Insee Analyses Guyane · Mai 2024 · n° 69

Hausse de la tension sur le marché du travail guyanais en 2022

En 2022, la dynamique de reprise entamée en 2021, après la levée complète des restrictions sanitaires, se confirme. Les niveaux de la production ou de l’emploi surpassent ceux d’avant la crise sanitaire. La croissance économique de la Guyane atteint +1,1 % et le Produit Intérieur Brut (PIB) en volume retrouve le niveau de 2019. Le marché de l’emploi est dynamique avec une hausse de 3,3 % de l’effectif salarié en 2022. De même, la création d’entreprises progresse avec 3100 entreprises créées en 2022 en Guyane.

Ces indicateurs économiques favorables ont aussi pour corollaire une augmentation des tensions de recrutement, exacerbées par le faible niveau de qualification de la population en Guyane. En 2021, la moitié de la population active guyanaise (51 %) ne dispose d’aucun diplôme, contre 13 % en France métropolitaine.

En 2022, tous métiers confondus, l’indicateur synthétique de tension sur le marché du travail construit par la Dares et France Travail (pour comprendre) atteint son niveau le plus élevé (4 sur 5) depuis 2011 en Guyane (figure 1). Cette tension se constate également en France [Chartier et al. 2023 ; pour en savoir plus (1)]. Auparavant, le niveau de tension en Guyane était moyen (3 sur 5) ou faible (2 sur 5), voire très faible (1 sur 5).

Les tensions sont élevées dans l’industrie et le tertiaire guyanais et moyennes dans le bâtiment et les travaux publics (BTP). Le tertiaire est en forte tension seulement depuis 2022, alors que l’industrie l’est déjà depuis 2019. L’agriculture quant à elle présente un niveau de tension faible.

Parmi les 13 familles de métiers les plus importantes en termes de recrutement (représentant au moins 200 offres d’emploi publiées en ligne), 12 sont en tension forte à très forte (de 4 à 5) (figure 2).

Les professions du bâtiment et des travaux publics (BTP) sont les premières concernées, notamment les cadres et les techniciens et agents de maîtrise. L’indicateur complémentaire d’intensité d’embauche illustre la forte volonté des employeurs pour ces recrutements. Les fonctions de cadres et d’agents de maîtrise nécessitent des compétences et formations spécifiques. Or un décalage existe entre les compétences requises par les employeurs et celles dont disposent les personnes en recherche d’emploi. Cette inadéquation s’illustre par l’indicateur complémentaire de tension du lien entre la spécialité de formation et le métier. Il est élevé pour les cadres et techniciens et agents de maîtrise du BTP. Un déficit de main d’œuvre complique également le recrutement des techniciens et agents de maîtrise du BTP. En effet, l’indicateur complémentaire de manque de main d’œuvre est également élevé pour cette famille professionnelle.

À la faveur d’une forte volonté d’embauche des cadres du BTP, le nombre de postes augmente plus vite que le nombre total de cadres guyanais tous secteurs confondus entre 2017 et 2021 (+9,9 % contre +4,3 %). Le salaire net horaire est cependant inférieur au salaire des cadres du privé (26,4 € contre 29,9 € en 2021) pouvant constituer une difficulté de recrutement supplémentaire [Lhommeau et Rémy, 2020 ; pour en savoir plus (2)]. En contrepartie, les cadres du BTP bénéficient d’une sécurité de l’emploi plus grande que leurs homologues du secteur privé en Guyane. En effet, en 2021, 92,1 % des postes sont des contrats à durée indéterminée (CDI) contre 79,4 % dans l’ensemble des cadres du secteur privé guyanais. La majorité des postes sont occupés par des hommes (83,1 % contre 54,6 %). Le vieillissement des cadres du BTP est plus marqué que celui de l’ensemble des cadres du secteur privé guyanais. La part des seniors (55-69 ans) a augmenté de 1,8 points entre 2017 et 2021 contre 1,2 point pour l’ensemble. Ils restent néanmoins plus jeunes. En 2021, les seniors représentent 14,1 % des cadres du BTP contre 22,4 % de l’ensemble des cadres guyanais.

Dans le domaine de la santé, le marché du travail des professions para-médicales est en tension très forte. Outre le manque de main d’œuvre disponible, la tension est liée à une intensité d’embauches et un manque de formation très élevés. Ces deux derniers indicateurs sont également au niveau le plus élevé chez les professionnels de l’action sociale et de l’orientation et peuvent expliquer une tension élevée sur le marché du travail. Ces deux familles de métiers sont composées majoritairement de professions intermédiaires (87 % chez les professions paramédicales et 100 % chez les professionnels de l’action sociale et de l’orientation).

Le nombre de postes salariés dans les professions paramédicales augmente de 6,3 % en moyenne annuelle entre 2017 et 2021 et de 8,1 % chez les professionnels de l’action sociale et de l’orientation, contre 6,0 % pour l’ensemble des professions intermédiaires guyanaises. Sur la même période, la part des seniors diminue de 0,8 point dans les professions paramédicales alors qu’elle augmente de 1,2 point pour l’ensemble des professions intermédiaires. À l’inverse, elle augmente pour les professionnels de l’action sociale et de l’orientation (+2,1 points). Ceux-ci restent cependant plus jeunes (12,2 % de seniors en 2021) que l’ensemble des professions intermédiaires guyanais (13,9 %). Ce constat est également valable chez les professions para-médicales (9,1 % de seniors en 2021). Ces métiers sont majoritairement féminins (75,3 % de femmes chez les professions paramédicales et 74,7 % chez les professionnels de l’action sociale et de l’orientation). Le salaire net horaire moyen de ces familles professionnelles (16,9 € chez les professionnels de l’action sociale et de l’orientation et 17,6 € chez les professionnels du para-médical) est plus faible que pour l’ensemble des professions intermédiaires de la région (19,1 €), ce qui les rend moins attractifs à l’embauche et peut constituer un facteur additionnel de tensions.

