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Insee Analyses Grand Est · Février 2024 · n° 175
Insee Analyses Grand EstMénages agricoles du Grand Est : des revenus plutôt élevés qui masquent de fortes inégalités

Rémi Charrier, Thomas Ducharne (Insee)

Le Grand Est est la région de province où les ménages agricoles ont le niveau de vie médian le plus élevé. Cette situation s’explique en partie par le poids important qu’occupent la viticulture et l’exploitation de grandes cultures, des activités qui génèrent des revenus supérieurs à la moyenne.

Quel que soit le territoire agricole, le niveau de vie des ménages agricoles du Grand Est est supérieur à celui de leurs homologues de province. Il est soutenu par des exploitations de taille plus importante et par des revenus extra-agricoles plus conséquents.

Les ménages agricoles demeurent pour autant plus souvent en situation de pauvreté monétaire que les autres ménages actifs. Ce phénomène est particulièrement répandu chez les ménages dépendant d’un nombre limité de sources de revenus.

Insee Analyses Grand Est
No 175
Paru le :Paru le28/02/2024
Ménages agricoles du Grand Est : des revenus plutôt élevés qui masquent de fortes inégalités.
Publication rédigée par :Rémi Charrier, Thomas Ducharne (Insee)

Des revenus qui se limitent rarement aux seuls bénéfices agricoles

Entre 2009 et 2019, le nombre d’agriculteurs a baissé de 16 % dans le Grand Est et de 18 % dans l’ensemble des régions de France métropolitaine hors Île-de-France (ci-après, « province »). Outre les conditions de travail et la transmission des exploitations, le niveau des revenus est un enjeu important pour l’attractivité du métier. À l’échelle des ménages, les revenus des ménages agricoles ne se limitent pas toujours aux bénéfices agricoles, car ils incluent souvent des salaires perçus par le chef d’exploitation lui-même ou par les membres de son foyer, des revenus provenant du patrimoine, voire des pensions de retraites, des revenus non-salariaux provenant d’activités extra-agricoles ou bien encore des prestations sociales. Au total, les ménages agricoles du Grand Est ont disposé en moyenne entre 2015 et 2019 de 3,1 différentes, soit 1,2 source de plus que les autres ménages actifs.

Un niveau de vie médian plus élevé dans le Grand Est que dans les autres régions de province

Tous revenus confondus, entre 2015 et 2019, la moitié des ménages agricoles du Grand Est ont vécu avec au moins 4 070 € par mois, soit l’équivalent de 2 210 € mensuels pour une personne seule. Il s’agit du médian le plus élevé de toutes les régions de province, devant les Hauts-de-France (figure 1) ; son montant dépasse de 27 % la moyenne des ménages agricoles des autres régions de province.

Dans le Grand Est, le niveau de vie médian des ménages agricoles est aussi 20 % plus élevé que celui des autres ménages actifs. Si l’âge plus élevé de ménages agricoles et le fait que ceux-ci soient plus rarement constitués de personnes seules ou de familles monoparentales (encadré 1) tendent à tirer leurs revenus vers le haut, ces différences n’expliquent qu’une partie de l’écart constaté entre ces deux populations.

Figure 1Niveau de vie médian et part moyenne des ménages agricoles sous le seuil de pauvreté entre 2015 et 2019, par région

