Insee Analyses ·
Février 2025 · n° 104
Lorsqu’ils perdent leur emploi, les ménages diminuent-ils leur épargne ou réduisent-ils
leurs dépenses ?
Lorsque la période de chômage indemnisé dure au moins six mois, la perte d’emploi occasionne pour les ménages concernés une baisse de revenus mensuels d’environ 630 euros en moyenne, soit une diminution équivalente à 31 % des revenus perçus dans l’emploi précédent. Au chômage, les ménages réduisent leur épargne afin de limiter la baisse de leur consommation : soit ils mettent moins d’argent de côté, soit ils désépargnent en puisant dans leurs réserves. Un mois après la perte d’emploi, la consommation ne diminue que de 2 % et la baisse de l’épargne absorbe quasi l’intégralité de la baisse de revenu. Plus la période de chômage se prolonge, plus les ménages réduisent leur consommation et moins ils diminuent leur épargne.
Six mois après la perte d’emploi, les ménages diminuent autant leur épargne que leur consommation ; cette dernière est alors inférieure de 15 % à son niveau précédant la perte d’emploi. Sur les six premiers mois de chômage, la consommation diminue de l’équivalent de 35 % de la baisse des revenus. La diminution de la consommation est d’autant plus marquée que le ménage disposait de peu d’actifs sur ses comptes courants et ses livrets d’épargne.
- Des données bancaires pour suivre les dépenses et l’épargne des ménages dont une personne devient chômeuse indemnisée
- Au bout de six mois de chômage, la perte de revenus est en moyenne de 31 %
- Les ménages disposant de peu de liquidités diminuent davantage leur consommation
- Plus le chômage dure, plus les ménages diminuent leur consommation
- Au chômage, les dépenses de carburant et de restauration, liées au travail, baissent
- Encadré – Le rôle de l’offre de travail du conjoint, du crédit à la consommation et des transferts entre particuliers
Avertissement
Afin d’analyser l’évolution des dépenses de consommation autour du chômage, cette
étude mobilise des données anonymisées de comptes de La Banque Postale. Elle s’appuie
sur un échantillon de clients de cette banque et n’est donc pas nécessairement représentative
de l’ensemble de la population.
Des données bancaires pour suivre les dépenses et l’épargne des ménages dont une personne devient chômeuse indemnisée
La perte d’un emploi entraîne une diminution des revenus pour les ménages concernés, les allocations chômage ne compensant que partiellement la perte de salaire. Au chômage, les ménages puisent-ils dans leur bas de laine ou se serrent-ils la ceinture ? Faute de données adéquates, la capacité des allocations chômage à servir de filet de sécurité, en prévenant une baisse de consommation trop brutale lors de la perte d’emploi, reste mal documentée (même si certaines enquêtes interrogent d’anciens demandeurs d’emploi sur leur consommation au chômage [Ouvrir dans un nouvel ongletEuzenat, Prokovas, 2015]). Afin de pallier ce manque, cette étude mobilise des données bancaires d’un panel anonymisé de clients de La Banque Postale suivis de 2021 à 2023 (source). Ces données présentent l’avantage de documenter l’évolution simultanée des revenus, des dépenses et de l’épargne des ménages, les six mois précédant et les six mois suivant la perte d’emploi (méthode). L’étude porte sur les ménages dont au moins un membre devient chômeur indemnisé, le reste pendant six mois consécutifs ou plus, et perçoit à ce titre des allocations de l’assurance chômage.
