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Insee Analyses Guadeloupe · Février 2023 · n° 64
Insee Analyses GuadeloupeLes entreprises de Guadeloupe résistent à la crise sanitaire de 2020

Philippe Clarenc (Insee)

En 2020, l’activité des unités légales guadeloupéennes baisse avec un recul du chiffre d’affaires de 3,7 %. La crise sanitaire impacte les performances financières des unités légales du territoire, notamment dans les secteurs de l’hébergement, la restauration et les transports. Leur capacité à générer de la valeur ajoutée baisse fortement entraînant un déséquilibre dans le partage de la richesse en défaveur des entrepreneurs. Cependant, aidés par les mesures de l’État, les entrepreneurs prennent des mesures financières pour atténuer les effets de la crise en augmentant leur trésorerie. Ces aides permettent également de limiter les mises en liquidation judiciaire en 2020.

Insee Analyses Guadeloupe
No 64
Paru le :Paru le02/02/2023

Le tourisme subit fortement la crise sanitaire

En 2020, affecté par les effets de la crise sanitaire, le climat des affaires en Guadeloupe est défavorable avec une baisse du chiffre d’affaires de 3,7 %. Les secteurs marchands non agricoles et non financiers guadeloupéens génèrent un chiffre d’affaires de 11,3 milliards d’euros. Cette évolution s’explique en partie par le secteur touristique qui subit fortement la crise sanitaire. Cette spécificité concerne surtout les économies insulaires (encadré).

Figure 1Répartition du nombre et du chiffre d’affaires des unités légales

Répartition du nombre et du chiffre d’affaires des unités légales - Lecture : En 2020, l’industrie compte 1 777 unités légales soit 9,8 % du total. Elles génèrent 1 463 millions d’euros de chiffres d’affaires, en baisse de 3,2 %. Elles comptent pour 12,9 % du chiffre d’affaires total.
Secteur Unités légales Chiffre d’affaires
Nombre Part (%) En valeur 2020 (millions d’euros) Part (%) Évolution (%)
Industrie 1 777 9,8 1 463 12,9 -3,2
Construction 2 227 12,2 1 002 8,9 -8,3
Commerce 3 583 19,7 5 766 51,0 -0,8
Transports et entreposage 919 5,0 1 052 9,3 0,3
Hébergement et restauration 1 638 9,0 287 2,5 -25,9
Information et communication 410 2,3 252 2,2 -5,0
Activités immobilières 1 617 8,9 413 3,7 -3,1
Autres services principalement marchands 6 033 33,1 1 080 9,5 -9,9
Ensemble 18 204 100,0 11 315 100,0 -3,7
  • Lecture : En 2020, l’industrie compte 1 777 unités légales soit 9,8 % du total. Elles génèrent 1 463 millions d’euros de chiffres d’affaires, en baisse de 3,2 %. Elles comptent pour 12,9 % du chiffre d’affaires total.
  • Source : Insee, Fichier FARE DIRAG 2020 et 2019.

La création de richesse se réduit en 2020

Mesurant la richesse créée par les , la valeur ajoutée régresse de 7,1 %, pour atteindre un montant de 2,7 milliards d’euros en 2020. Les consommations intermédiaires se contractent moins fortement que la production marchande (figure 2). Le mesure l’intégration de l'entreprise, c'est-à-dire l'importance des transformations qu'elle fait subir aux produits dans la filière de fabrication. La crise sanitaire réduit la capacité des unités légales à créer de la richesse : le taux de valeur ajoutée chute sur la période (figure 3).

La (VACF) est l’indicateur privilégié pour mesurer le partage de la valeur ajoutée entre les secteurs institutionnels. Les unités légales génèrent une VACF de 2,6 milliards d’euros en 2020. La VACF baisse moins fortement que la valeur ajoutée car en Guadeloupe, les subventions d’exploitation augmentent fortement sur l’année alors que les impôts et taxes de production restent stables, conséquence d’une conjoncture morose. Cette hausse des subventions est en lien avec les mesures prises par l’État pour réduire les effets de la crise sanitaire sur la santé financière des entreprises (aide « paiement des cotisations et contributions sociales », aide « fonds de solidarité », aide « coûts fixes »). Cette hausse se constate également sur la France entière (+57 %).

Figure 2Indicateurs contribuant au partage de la valeur ajoutée

Indicateurs contribuant au partage de la valeur ajoutée - Lecture : en 2020, la production marchande est de 7 201 millions d’euros soit une baisse de 344 millions d’euros (- 4,6 %).
Poste comptable 2019 (millions d’euros) 2020 (millions d’euros) Différence (millions d’euros) Évolution (%)
Production marchande 7 545 7 201 -344 -4,6
Consommations intermédiaires 4 562 4 491 -71 -1,6
Valeur ajoutée hors taxes 2 983 2 710 -273 -9,2
Subventions d’exploitation 56 95 39 69,6
Impôts et taxes 167 168 1 0,6
Valeur ajoutée au coût des facteurs 2 871 2 637 -234 -8,2
Charges de personnel 1 997 1 971 -26 -1,3
EBE 875 666 -209 -23,9
  • Lecture : en 2020, la production marchande est de 7 201 millions d’euros soit une baisse de 344 millions d’euros (- 4,6 %).
  • Source : Insee, Fichier FARE DIRAG 2020 et 2019.