Niveau de vie médian et part moyenne des ménages agricoles sous le seuil de pauvreté entre 2015 et 2019, par région - Lecture : Entre 2015 et 2019, la moitié des ménages agricoles des Hauts-de-France ont disposé d’un niveau de vie supérieur à 2 040 € par mois ; dans le même temps, 14 % en moyenne des ménages agricoles ont vécu sous le seuil de pauvreté monétaire.
Région Niveau de vie mensuel médian (en €) Taux de pauvreté (en %)
Grand Est 2 210 14,2
Hauts-de-France 2 040 19,4
Centre-Val de Loire 1 890 23,2
Bourgogne Franche-Comté 1 820 21,9
Bretagne 1 800 20,2
Nouvelle Aquitaine 1 750 23,0
Provence-Alpes-Côte d'Azur 1 730 27,0
Pays de la Loire 1 700 21,8
Normandie 1 700 25,4
Auvergne-Rhône-Alpes 1 650 24,5
Occitanie 1 610 27,0
Corse 1 350 39,0
Province 1 780 22,5
  • Note : Les indicateurs présentés dans cette figure correspondent à des moyennes calculées sur les années de revenus 2015, 2016, 2017 et 2019.
  • Lecture : Entre 2015 et 2019, la moitié des ménages agricoles des Hauts-de-France ont disposé d’un niveau de vie supérieur à 2 040 € par mois ; dans le même temps, 14 % en moyenne des ménages agricoles ont vécu sous le seuil de pauvreté monétaire.
  • Champ : France hors Île-de-France, ménages agricoles dont la personne de référence a entre 16 et 64 ans.
  • Source : Insee, Filosofi, millésimes 2016 à 2019.

Figure 1Niveau de vie médian et part moyenne des ménages agricoles sous le seuil de pauvreté entre 2015 et 2019, par région

  • Note : Les indicateurs présentés dans cette figure correspondent à des moyennes calculées sur les années de revenus 2015, 2016, 2017 et 2019.
  • Lecture : Entre 2015 et 2019, la moitié des ménages agricoles des Hauts-de-France ont disposé d’un niveau de vie supérieur à 2 040 € par mois ; dans le même temps, 14 % en moyenne des ménages agricoles ont vécu sous le seuil de pauvreté monétaire.
  • Champ : France hors Île-de-France, ménages agricoles dont la personne de référence a entre 16 et 64 ans.
  • Source : Insee, Filosofi, millésimes 2016 à 2019.

Un niveau de vie soutenu par des spécialisations agricoles fortement rémunératrices

Figure 2Répartition sectorielle des agriculteurs et degré de pluriactivité des ménages agricoles suivant l’orientation de l’exploitation en 2019

(en %)
Répartition sectorielle des agriculteurs et degré de pluriactivité des ménages agricoles suivant l’orientation de l’exploitation en 2019 ((en %)) - Lecture : En 2019, 32 % des non-salariés agricoles du Grand Est travaillaient principalement dans le secteur des céréales et des grandes cultures, contre 20 % en moyenne dans les autres régions de province. En 2019, 32 % des céréaliers ont perçu des revenus salariaux en parallèle de leur activité non-salariée et 63 % des conjoints de céréaliers travaillent en dehors de l’exploitation.
Orientation de l’exploitation Répartition sectorielle des non-salariés agricoles Part des non-salariés agricoles pluriactifs (province) Part de conjoints d’agriculteurs travaillant à l’extérieur de l’exploitation (province)
Grand Est Autres régions de province
Céréales et grandes cultures 32 20 32 63
Culture de vignes 25 10 21 57
Élevage bovin 17 35 14 57
Culture et élevage combinés 19 12 17 59
Ensemble des professions agricoles 100 100 19 58
  • Lecture : En 2019, 32 % des non-salariés agricoles du Grand Est travaillaient principalement dans le secteur des céréales et des grandes cultures, contre 20 % en moyenne dans les autres régions de province. En 2019, 32 % des céréaliers ont perçu des revenus salariaux en parallèle de leur activité non-salariée et 63 % des conjoints de céréaliers travaillent en dehors de l’exploitation.
  • Champ : Agriculteurs âgés de 16 à 64 ans, hors sylviculture, chasse et services de soutien à l’agriculture.
  • Sources : Insee, base Non-salariés 2019 ; recensement de la population 2019, exploitation complémentaire.

Le Grand Est se démarque des autres régions de province par une surreprésentation des viticulteurs et des céréaliers (25 et 32 %, soit +14 et +12 points), alors que les éleveurs bovins proportionnellement moins nombreux (-18 points) (figure 2). Les territoires dominés par la viticulture et les grandes cultures sont ceux où le niveau de vie médian des ménages agricoles est le plus élevé : entre 2015 et 2019, celui-ci atteint respectivement 2 190 € et 2 060 € par mois en province, contre seulement 1 580 € dans les territoires essentiellement consacrés à l’élevage bovin.