Au bout de six mois de chômage, la perte de revenus est en moyenne de 31 %
Compte tenu des règles d’indemnisation, la perte de salaire n’est que partiellement compensée par les allocations chômage. Sur l’échantillon considéré, le revenu disponible mensuel moyen, de 2 055 euros cinq mois avant la perte d’emploi, diminue de 630 euros six mois après cette perte d’emploi, soit une baisse de 31 % des revenus (figure 1).
tableauFigure 1a – Revenu disponible les mois précédant et suivant une perte d’emploi (par rapport à leur niveau cinq mois avant la perte d’emploi)
Nombre de mois précédant ou suivant la perte d'emploi | Valeur | Borne inférieure | Borne supérieure |
---|---|---|---|
-6 | 16 | -9 | 42 |
-5 | 0 | nd | nd |
-4 | -37 | -64 | -11 |
-3 | -39 | -67 | -12 |
-2 | 41 | 7 | 74 |
-1 | 462 | 410 | 515 |
0 | -863 | -906 | -821 |
1 | -648 | -688 | -608 |
2 | -573 | -610 | -536 |
3 | -557 | -594 | -519 |
4 | -579 | -616 | -542 |
5 | -629 | -665 | -593 |
- nd : non disponible.
- Notes : Intervalle de confiance à 95 %. Le mois 0 correspond au premier mois au chômage, soit le premier mois où le salaire n’est plus perçu.
- Lecture : Trois mois après la perte d'emploi, le revenu disponible est inférieur de 557 euros, en moyenne, à son niveau cinq mois avant la perte d'emploi.
- Champ : Échantillon de clients actifs de La Banque Postale observé entre le dernier trimestre 2020 et le premier trimestre 2024 ; France.
- Source : La Banque Postale ; calculs Insee.
graphiqueFigure 1a – Revenu disponible les mois précédant et suivant une perte d’emploi (par rapport à leur niveau cinq mois avant la perte d’emploi)

- Notes : Les barres représentent les intervalles de confiance à 95 %. Le mois 0 correspond au premier mois au chômage, soit le premier mois où le salaire n’est plus perçu.
- Lecture : Trois mois après la perte d'emploi, le revenu disponible est inférieur de 557 euros, en moyenne, à son niveau cinq mois avant la perte d'emploi.
- Champ : Échantillon de clients actifs de La Banque Postale observé entre le dernier trimestre 2020 et le premier trimestre 2024 ; France.
- Source : La Banque Postale ; calculs Insee.
La trajectoire de revenus autour de la perte d’emploi peut être décomposée en trois temps. Tout d’abord, un mois avant la perte d'emploi, le revenu disponible augmente grâce au versement du solde de tout compte : en moyenne de 460 euros, soit une augmentation de 22 %. Ce dernier comprend notamment d’éventuelles indemnités de licenciement ou des compensations pour des congés non pris pendant la durée du contrat.
Ensuite, le revenu disponible baisse avec la perte de salaire, de manière plus conséquente les premiers mois de chômage. En effet, les allocations ne sont pas perçues par tous les chômeurs immédiatement après la perte d’emploi. Ce délai peut être dû à un retard dans l’inscription à France Travail ou à des différés légaux d’indemnisation qui dépendent du montant des indemnités versées par l’employeur à la fin du contrat de travail (indemnités de licenciement ou de congés payés).
Enfin, le revenu disponible augmente graduellement au cours des mois suivants du fait de la perception progressive des allocations chômage. Le montant moyen d’allocations perçues atteint son niveau maximal, proche de 850 euros en moyenne, après trois mois de chômage.
Les ménages disposant de peu de liquidités diminuent davantage leur consommation
Les ménages épargnent en grande partie l’augmentation de leur revenu versé à la fin du contrat : en moyenne, l’épargne augmente de plus de 300 euros le mois précédant la perte d’emploi, soit plus de deux tiers de la hausse. Les ménages n’épargnent donc pas entièrement le montant des indemnités, malgré la prévisible diminution des revenus les mois suivants.
Ensuite, durant la période de chômage, en réponse à la baisse de leurs revenus, les ménages diminuent leur épargne et atténuent ainsi la baisse de leur consommation. La consommation diminue de l’équivalent de 35 % de la baisse de revenus pendant la période affectée par la perte d’emploi (commençant le mois de perception du solde de tout compte et allant jusqu’au sixième mois passé au chômage). La réduction de l’épargne absorbe la majorité de l’ajustement des revenus.
