et d’humidité sur les murs.

Les locataires du secteur social sont particulièrement exposés au froid : certes, leurs logements sont globalement en meilleur état que ceux du secteur privé (état des fenêtres et des toitures notamment), mais ils peuvent rarement agir sur le chauffage : 46 % d’entre eux disposent d’un chauffage collectif (contre 19 % pour les locataires du secteur privé), dont ils ne peuvent pas moduler les températures ni agir sur le fonctionnement (imposition de la date de déclenchement, par exemple).

Les familles monoparentales, les inactifs et les chômeurs les plus exposés au froid

Les familles monoparentales sont aussi particulièrement exposées : un tiers d’entre elles déclarent un inconfort thermique, contre 16 % des personnes seules ; 40 % de ces ménages sont logés dans le parc social (17 % en moyenne) et 47 % appartiennent à la catégorie des ménages les plus modestes, ce qui explique leur particulière vulnérabilité (graphique).

De même, les inactifs et les chômeurs sont deux fois plus souvent dans des situations de précarité énergétique que l’ensemble de la population. Le fait de passer plus de temps chez soi peut contribuer à cette sensibilité plus grande au froid surtout lorsque les logements ne peuvent pas apporter le confort requis.

En revanche, seulement 10 % des retraités se plaignent du froid bien qu’ils passent beaucoup de temps dans leur logement. Celui-ci a sans doute une meilleure qualité thermique et les contraintes budgétaires de ces ménages, en matière de logement, sont moindres : près de 70 % d’entre eux sont propriétaires sans charges de remboursement contre 38 % de l’ensemble des ménages.

La dimension économique et sociale est ainsi très déterminante en matière de précarité énergétique. De même, certains évènements comme une séparation ou une perte d’emploi peuvent accentuer cette situation.

GraphiqueLes principales caractéristiques des ménages qui se plaignent du froid (en %)

  • Lecture : parmi les ménages qui ont des difficultés de paiement, 36,8 % se plaignent d'avoir eu froid au cours de l'hiver dernier. Cette proportion s'élève à 37,8 % si ces ménages sont situés sous la médiane des niveaux de vie et à 40,6 % s'ils appartiennent au 1er quartile de niveau de vie.
  • Champ : France métropolitaine.
  • Source : Insee, enquête nationale Logement 2006.

La précarité énergétique

Définitions et contexte juridique

La précarité énergétique a été définie et inscrite dans la loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 (Grenelle II), qui modifie la loi n° 90-449 du 31 mai 1990 visant à la mise en œuvre du droit au logement. Ainsi, est en situation de précarité énergétique au titre de la loi Grenelle II, une personne qui « éprouve dans son logement des difficultés particulières à disposer de la fourniture d’énergie nécessaire à la satisfaction de ses besoins élémentaires en raison de l’inadaptation de ses ressources ou de ses conditions d’habitat ».

Cette préoccupation s’est traduite par la récente création d’un observatoire de la précarité énergétique (mars 2011) et par la mise en place, au niveau national et local, de mesures destinées à améliorer les performances thermiques des habitats.

Mesurer la précarité énergétique

Pour appréhender une situation de précarité énergétique, deux approches sont généralement retenues, l’une objective et l’autre déclarative. Dans cette étude, la traduction statistique française des deux méthodes est obtenue grâce à l’utilisation de l’enquête nationale Logement (ENL).

La méthode dite « objective » consiste à identifier les ménages dont les dépenses d’énergie sont excessives au regard de leurs ressources. Un seuil de taux d’effort énergétique de 10 % du revenu disponible du ménage a ainsi été défini par les Britanniques.

Cette approche individuelle du taux d’effort est complétée ici par un taux d’effort moyen par catégorie de ménages, intégrant une estimation des dépenses en chauffage collectif pour les locataires concernés.

La méthode « subjective » ou « déclarative » s’appuie sur les déclarations des ménages quant à leur capacité à chauffer leur logement de manière adéquate ou à payer pour avoir une consommation énergétique suffisante (Irlande). À défaut d’une mesure factuelle de la température, qui entre dans le cadre d’un diagnostic de performance énergétique, cette méthode peut être approchée par certaines questions de l’enquête nationale Logement sur la perception de froid durable dans le logement. Cette notion de froid traduit l’inconfort thermique subi.

Dans la dernière enquête nationale Logement, menée en 2006 et utilisée ici, la question était la suivante : « Au cours de l’hiver dernier, dans votre logement, votre ménage a-t-il souffert, pendant au moins 24 heures, du froid ?».

Définitions

Quartiles : ils partagent une population en 4 groupes d’effectifs égaux. Le 1er quartile (respectivement 3e quartile) est le seuil en dessous (respectivement au-dessus) duquel se situent les 25 % des ménages ayant le plus faible (respectivement haut) niveau de vie.

Niveau de vie : revenu disponible du ménage rapporté au nombre d’UC (les unités de consommation sont calculées selon l’échelle d’équivalence dite de l’OCDE modifiée, qui attribue 1 UC au premier adulte du ménage, 0,5 UC aux autres personnes de 14 ans ou plus et 0,3 UC aux enfants de moins de 14 ans). Le niveau de vie est égal pour tous les individus d’un même ménage.

Part des ménages ayant eu froid : mesurée par la réponse à la question de l’enquête nationale Logement (citée dans l’encadré), elle a été calculée sur le champ des ménages ayant passé au moins un hiver dans le logement qu’ils occupent au moment de l’enquête.

Taux d’effort énergétique : dépenses en énergie (y compris les dépenses de chauffage collectif) rapportées aux ressources du ménage. Les dépenses en énergie comprennent le chauffage, l’éclairage, les coûts liés à l’énergie nécessaire pour chauffer l’eau ainsi que la consommation des appareils électroménagers.

Revenu brut du ménage : il comprend les revenus d’activité, les revenus du patrimoine, les transferts en provenance d’autres ménages et les prestations sociales (y compris les pensions de retraite et les indemnités de chômage).