Les bénéfices agricoles sont beaucoup plus importants dans les territoires à orientation viticole que dans les autres types de territoires agricoles. Il en va de même des revenus d’activité extra-agricoles dans les territoires majoritairement céréaliers. Moins astreignante au quotidien que d’autres activités telles que l’élevage bovin [Delame, 2015 ; pour en savoir plus (4)], la culture de céréales permet en effet au chef d’exploitation comme aux autres membres de sa famille de se consacrer davantage à des travaux annexes. En 2019, 32 % des céréaliers de province ont ainsi exercé une activité salariée pendant tout ou partie de l’année en parallèle de leur activité non salariée, et 63 % de leurs conjoints ont travaillé , soit respectivement 12 et 5 points de plus qu’en moyenne dans les professions agricoles.

En plus de bénéficier plus souvent de revenus salariés, les ménages agricoles des territoires dominés par la viticulture et les grandes cultures ont des revenus du patrimoine plus élevés. Entre 2015 et 2019, la moitié des ménages agricoles des territoires de province dominés par les grandes cultures ont perçu des revenus du capital supérieurs à 400 € par mois, contre 270 € pour ceux habitant un territoire viticole et 180 € pour ceux résidant dans un territoire où prime l’élevage bovin.

Viticulture, grandes exploitations et revenus complémentaires tirent les revenus vers le haut

À territoire agricole comparable, les revenus dont disposent les ménages agricoles du Grand Est demeurent plus élevés que ceux des autres ménages agricoles. Entre 2015 et 2019, leur niveau de vie médian a ainsi dépassé de 32 % celui de leurs homologues des autres régions de province dans les territoires à dominante viticole, de 15 % dans les territoires dominés par les grandes cultures et de 9 % dans ceux dominés par l’élevage bovin.

Figure 3Écarts de revenus perçus entre ménages agricoles du Grand Est et autres ménages agricoles de province, selon la source et l’orientation agricole du territoire

(en euros)
Écarts de revenus perçus entre ménages agricoles du Grand Est et autres ménages agricoles de province, selon la source et l’orientation agricole du territoire ((en euros)) - Lecture : À configuration familiale comparable, entre 2015 et 2019, un ménage agricole résidant dans un territoire viticole a perçu en moyenne 340 € par mois de salaires ou d’indemnités chômage de plus dans le Grand Est que dans la moyenne des autres régions de province.
Type de territoire agricole Salaires et/ou indemnités chômage Bénéfices agricoles Autres revenus non-salariaux Revenus du patrimoine et autres revenus Pensions et rentes Prestations sociales
Grandes cultures 190 180 -20 40 20 -10
Viticulture 340 450 10 180 70 -30
Élevage bovin 110 10 10 30 10 -20
Ensemble 330 270 20 160 40 -30
  • Note : Les revenus issus de chaque source ont été divisés par le nombre d’unités de consommation (UC) que compte chaque ménage afin de raisonner à structures de ménages comparables.
  • Lecture : À configuration familiale comparable, entre 2015 et 2019, un ménage agricole résidant dans un territoire viticole a perçu en moyenne 340 € par mois de salaires ou d’indemnités chômage de plus dans le Grand Est que dans la moyenne des autres régions de province.
  • Champ : Ménages agricoles dont la personne de référence a entre 16 et 64 ans.
  • Sources : Insee, Filosofi, millésimes 2016 à 2019 ; Agreste, Recensement agricole 2020.

Quelle que soit l’ du territoire où ils résident, les ménages agricoles du Grand Est perçoivent des bénéfices agricoles plus importants que dans la moyenne des autres régions de province (figure 3). Les territoires viticoles jouissent de la renommée du vignoble champenois et alsacien. Dans les territoires de grandes cultures ou d’élevage bovin, la différence s’explique en partie par une surreprésentation des dans la région (+13 points par rapport à la moyenne nationale).

À orientation agricole comparable, les ménages agricoles du Grand Est perçoivent également des revenus issus de salaires ou d’indemnités chômage plus élevés que dans les autres régions de province. Ils touchent plus souvent ce type de revenus, en lien avec une plus grande propension à la du chef d’exploitation.