Les ménages diminuent leur consommation pour l'ajuster aux revenus courants, notamment en raison des contraintes de liquidités auxquelles ils peuvent être confrontés. Ils n’ont pas nécessairement pu épargner suffisamment avant de perdre leur emploi et ne peuvent ou ne souhaitent pas emprunter pour maintenir leur niveau de consommation. Cette explication possible est corroborée par le fait que la diminution de la consommation, exprimée en pourcentage de la perte de revenu, est d’autant plus forte que le ménage disposait de peu d’actifs sur ses comptes courants et sur ses livrets d’épargne avant la perte d’emploi. Le quart des ménages disposant du moins de liquidités diminue sa consommation de l’équivalent de 58 % de sa baisse de revenus pendant les six premiers mois passés au chômage, contre 17 % pour le quart des ménages disposant du plus de liquidités (figure 2). En revanche, les ajustements de consommation ne diffèrent pas selon la structure familiale du ménage, l’âge de la personne de référence ou le revenu avant la perte d’emploi, une fois tenu compte des autres caractéristiques.
tableauFigure 2a – Ajustement de la dépense (en pourcentage de la perte de revenus consécutive à la perte d’un emploi) selon la liquidité des ménages
Modalités | Valeur | Borne inférieure | Borne supérieure |
---|---|---|---|
1er quart | 57,5 | 44,2 | 70,9 |
2e quart | 52,6 | 39,6 | 65,5 |
3e quart | 32,6 | 19,4 | 45,7 |
4e quart | 17,1 | -0,6 | 34,9 |
Ensemble | 35,9 | 29,3 | 42,5 |
- Note : Intervalle de confiance à 95 %.
- Lecture : Pendant les six premiers mois de chômage, le quart des ménages aux plus faibles liquidités diminue sa consommation de l'équivalent de 57,5 % de sa perte de revenus.
- Champ : Échantillon de clients actifs de La Banque Postale observé entre le dernier trimestre 2020 et le premier trimestre 2024 ; France.
- Source : La Banque Postale ; calculs Insee.
graphiqueFigure 2a – Ajustement de la dépense (en pourcentage de la perte de revenus consécutive à la perte d’un emploi) selon la liquidité des ménages

- Note : Les barres représentent les intervalles de confiance à 95 %.
- Lecture : Pendant les six premiers mois de chômage, le quart des ménages aux plus faibles liquidités diminue sa consommation de l'équivalent de 57,5 % de sa perte de revenus.
- Champ : Échantillon de clients actifs de La Banque Postale observé entre le dernier trimestre 2020 et le premier trimestre 2024 ; France.
- Source : La Banque Postale ; calculs Insee.
Plus le chômage dure, plus les ménages diminuent leur consommation
Les premiers mois de chômage, les ménages maintiennent leur niveau de consommation et diminuent leur épargne : soit ils mettent moins d’argent de côté, soit ils désépargnent en puisant dans leurs réserves. Cependant, plus les mois passent, plus ils diminuent leur consommation. Un mois après la perte d’emploi, la consommation ne diminue que de 2 %, mais elle baisse de 15 % six mois après (figure 3). Six mois après la perte d’emploi, la baisse de la consommation est aussi élevée en montant que la baisse de l’épargne. Cette baisse graduelle de la consommation est cohérente avec la présence de contraintes de liquidités (difficultés d’accès aux crédits) : faute de pouvoir ou vouloir emprunter, les ménages lissent leur consommation en la diminuant progressivement à mesure que la période de chômage se prolonge et que leur épargne diminue. Par ailleurs, un « effet de cliquet » peut jouer : une fois atteint un certain niveau de consommation, il est difficile de le réduire en raison des habitudes et des engagements pris auparavant [Duesenberry, 1949]. En particulier, une partie de la consommation ne peut s’ajuster qu’avec un délai, comme certains abonnements multimédias ou de transports. La très légère baisse de la consommation le premier mois pourrait également provenir d’un excès d’optimisme quant aux chances de retrouver un emploi rapidement et donc que la perte de revenus soit de courte durée [Ouvrir dans un nouvel ongletSpinnewijn, 2015].