Figure 3Principaux ratios financiers

Principaux ratios financiers - Lecture : en 2020, le taux de marge est en baisse de 5,2 points pour atteindre 25,3 %.
Ratio 2019 (%) 2020 (%) Évolution (pt)
Taux de valeur ajoutée 25,4 23,9 -1,5
Marge brute exploitation 7,4 5,9 -1,5
Taux de marge 30,5 25,3 -5,2
Taux d’endettement 29,6 32,0 2,4
Autonomie financière 31,4 29,5 -1,9
Rentabilité financière 8,7 2,7 -6,0
Taux d’investissement 35,2 28,9 -6,3
Taux d’autofinancement 74,0 73,5 -0,5
  • Lecture : en 2020, le taux de marge est en baisse de 5,2 points pour atteindre 25,3 %.
  • Source : Insee, Fichier FARE DIRAG 2020 et 2019.

Le partage de la valeur ajoutée est en défaveur des entrepreneurs

Le partage de la valeur ajoutée est défavorable aux entrepreneurs. La réduction de l’ (EBE) est plus élevée que celle des charges de personnel en 2020 (respectivement -23,8 % et -1,3 %). La maîtrise des charges de personnel dépend de l’action du chef d’entreprise mais également de la politique d’aides aux entreprises du Gouvernement. Ainsi, en 2020, les entreprises bénéficient d’aides spécifiques telle que les exonérations de cotisations et contributions sociales ou l’allocation d’activité partielle. La baisse de la marge brute d’exploitation rend compte de la difficulté des unités légales à générer de l’excédent brut d’exploitation par rapport au chiffre d’affaires. Au final, l’EBE baisse sur une tendance bien plus forte que la VACF.

Dans le partage de la valeur ajoutée, le taux de marge rend compte de ce qui reste aux unités légales, l’excédent brut d’exploitation, notamment pour rémunérer le capital et investir, une fois déduite les charges de personnel. En Guadeloupe, il se contacte fortement.

Les entrepreneurs augmentent leur trésorerie en ayant recours à l’endettement

Cependant, les entreprises prennent des mesures financières en 2020 pour limiter la dégradation des résultats financiers, l’objectif premier étant d’améliorer la trésorerie nette de l’entreprise. Une trésorerie insuffisante pour faire face à ses échéances à court terme peut entraîner une cessation de paiement, la gestion de la trésorerie devenant plus délicate durant la période de confinement.

Pour cela, elles réduisent leur besoin en fonds de roulement (BFR) (figure 4). Le BFR correspond aux liquidités dont une entreprise à besoin pour fonctionner en attendant de percevoir les paiements de ses clients. En 2020, grâce à une meilleure gestion des stocks, des créances et des dettes hors emprunts, les unités légales diminuent fortement leur BFR.

Les unités légales agissent sur le fonds de roulement (FR). Le FR représente la partie des dont une entreprise dispose pour financer son cycle de production. Celles-ci croissent bien plus vite que les permettant une évolution positive du FR. En premier lieu, elles ont recours aux emprunts et dettes auprès des établissements financiers. Ce recours à l’emprunt est facilité par le dispositif des prêts garantis par l’État (PGE). Les emprunts et dettes des unités légales augmentent de 14,8 %, soit à un rythme plus soutenu que l’ensemble des dettes inscrites au passif du bilan (8,3 %). Au final, le taux d’endettement passe de 29,6 % à 32,0 %.