Malgré un nombre important de chômeurs et de personnes composant le halo autour du chômage en Guyane [Audoux, Wilczynski 2023 ; pour en savoir plus (3)], certains métiers souffrent d’un manque de main d’œuvre, comme les infirmiers et les sages-femmes. En outre, s’agissant de professions nécessitant des qualifications spécifiques, le critère de la formation requise est également un facteur de tension très élevé, dans un contexte de marché du travail avec un faible niveau de formation moyen. Composés exclusivement de professions intermédiaires, ces métiers offrent pourtant de meilleures conditions d’emplois que la moyenne. Notamment, la rémunération horaire net (21,5 €) est supérieure à celles des professions intermédiaires de la région (19,1 €).

Le métier de cuisinier est en tension élevée. Si l’origine de ces tensions est multiple, elles sont principalement liées à un recrutement très important de la part des employeurs. L’évolution du nombre d’emplois illustre cette tendance. Le nombre de postes de cuisinier a augmenté en moyenne de 10,5 % par an entre 2017 et 2021. Les conditions de travail difficiles (horaires décalés, insécurité financière…) et le manque de formation sont également facteurs de tension. Les difficultés de mobilité au sein du territoire (manque de transports en commun) rendent ces métiers à horaires décalés encore moins attractifs. La part de seniors de cette famille professionnelle (9,4 %) reste en dessous de la moyenne régionale de l’ensemble des salariés guyanais (15,9 %).

Des tensions en hausse sur le marché du travail dans un contexte de hausse démographique peuvent avoir des implications particulières et nécessiter des recrutements massifs pour répondre aux besoins d’une population nouvelle. La population passerait de 276 000 à 336 000 habitants sur la même période [Douriaud, 2022 ; pour en savoir plus (4)].

La population active suivrait la même tendance que la population globale. Elle augmenterait, passant de 106 200 actifs à 136 800 en 2030, soit une hausse annuelle moyenne de 2,1 % (figure 3). Cette augmentation serait le résultat de trois composantes. En premier lieu, l’effet démographique serait positif (+28 400 actifs entre 2018 et 2030) avec plus de jeunes rentrant sur le marché du travail que de départs à la retraite. Puis, l’augmentation du taux d’activité, en particulier due à la réforme des retraites et l’allongement de la durée de vie active, augmenterait le nombre d’actifs de 4 900 sur la période 2018-2030. Ces deux tendances seraient toutefois freinées par l’effet des migrations résidentielles qui diminuerait le nombre d’actifs de 2 700 sur la période 2018-2030.

Les évolutions de la population active seraient toutefois différentes selon l’âge. En particulier, la population active des seniors augmenterait, en lien avec le recul de l’âge de la retraite. En 2030, la population active guyanaise compterait 9 400 actifs supplémentaires de plus de 55 ans (figure 4), soit une augmentation annuelle moyenne de 4,4 %. Cette hausse serait principalement due à l’effet démographique (+7 400 actifs). L’effet de l’augmentation du taux d’activité serait de +3 800 et les migrations résidentielles de -1 800. Ainsi, la part des seniors dans la population active passerait de 13,1 % en 2018 à 17,0 % en 2030.

Le nombre d’actifs de 14 à 24 ans augmenterait également de 6 600 entre 2018 et 2030, soit une augmentation annuelle moyenne de 3,0 %, principalement causée par l’effet démographique (+7 600 sur la période). L’effet du taux d’activité serait également positif (+1 400 actifs entre 14 et 24 ans) imputable à l’augmentation du nombre d’apprentis. La montée en puissance de ce dispositif (+400 apprentis entre 2017 et 2021 en Guyane) permet en effet à des jeunes d’intégrer plus tôt le marché du travail et de venir ainsi renforcer les rangs de la population active. À l’inverse, l’effet des migrations résidentielles serait négatif (-2 400 actifs).

Entre ces deux classes d’âge, le nombre d’actifs de 25 à 54 ans augmenterait de 14 600, soit une hausse annuelle moyenne de 1,5 % principalement due à l’effet démographique (+13 400 actifs entre 2018 et 2030) et aux migrations résidentielles (+1 500 actifs entre 2018 et 2030). Le halo autour du chômage est particulièrement important en Guyane (21 % de la population des 15-64 ans, contre 4 % en France métropolitaine) et les personnes qui le composent ne font pas partie de la population active. Des politiques publiques qui permettraient de rapprocher ces personnes de l’emploi pourraient avoir un impact important sur la structure de la population active à venir.

Les tensions sur le marché du travail sont mesurées à l’aide de données issues de la Dares et de France Travail. Ouvrir dans un nouvel ongletL’indicateur principal de tension permet de fournir une échelle numérique de gradation des tensions par métier. Il prend en compte trois dimensions : les difficultés de recrutement anticipées par les employeurs, le nombre d’offres d’emploi rapportées au nombre de demandeurs d’emploi et la facilité des demandeurs d’emploi à retrouver un emploi.

Cet indicateur est accompagné d’Ouvrir dans un nouvel ongletindicateurs complémentaires éclairant les causes des tensions.