tableauFigure 3 – L’impact de la perte d’emploi sur les dépenses (en pourcentage de la dépense initiale)
Nombre de mois précédant ou suivant la perte d'emploi | Valeur | Borne inférieure | Borne supérieure |
---|---|---|---|
-6 | -0,9 | -2,6 | 0,7 |
-5 | 0,0 | nd | nd |
-4 | -0,6 | -2,2 | 1,1 |
-3 | -1,0 | -2,7 | 0,8 |
-2 | 1,1 | -0,8 | 2,9 |
-1 | 5,0 | 3,0 | 7,0 |
0 | -1,9 | -4,1 | 0,2 |
1 | -10,1 | -12,1 | -8,0 |
2 | -10,8 | -12,9 | -8,7 |
3 | -14,3 | -16,4 | -12,2 |
4 | -15,6 | -17,7 | -13,5 |
5 | -14,9 | -17,1 | -12,6 |
- Note : Intervalle de confiance à 95 %.
- Lecture : Deux mois après la perte d'emploi, la consommation des chômeurs est inférieure de 10,8 %, en moyenne, à ce qu’elle était cinq mois avant l’épisode de chômage.
- Champ : Échantillon de clients actifs de La Banque Postale observé entre le dernier trimestre 2020 et le premier trimestre 2024 ; France.
- Source : La Banque Postale ; calculs Insee.
graphiqueFigure 3 – L’impact de la perte d’emploi sur les dépenses (en pourcentage de la dépense initiale)

- Note : Les barres représentent les intervalles de confiance à 95 %.
- Lecture : Deux mois après la perte d'emploi, la consommation des chômeurs est inférieure de 10,8 %, en moyenne, à ce qu’elle était cinq mois avant l’épisode de chômage.
- Champ : Échantillon de clients actifs de La Banque Postale observé entre le dernier trimestre 2020 et le premier trimestre 2024 ; France.
- Source : La Banque Postale ; calculs Insee.
Au chômage, les dépenses de carburant et de restauration, liées au travail, baissent
Globalement sur l’année autour de la perte d’emploi, la structure de consommation change peu entre avant et après la perte d’emploi. Toutefois, la décomposition de la consommation en différentes catégories d'achats (achats en supermarchés, carburant, produits pharmaceutiques, restaurants, etc.) suggère que la réduction des dépenses est un peu plus marquée pour les biens et services pouvant être liés au travail. C’est le cas des dépenses de carburant, les trajets domicile-travail disparaissant, et des dépenses de restauration (figure 4). Ces dernières ne sont pas compensées par des dépenses dans les supermarchés qui diminuent également.
tableauFigure 4a – L’impact de la perte d’emploi sur les dépenses dans les supermarchés
Nombre de mois précédant ou suivant la perte d'emploi | Valeur | Borne inférieure | Borne supérieure |
---|---|---|---|
-6 | 1 | -8 | 10 |
-5 | 0 | nd | nd |
-4 | 2 | -8 | 11 |
-3 | 6 | -4 | 16 |
-2 | -1 | -11 | 10 |
-1 | 11 | 0 | 21 |
0 | -12 | -23 | -1 |
1 | -12 | -24 | 0 |
2 | -19 | -31 | -6 |
3 | -15 | -28 | -2 |
4 | -21 | -33 | -8 |
5 | -28 | -41 | -15 |
- nd : non disponible.
- Note : Intervalle de confiance à 95 %.
- Lecture : Deux mois après la perte d'emploi, la consommation des chômeurs en supermarché est en moyenne inférieure de 19 euros à ce qu’elle était cinq mois avant l’épisode de chômage.
- Champ : Échantillon de clients actifs de La Banque Postale observé entre le dernier trimestre 2020 et le premier trimestre 2024 ; France.