Figure 4Principaux indicateurs de la santé financière des unités légales

Principaux indicateurs de la santé financière des unités légales - Lecture : les dettes fournisseurs et autres dettes participent négativement au calcul du BFR. En 2020, elles participent pour - 5 243 millions d’’euros au calcul de total du BFR. Comme ces dettes augmentent de 3 %, elles ont une contribution négative de 153 millions d’euros à la variation annuelle du BFR.
Poste comptable 2019 (millions d’euros) 2020 (millions d’euros) Différence (millions d’euros) Évolution (%)
BFR 1 350 1 141 -209 -15,5
Stocks (en +) 1 487 1 502 15 1,0
Créances clients et autres créances (en +) 4 953 4 881 -72 -1,5
Dettes fournisseurs et autres dettes (en -) 5 090 5 243 153 3,0
FR 2 995 3 298 303 10,1
Ressources stables et durables (en +) 13 281 14 322 1 041 7,8
Emplois stables et durables (en -) 10 288 11 021 733 7,1
Capitaux propres 4 376 4 361 -15 -0,3
Emprunts et dettes auprès des établissements financiers 4 126 4 737 611 14,8
Résultat courant 381 117 -264 -69,3
Dont bénéfices comptables (en +) 665 638 -27 -4,1
Dont pertes comptables (en -) 284 522 238 83,8
  • Lecture : les dettes fournisseurs et autres dettes participent négativement au calcul du BFR. En 2020, elles participent pour - 5 243 millions d’’euros au calcul de total du BFR. Comme ces dettes augmentent de 3 %, elles ont une contribution négative de 153 millions d’euros à la variation annuelle du BFR.
  • Source : Insee, Fichier FARE DIRAG 2020 et 2019.

Les capitaux propres se maintiennent malgré des pertes comptables en hausse

Dans une moindre mesure, les jouent aussi leur rôle d’amortisseur de crise. Leur montant baisse légèrement sur la période malgré une forte hausse des pertes comptables des unités légales déficitaires. Cette forte baisse s’explique en grande partie aux pertes cumulées dans le secteur transport et entreposage. Les pertes comptables viennent en déduction dans le calcul des capitaux propres et peuvent accroître le risque d’insolvabilité. En effet, une société peut être mise en liquidation judiciaire si le niveau des capitaux propres est trop faible par rapport au . Rapportés au total du passif, les capitaux propres rentrent en compte dans la mesure de l’autonomie financière. L’autonomie financière se dégrade avec la crise avec un recul de ce ratio de 1,9 points. Cette baisse est concomitante avec la hausse du taux d’endettement.

Le rapporté aux capitaux propres mesure la rentabilité financière des entreprises. Celle-ci se contracte fortement en 2020 (-6 points), en raison dune contraction plus forte du résultat comptable par rapport aux capitaux propres.

Peu d’entreprises sont mises en liquidation judiciaire en 2020

La trésorerie nette des entreprises est en forte hausse. Par précaution, elles ont transféré les aides de l’état, notamment les prêts garantis, dans leur trésorerie active qui augmente dans le total de l’actif passant de 9,0 % à 11,1 % entre 2019 et 2020.

La crise n’a pas d’impact sur le nombre de défaillance d’entreprise en Guadeloupe en 2020. La tendance à la baisse, entamée en 2017, se prolonge. Les aides mises en place lors de la pandémie maintiennent en activité des entreprises qui, sans elles, auraient été en grande difficulté.

L’investissement corporel (figure 5) regroupe les investissements en actifs physiques destinés à être utilisés durablement par l’entreprise comme moyens de production. Il est très dépendant de la politique des grandes entreprises, leur volume d’investissement fluctuant fortement d’une année sur l’autre.

L’investissement corporel est en forte baisse. En 2020, les unités légales dépensent 783 millions d’euros en investissements corporels. Le taux d’investissement, qui mesure le poids des investissements dans la valeur ajoutée, est lui aussi impacté négativement.

La capacité d’autofinancement (CAF) est utilisée pour investir, se désendetter ou verser des dividendes aux actionnaires. La CAF approche les 575 millions d’euros en 2020. La CAF baisse au même rythme que l’investissement. Elle est liée à la forte baisse de l’EBE qui est la première composante de la CAF. Le mesure la capacité de l’entreprise à financer elle-même ses investissements : en Guadeloupe, il est égal à 73,5 % en 2020, soit un niveau proche de celui de 2019.

Figure 5Indicateurs de l’investissement

Indicateurs de l’investissement - Lecture : les charges financières et charges diverses participent négativement au calcul de la CAF. En 2020, elles participent pour - 307 millions d’euros à la CAF . Comme les charges baissent de 12 % sur l’année, elles ont une contribution positive de 42 millions d’euros à la variation annuelle de la CAF.
Poste comptable 2019 (millions d’euros) 2020 (millions d’euros) Différence (millions d’euros) Évolution (%)
Investissement corporels 1 049 783 -266 -25,4
CAF 776 575 -201 -25,9
EBE (en +) 875 666 -209 -23,9
Produits financiers et produits divers (en +) 250 216 -34 -13,6
Charges financières et charges diverses (en -) 349 307 -42 -12,0
  • Lecture : les charges financières et charges diverses participent négativement au calcul de la CAF. En 2020, elles participent pour - 307 millions d’euros à la CAF . Comme les charges baissent de 12 % sur l’année, elles ont une contribution positive de 42 millions d’euros à la variation annuelle de la CAF.
  • Source : Insee, Fichier FARE DIRAG 2020 et 2019.