De même, les ménages agricoles du Grand Est bénéficient de revenus du patrimoine plus élevés que ceux de leurs homologues des autres régions de province. Entre 2015 et 2019, ceux-ci ont été supérieurs de 36 % dans les territoires viticoles, de 11 % dans les zones d’élevage bovin et de 7 % dans les espaces dominés par les grandes cultures. À secteur de production comparable, les exploitations agricoles sont plus souvent structurées sous la forme de sociétés dans le Grand Est que dans les autres régions de province. Dans le cadre de ce statut juridique, tout ou partie des revenus générés par l’activité agricole peuvent être déclarés comme des revenus du patrimoine (encadré 2) .

De fortes inégalités parmi les ménages agricoles

Malgré un niveau de vie moyen élevé, de fortes inégalités existent entre ménages agricoles de la région. Entre 2015 et 2019, le niveau de vie « plancher » des 10 % les plus aisés est 5,4 fois supérieur au niveau de vie « plafond » des 10 % les plus modestes, contre 3,2 chez les autres ménages actifs de la région. Ces ratios sont proches de ceux observés au niveau national.

Au cours de cette période, en moyenne 14 % des ménages agricoles du Grand Est vivent sous le seuil de monétaire. Même s’il demeure moins élevé que dans les autres régions de province (23 %), ce taux est supérieur d’un point à celui des autres ménages actifs de la région. La pauvreté monétaire touche plus fortement les ménages agricoles qui vivent dans les territoires d’élevage, dans les départements du centre ou du nord-ouest du Grand Est ou dans des espaces éloignés des principaux pôles d’emploi (figure 4). Ce phénomène est aussi répandu chez les ménages dont l’origine des revenus est peu diversifiée, qui sont constitués d’une personne seule ou dont la personne de référence a moins de 50 ans.

Figure 4Part des ménages agricoles vivant sous le seuil de pauvreté entre 2015 et 2019

  • Note : Les données de la carte lissée ne sont pas diffusables.
  • Champ : Ménages agricoles dont la personne de référence a entre 16 et 64 ans.
  • Source : Insee, Filosofi, millésimes 2016 à 2019.

Parmi ces différents critères, la diversification des sources de revenus est celui qui influe le plus sur le risque de pauvreté : entre 2015 et 2019, plus un ménage dépend d’un nombre limité de sources de revenus, plus la probabilité qu’il vive sous le seuil de pauvreté est forte (figure 5).

La probabilité d’être ou non en situation de pauvreté est d’autant plus importante que les effets peuvent se combiner. À titre d’exemple, le risque de pauvreté est moindre pour les ménages agricoles constitués d’un couple (avec ou sans enfant), qui ont en moyenne cumulé 3,3 sources de revenus différentes entre 2015 et 2019. De même, les orientations agricoles les plus rémunératrices telles que la viticulture et les grandes cultures sont très fortement présentes dans le Bas-Rhin, l’Aube et la Marne, autant de départements où le risque de pauvreté est plus faible.

Figure 5Principaux déterminants socio-économiques de la pauvreté des ménages agricoles du Grand Est