- Source : La Banque Postale ; calculs Insee.
graphiqueFigure 4a – L’impact de la perte d’emploi sur les dépenses dans les supermarchés

- Note : Les barres représentent les intervalles de confiance à 95 %.
- Lecture : Deux mois après la perte d'emploi, la consommation des chômeurs en supermarché est en moyenne inférieure de 19 euros à ce qu’elle était cinq mois avant l’épisode de chômage.
- Champ : Échantillon de clients actifs de La Banque Postale observé entre le dernier trimestre 2020 et le premier trimestre 2024 ; France.
- Source : La Banque Postale ; calculs Insee.
Encadré – Le rôle de l’offre de travail du conjoint, du crédit à la consommation et des transferts entre particuliers
Cette étude se concentre principalement sur deux variables d’ajustement : l’épargne et les dépenses. Cependant, d’autres éléments peuvent jouer un rôle significatif : l’offre de travail du conjoint, le recours au crédit à la consommation ou encore l’aide matérielle reçue de la part d’autres personnes (famille, amis).
Dans les couples, le conjoint pourrait partiellement compenser la perte de salaire consécutive à la perte d’emploi, par exemple en effectuant des heures supplémentaires ou en occupant un emploi mieux rémunéré. Toutefois, les données ne semblent pas l’indiquer puisque les salaires perçus par le conjoint n’augmentent pas pendant l’épisode de chômage. De tels ajustements de l’offre de travail du conjoint semblent donc d’une ampleur limitée, du moins à court terme.
Les ménages pourraient encore préserver leur niveau de consommation en ayant recours à des crédits à la consommation. Cela ne semble pas être le cas à court terme non plus, puisque le montant des crédits à la consommation souscrits auprès de La Banque Postale reste stable autour de la période de perte d’emploi. Toutefois, certains ménages ont pu souscrire des crédits auprès d’autres établissements financiers qui ne sont pas visibles dans les données.
Enfin, les ménages pourraient amortir le choc de la baisse de revenus en s’appuyant
sur des transferts familiaux ou amicaux. Cet ajustement semble également marginal
à court terme, puisque les transferts entre particuliers demeurent stables autour
du choc de revenu.
Ouvrir dans un nouvel ongletAndersen et al. (2023) ont réalisé une étude similaire au Danemark et concluent également que les marges
principales d’ajustement suite à une perte d’emploi sont l’épargne et les dépenses.
Méthode
La méthode employée dans l’étude est décrite ci-dessous ; davantage de détails figurent dans Bonnet et al. (2024).
Identification des ménages connaissant un épisode de chômage indemnisé
Les ménages connaissant un épisode de chômage indemnisé ne sont pas directement identifiables dans les données mises à disposition, d’où la nécessité de définir des critères pour les repérer. Dans l’étude, une perte d’emploi est définie comme une situation dans laquelle le nombre de virements mensuels identifiés comme des salaires au sein du ménage diminue (passant de 1 à 0 pour une personne seule et de 2 à 1 pour les couples) et dans laquelle au moins un membre du ménage perçoit des indemnités chômage. Dans la spécification principale, l’analyse se concentre sur 2 409 ménages au chômage indemnisé pendant au moins six mois et observés douze mois autour de la perte d’emploi.
Constitution d’un groupe de contrôle
Comparer l’évolution des dépenses des ménages concernés (le « groupe traité ») avant et après l’entrée au chômage n’est pas suffisant pour estimer l’impact de la perte d’emploi sur la consommation. La consommation peut évoluer du fait de facteurs survenant en même temps que la perte d’emploi sans y être liés, comme la saisonnalité ou des conditions économiques particulières lors de la période d’observation. Pour distinguer les effets propres de la perte d’emploi de ces « facteurs confondants », on compare ces évolutions avec celles d’un « groupe de contrôle », c’est-à-dire un groupe de ménages n’ayant pas connu d’épisode de chômage sur la période étudiée et dont les caractéristiques observables sont proches, en moyenne, de celles du groupe traité. L’hypothèse sur laquelle la méthode repose est appelée « hypothèse de tendance commune ». Elle consiste à supposer que les deux groupes de ménages auraient connu, en moyenne, les mêmes trajectoires de revenu, de comportement d’épargne et de consommation en l’absence de perte d’emploi pour le groupe traité. Sous cette hypothèse, la différence de trajectoires de revenus, de consommation et d’épargne entre les deux groupes peut alors être attribuée à l’épisode de chômage subi par le groupe traité, et non à des facteurs confondants.