Encadré - Le commerce a un rôle d’amortisseur de la crise sanitaire

Le commerce, premier moteur économique de l’île, représente la moitié du chiffre d’affaires de l’île. Son poids dans l’économie locale est plus important que celui de la France métropolitaine (39,5 %). Il est dans son ensemble peu affecté par la crise avec un chiffre d’affaires en léger recul.

Cependant, en 2020, ce résultat masque une évolution de l’activité très différente selon les secteurs du commerce. Les ventes de véhicules routiers neufs subissent de plein fouet l’interdiction de déplacement imposée lors du premier confinement de mars à mai 2020. Dans le secteur du commerce et la réparation d’automobiles et de motocycles, le chiffre d’affaires se réduit de 11,0 %. Le commerce de gros recule de 1,9 % tandis que le commerce de détail, moins touché par les mesures de restrictives, voit son activité commerciale augmenter de 3,0 %, porté par les commerces de première nécessité.

La crise sanitaire frappe plus durement certains secteurs économiques, notamment ceux liés aux loisirs et au tourisme. Les entreprises pâtissent des restrictions de déplacement ou la fermeture administrative de certains établissements recevant du public (cinéma, salles de sport, salon de coiffure…). Le secteur de l’hébergement et restauration est le plus touché. Les restrictions influent également à la baisse sur le chiffre d’affaires de certaines entreprises appartenant aux autres services principalement marchands.

Dans le secteur de la construction, le chiffre d’affaires recule fortement même si la construction spécialisée (qui compte pour 70,8 % du chiffre d’affaires du secteur) est moins marquée par la crise que la construction de bâtiment ou le génie civil.

D’autres secteurs ressentent moins les effets de la crise sanitaire. Par exemple, l’industrie subit une baisse modérée de son activité. Mais ce secteur compte pour une part faible dans l’économie de l’île si on la compare à celle de la France entière (26,6 %).

Seul le secteur des transports et entreposage se distingue par une légère hausse du chiffre d’affaires en lien avec le rachat de la compagnie aérienne Corsair dont le siège social a été transféré en Guadeloupe en 2020. En conséquence, la Guadeloupe se différencie par un poids plus élevé de ce secteur dans le chiffre d’affaires total (9,3 %) par rapport à la Martinique (5,6 %) ou la Guyane (5,3 %).

Publication rédigée par :Philippe Clarenc (Insee)

Sources

Les résultats de l’étude sont issus des fichiers « FARE » 2020 et 2019. Ce fichier comprend les liasses fiscales exploitables statistiquement. Les unités légales correspondent aux entreprises individuelles et aux sociétés ayant leur siège social situé en Guadeloupe. Les micro-entreprises au sens fiscal sont exclues du champ d’étude.

Définitions

L’unité légale est une entité juridique de droit privé ou public. Cette entité peut-être une personne physique ou une personne morale. Cette définition de l’unité légale ne doit pas être confondue avec celle de l’entreprise, considérée comme unité statistique.

Le taux de valeur ajoutée correspond au rapport de la valeur ajoutée sur le chiffre d’affaires.

La valeur ajoutée au coût des facteurs se déduit de la valeur ajoutée brute en ajoutant les subventions d’exploitation et en retranchant les impôts sur la production.

L’excédent brut d’exploitation est égal à la valeur ajoutée au coût des facteurs diminuée des charges de personnel.

Les ressources stables et durables correspondent aux ressources de long terme de l’entreprise (capitaux propres, rovisions pour risques et charges, amortissement et provisions…).

Les emplois stables et durables correspondent aux emplois de long terme de l’entreprise (immobilisations, frais d’émission d’emprunt à étaler, capital souscrit non appelé…).

Les capitaux propres correspondent à l’ensemble des moyens de financement mis à la disposition permanente de l’entreprise (capital social, réserves, résultat comptable…).

Le capital social correspond à une somme apportée par les actionnaires et les associés d’une unité légale.

Le résultat comptable correspond à la différence entre l’ensemble de tous les produits et l’ensemble de toutes les charges de l’exercice.

Le taux d’autofinancement est égal au rapport de l’investissement corporels hors apports sur la capacité d’autofinancement.

La valeur ajoutée est égale à la différence entre la production finale de l’entreprise et les consommations intermédiaires. Elle est calculée hors taxes.

La trésorerie active désigne la partie de l’actif circulant qui peut-être mobilisable à court terme.

La trésorerie nette désigne l’ensemble des sommes d’argent mobilisables à court terme. Elle se calcule par la différence entre le FR et le BFR de l’entreprise.

Le taux d’endettement mesure le niveau de la dette par rapport aux fonds propres. Il est égal à l’endettement financier, (soit les emprunts obligataires) rapporté aux capitaux propres.

Pour en savoir plus

« Bilan économique 2020 », Insee Conjoncture Guadeloupe, no14, juillet 2021.

« Les entreprises en France », Insee Références, décembre 2022.