Principaux déterminants socio-économiques de la pauvreté des ménages agricoles du Grand Est - Lecture : Entre 2015 et 2019, la probabilité « toutes choses égales par ailleurs » d’être en situation de pauvreté monétaire rapportée à celle de ne pas l’être a été 1,6 plus élevée chez les ménages agricoles du Grand Est constitués d’une femme vivant seule que chez ceux constitués d’un couple avec enfant(s).
Ménages Rapport de côtes
Type de ménage
Homme seul 1,3
Femme seule 1,6
Couple sans enfant 0,6
Couple avec enfant(s) Réf.
Famille monoparentale 1,6
Autre 0,9
Âge de la personne de référence
Moins de 40 ans 0,9
40-54 ans Réf.
55 ans ou plus 0,9
Nombre de sources de revenus
1 8,0
2 2,0
3 Réf.
4 ou plus 0,6
Type de territoire agricole
Grandes cultures Réf.
Viticulture 0,4
Élevage bovin 1,1
Autre n.s.
Taille de l’aire d’attraction des villes (AAV)
200 000 hab. ou plus Réf.
De 50 000 à moins de 200 000 hab. 1,1
Moins de 50 000 hab. 1,2
Hors AAV 1,3
Département
Ardennes 1,9
Aube n.s.
Marne Réf.
Haute-Marne 2,0
Meurthe-et-Moselle 1,7
Meuse 1,9
Moselle 1,5
Bas-Rhin 0,9
Haut-Rhin 1,3
Vosges 1,9
  • Réf. : Caractéristique utilisée comme référence pour le modèle.
  • n.s. : valeur non-significative (p-value > 0,05).
  • Note : Pour chacune des variables explicatives prises en compte dans cette régression logistique, la modalité de référence a été choisie comme celle qui, dans le Grand Est, représente à chaque fois le plus grand nombre de ménages agricoles. Plus la valeur du rapport de côtes est élevée, plus forte est la probabilité de vivre sous le seuil de pauvreté pour les ménages qui se rapportent à la modalité considérée, toutes choses égales par ailleurs. Les bénéfices agricoles sont comptabilisés comme une source de revenu à part entière si leur montant annuel est différent de 0. Par convention, toutes les autres composantes le sont dès lors que leur montant s’élève à plus de 1 000 € dans l’année.
  • Lecture : Entre 2015 et 2019, la probabilité « toutes choses égales par ailleurs » d’être en situation de pauvreté monétaire rapportée à celle de ne pas l’être a été 1,6 plus élevée chez les ménages agricoles du Grand Est constitués d’une femme vivant seule que chez ceux constitués d’un couple avec enfant(s).
  • Champ : Ménages agricoles du Grand Est dont la personne de référence a entre 16 et 64 ans.
  • Sources : Insee, Filosofi, millésimes 2016 à 2019 ; Agreste, Recensement agricole 2020.

Encadré 1 - Les ménages agricoles, une population atypique sur le plan socio-démographique

En 2019, le Grand Est dénombrait 37 100 ménages agricoles, soit 10,3 % de l’ensemble des ménages agricoles de province. Ceux-ci représentaient ainsi 2,6 % de l’ensemble des ménages de la région, contre 2,3 % en moyenne dans les autres régions de province. Ils sont surreprésentés dans les zones viticoles de la Marne et du sud de l’Aube, ainsi que dans le sud-est des Ardennes.

Dans le Grand Est, 52 % des ménages agricoles sont formés d’un couple avec enfants, soit 14 points de plus que chez les autres ménages actifs. À l’inverse, les ménages agricoles sont plus rarement des personnes seules ou des familles monoparentales (respectivement 12 et 6 points de moins).

La personne de référence est souvent plus âgée. Dans 39 % des ménages agricoles, elle a entre 55 et 64 ans, soit une proportion supérieure de 14 points à celle des autres ménages actifs.

Encadré 2 - Les revenus agricoles : un concept délicat à appréhender

Les bénéfices agricoles sont définis par l’Ouvrir dans un nouvel ongletarticle 63 du Code Général des Impôts (CGI) comme « les revenus que l'exploitation de biens ruraux procure soit aux fermiers, métayers, soit aux propriétaires exploitants eux-mêmes ». Dans le Grand Est, entre 2015 et 2019, ils ont contribué pour 38 % au revenu disponible des ménages agricoles.

Si cette définition tend à rapprocher les bénéfices agricoles des revenus issus de l’activité agricole, ces deux notions ne sauraient être entièrement confondues. Dans certaines situations, des revenus pourtant issus de l’activité agricole peuvent être déclarés sous une autre catégorie fiscale. Par exemple, lorsque les exploitants agricoles décident de salarier une partie des membres de leur ménage, d’exercer leur activité sous forme sociétaire et de louer les terres qu’ils possèdent à leur société, ou encore lorsqu’une société exerçant une activité agricole opte pour l’imposition sur les sociétés à la place de l’imposition sur le revenu. Dans le Grand Est, le nombre d’exploitations agricoles exerçant sous forme sociétaire a progressé de 9 % entre 2010 et 2020. En 2020, ces dernières représentaient ainsi 52 % de l’ensemble des exploitations de la région, soit 10 points de plus qu’au niveau national. Dans 65 % des cas, ces exploitations louaient au moins une partie de leurs terres auprès de leurs associés.