Estimation des trajectoires
Les estimations des trajectoires de revenus, d’épargne et de consommation correspondent
à des études d’événements qui comparent les trajectoires du groupe traité à celles
du groupe de contrôle. La méthode utilisée est celle de Ouvrir dans un nouvel ongletSun et Abraham (2021) qui permet de réaliser ces comparaisons dans le cadre d’un traitement (en l’occurrence,
la perte d’emploi) ayant lieu à des dates multiples. Différentes cohortes de ménages
sont ainsi définies, en fonction des dates d’entrée au chômage. Pour chaque mois d’entrée
au chômage, soit pour chaque cohorte, une comparaison est réalisée entre le groupe
traité et son groupe de contrôle. L’effet moyen total estimé correspond alors à une
moyenne pondérée des effets sur l’ensemble des cohortes.
Toutes les variables de résultats sont winsorisées, c’est-à-dire tronquées en dessous
du 2,5e percentile et au-dessus du 97,5e percentile, comme dans Ouvrir dans un nouvel ongletAndersen et al. (2023) ou encore Ouvrir dans un nouvel ongletGanong et Noel (2019).
Source
Accès et utilisation des données
L’Insee remercie La Banque Postale pour sa disponibilité et pour avoir permis d’accéder à des données de comptes bancaires dans le cadre du centre d’accès sécurisé aux données (CASD) garantissant l’anonymat des clients. Les détails concernant l’accès et l’utilisation des données sont disponibles dans Bonnet et Loisel (2024).
Constitution de l’échantillon final
Cette étude est produite à partir des données de comptes bancaires d’un échantillon de clients dits « engagés » à La Banque Postale ; c’est-à-dire ceux pour lesquels elle estime héberger les principaux revenus et moyens de consommation. Ces données comprennent les soldes des différents comptes (comptes courants, livrets d’épargne, assurances-vie, comptes-titres), les virements, les prélèvements, les retraits et les transactions par carte ainsi qu’une mesure du poste de consommation associé. Elles contiennent également diverses informations sociodémographiques, incluant l'âge, le sexe, la structure familiale, la profession, le département et le lieu de résidence (zones urbaines, rurales ou périurbaines).
Dans l’étude, les ménages sont suivis pendant douze mois consécutifs autour de l’épisode de perte d’emploi. Néanmoins, les ménages présentant une des conditions suivantes sont exclus : recevant des transferts supérieurs à 60 000 euros ; ayant moins de cinq transactions sortantes par mois ; ayant perçu des revenus inférieurs à 150 euros au cours du trimestre précédant la fenêtre d’observation. La première restriction vise à éliminer les transactions financières élevées, parfois en lien avec un achat immobilier, et qui compliquent l’analyse des mouvements d’épargne. Les autres restrictions permettent d’écarter les clients dont les revenus principaux ne sont pas versés sur les comptes détenus à la Banque Postale.
Limites des données d’une seule banque
L’échantillon est représentatif de la clientèle de La Banque Postale mais pas nécessairement de l’ensemble de la population française. Par ailleurs, cette clientèle est susceptible de détenir des comptes dans d’autres établissements bancaires, ce qui empêche d’avoir une vision exhaustive de la consommation, des revenus et des encours au niveau du ménage sur la seule base de ces données. Toutefois, ces problèmes potentiels de représentativité et de complétude semblent d’ampleur limitée [Bonnet et al., 2024].
Définitions
Les dépenses, ou la consommation, correspondent aux transactions par carte bancaire (y compris les retraits en espèces), aux chèques et aux prélèvements automatiques (à l’exclusion de ceux correspondant à des paiements d'impôts ou des remboursements de crédits à la banque). Cela exclut les virements sortants, car les données ne permettent pas de distinguer ceux qui correspondent à de la consommation (les paiements de loyers, par exemple) de ceux qui sont du ressort de l'épargne. La catégorisation des commerçants bénéficiaires de la transaction est établie selon la nomenclature Merchant Category Code (MCC) et permet de classer la consommation par type d’achat.
L’épargne correspond à la somme de trois agrégats. Le principal correspond à la variation des soldes mensuels sur l’ensemble des comptes financiers (comptes de dépôts, livrets d’épargne, assurance-vie et comptes-titres) détenus à La Banque Postale. Sont ajoutés les virements sortants et retirés les virements entrants vis-à-vis des comptes détenus par le ménage dans une autre banque que La Banque Postale (identifiés par la banque grâce au nom de famille). Enfin, les remboursements de crédits (prêts hypothécaires et à la consommation) sont ajoutés, et les montants correspondant à de nouveaux prêts à la consommation dans la banque sont déduits. Cette définition restrictive implique qu’une partie de l'épargne des ménages n’est pas mesurée.
Les ménages correspondent dans cette étude aux clients de La Banque Postale. Les clients partageant un compte joint sont regroupés dans un même ménage et les clients sans compte joint correspondent donc aux personnes seules.
Le revenu disponible mensuel comprend tous les virements que la banque a identifiés comme des revenus, auxquels s’ajoutent les chèques reçus, déduction faite des prélèvements identifiés comme des paiements d’impôts. Les virements entre particuliers sont exclus. Outre des salaires, les virements incluent des pensions, des prestations sociales et des allocations chômage, repérées par la banque à partir du nom de l’organisme émetteur. Les salaires correspondent aux virements restants.
Les liquidités d’un client correspondent à la somme de tous les avoirs sur ses comptes courants (individuels et joints) et ses comptes épargne.
Le patrimoine financier brut d’un client correspond à la somme de tous les avoirs sur ses comptes, hormis les dettes et les crédits : comptes courants (individuels et joints), comptes épargne, assurances-vie et comptes-titres. Il inclut donc les liquidités et les actifs non liquides.
Pour en savoir plus
Bonnet O., Loisel T., « L’économie racontée par les données bancaires », Courrier des statistiques no 12, Insee, décembre 2024.
Bonnet O., Le Grand F., Olivia T., Ragot X., Wilner L., “The consumption response to unemployment – Evidence from French bank account data” , Documents de travail no 2024-23, Insee, octobre 2024.
Andersen A. L., Jensen A. S., Johannesen N., Kreiner C. T., Leth-Petersen S., Sheridan A., Ouvrir dans un nouvel onglet “How do households respond to job loss? Lessons from multiple high-frequency datasets” , American Economic Journal: Applied Economics, octobre 2023.
Sun L., Abraham S., Ouvrir dans un nouvel onglet “Estimating dynamic treatment effects in event studies with heterogeneous treatment effects” , Journal of Econometrics, 2021.
Ganong P., Noel P., Ouvrir dans un nouvel onglet “Consumer spending during unemployment: positive and normative implications” , American Economic Review, juillet 2019.
Euzenat D., Prokovas N., « Ouvrir dans un nouvel ongletReprise d'emploi des demandeurs d'emploi : disparités selon la situation au regard de l'indemnisation », Éclairages et synthèses no 18, septembre 2015.
Spinnewijn J., Ouvrir dans un nouvel onglet “Unemployed but optimistic: optimal insurance design with biased beliefs” , Journal of the European Economic Association, 2015.
Duesenberry J. S., “Income, Saving, and the Theory of Consumer Behavior”, Harvard University Press, 1949.