Inversement, des revenus non agricoles à strictement parler peuvent, sous certaines conditions, être assimilés d’un point de vue fiscal à des bénéfices agricoles. C’est le cas des revenus non salariés extra-agricoles perçus en marge d’une activité agricole (agritourisme, vente de produits agricoles, prestations de services effectuées dans d’autres exploitations agricoles…), dès lors que la moyenne de ces revenus sur les trois dernières années n’excède ni 50 % des recettes tirées de l’activité agricole, ni 100 000 € (Ouvrir dans un nouvel ongletarticle 75 du CGI).

Publication rédigée par :Rémi Charrier, Thomas Ducharne (Insee)

Champ

Sont considérés comme des ménages agricoles les ménages fiscaux ayant indiqué avoir perçu des bénéfices agricoles (positifs ou négatifs) dans le cadre de leur déclaration d’impôts sur le revenu. Il peut s’agir d’exploitants individuels comme de ménages détenant des parts de sociétés civiles agricoles (GAEC, EARL ou SCEA). Les autres ménages actifs correspondent aux ménages ayant perçu des revenus d’activité autres que des bénéfices agricoles (salaires, bénéfices industriels et commerciaux ou bénéfices non commerciaux).

Afin de pouvoir raisonner sur une population a priori réellement en activité, ne sont pris en compte dans cette étude que les ménages dont la personne de référence a entre 16 et 64 ans.

A la différence de la plupart des publications de l’Insee sur les revenus, les ménages qui présentent un revenu disponible négatif sont en revanche pris en compte dans cette étude. Ce choix vise à tenir compte de la situation des ménages agricoles dont les revenus non agricoles ne sont pas suffisants pour compenser les déficits liés à leur activité agricole.

Publication rédigée par :Rémi Charrier, Thomas Ducharne (Insee)

Sources

Les montants de revenus indiqués dans cette étude sont issus du Fichier localisé social et fiscal (Filosofi). Fruit d’un appariement entre fichiers d’origine fiscale (impôts sur le revenu et taxe d’habitation essentiellement) et fichiers des principaux organismes gérant la protection sociale (Caisse nationale d'assurance vieillesse, Caisse nationale des allocations familiales et Caisse centrale de la mutualité sociale agricole), ce dispositif permet notamment de connaître le revenu après redistribution dont dispose chaque ménage fiscal, ainsi que le montant des différentes composantes qui l’alimentent (salaires et indemnités chômage, revenus d’activité non-salariaux, pensions et rentes, prestations sociales, revenus du patrimoine et autres revenus, impôts directs).

Afin d’atténuer la variabilité inhérente aux revenus que perçoivent d’une année sur l’autre les ménages agricoles, les statistiques sur les revenus ont été calculées en faisant la moyenne des revenus perçus entre 2015 et 2019 (hormis 2018). Les montants des revenus perçus en 2015, 2016 et 2017 ont été convertis en euros de l’année 2019 afin de tenir compte de l’inflation. En raison de la mise en place du prélèvement à la source en 2019, les revenus de l’année 2018 ne sont pas connus de l’administration fiscale.

La source Filosofi ne permettant pas de connaître les déductions fiscales obtenues par les agriculteurs au titre des investissements réalisés (achat de machines, de terres…), les revenus des ménages agricoles présentés dans cette étude sont potentiellement sous-estimés par rapport à ceux des autres ménages.

Les données du recensement de la population 2019 ont été utilisées afin de connaître la situation professionnelle des conjoint(e)s d’agriculteurs.

Constitué à partir de fichiers issus de l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS) et de la Mutualité Sociale Agricole (MSA), le millésime 2019 de la Base sur les non-salariés (BNS) a notamment permis de connaître la part d’agriculteurs exerçant une activité salariée ainsi que leur répartition sectorielle. Les données de la MSA utilisées ici excluent notamment de leur champ les Ouvrir dans un nouvel ongletcotisants solidaires.

Les données issues du recensement agricole 2020 ont été employées afin de définir l’orientation agricole de chaque territoire et de comparer la dimension économique et le statut juridique des exploitations agricoles du Grand Est à celle des autres régions de province.

Définitions

Dans cette étude, sept sources de revenus sont distinguées, à savoir les bénéfices agricoles, les salaires et indemnités chômage, les revenus d’activités indépendantes extra-agricoles, les bénéfices agricoles, les pensions et rentes, les prestations sociales, et les revenus du patrimoine et autres revenus. Tous ces agrégats sont exprimés en montants bruts de CSG déductible et de CRDS.

Les bénéfices agricoles sont comptabilisés comme une source de revenu à part entière si leur montant annuel est différent de 0. Par convention, toutes les autres composantes le sont dès lors que leur montant s’élève à plus de 1 000 € dans l’année.

Le niveau de vie est égal au revenu disponible du ménage divisé par le nombre d'unités de consommation (UC). Le niveau de vie est donc le même pour tous les individus d'un même ménage.

Les unités de consommation sont calculées selon l'échelle d'équivalence dite de l'OCDE modifiée, qui attribue 1 UC au premier adulte du ménage, 0,5 UC aux autres personnes de 14 ans ou plus et 0,3 UC aux enfants de moins de 14 ans.

Le niveau de vie médian correspond au montant au-dessus duquel la moitié d’une population (ménages ou individus) dispose d’un niveau de vie supérieur et l’autre moitié d’un niveau inférieur.

Dans cette étude, les conjoints des agriculteurs sont considérés comme travaillant en dehors de l’exploitation familiale dès lors qu’ils occupent un emploi autre que celui de chef d’exploitation agricole. Par exception, les individus exerçant comme salariés agricoles dans la même commune que leur conjoint agriculteur sont assimilés à des actifs employés sur l’exploitation.

Dans cette étude, chaque commune dispose d’une orientation agricole dominante dès lors qu’une certaine production représente deux tiers de la Ouvrir dans un nouvel ongletproduction brute standard (PBS) des exploitations agricoles ayant leur siège dans la commune et s’avère l’activité théoriquement la plus rémunératrice d’au moins la moitié de ces mêmes exploitations. Pour des raisons de fiabilité, n’ont été conservées que les orientations agricoles représentant un nombre jugé suffisamment conséquent de ménages agricoles à l’échelle de la région Grand Est, soit les grandes cultures, la viticulture et l’élevage bovin.

Les ménages agricoles ont été rattachés à ces différentes catégories de territoires en fonction de la catégorie à laquelle se rattache leur commune de résidence.

Les moyennes et grandes exploitations correspondent aux exploitations agricoles dont la production brute standard (PBS) est supérieure à 100 000 euros annuels.

Un agriculteur est dit pluriactif dès lors qu’il a perçu des revenus salariaux au cours de l’année considérée.

Un ménage est considéré comme pauvre lorsque son niveau de vie est inférieur au seuil de pauvreté. Conformément aux usages en vigueur au niveau national comme européen, le seuil utilisé dans cette étude est fixé à 60 % du niveau de vie médian en France métropolitaine.

Pour en savoir plus

(1) Delame N., « Ouvrir dans un nouvel ongletRevenus agricoles et non agricoles des agriculteurs de 2003 à 2016 », Économie Rurale 2021, janvier 2022.

(2) Dorbec E., « Ouvrir dans un nouvel ongletUne agriculture régionale relativement préservée malgré la poursuite de la baisse démographique », Agreste Études no 6, décembre 2021.

(3) Bordet-Gaudin R., Logeais C., Ulrich A., « Le niveau de vie des ménages agricoles est plus faible dans les territoires d’élevage », Insee Première no 1876, octobre 2021.

(4) Delame N., « Les revenus non agricoles réduisent les écarts de revenus entre foyers d’agriculteurs », Insee Références, édition 2015.