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Insee Analyses Mayotte · Février 2022 · n° 31
Insee Analyses MayotteÀ Mayotte, des syndromes dépressifs deux fois plus fréquents qu’en métropole Enquête santé DOM 2019

Élodie Floury, Jamel Mekkaoui, Sébastien Merceron, Pierre Thibault (Insee)

En 2019, 20 % de la population de Mayotte est concernée par un syndrome dépressif, soit deux fois plus qu’en France métropolitaine. Mayotte est ainsi, avec la Guyane, le département d’Outre-mer le plus lourdement touché par ce trouble de l’humeur. Les femmes, les jeunes et les personnes âgées sont particulièrement concernés.

Être en mauvaise santé physique, ne pas avoir d’emploi et être né à l’étranger font partie des principaux facteurs associés à la dépression à Mayotte.

Les personnes dépressives sont moins satisfaites de leur vie que les autres. Elles déclarent plus fréquemment ne faire aucune activité physique. Elles renoncent aussi plus souvent à des soins et consultent rarement un professionnel de la santé mentale. À Mayotte, l’état dépressif ne s’accompagne pas de comportements addictifs particuliers.

Insee Analyses Mayotte
No 31
Paru le :Paru le25/02/2022

La est un trouble de l’humeur marqué par une profonde tristesse, un désespoir, un manque de désir de vivre, un repli sur soi, une perte d’intérêt et de motivation.

Dans l’enquête Santé 2019 sur laquelle se base cette étude, le syndrome dépressif est mesuré grâce à un questionnaire usuellement utilisé au niveau international détaillant les symptômes de la dépression. Selon le nombre de symptômes déclarés, le syndrome dépressif est considéré comme « modéré » ou « sévère » (Pour comprendre). Certains symptômes, comme la fatigue ou les troubles du sommeil sont courants à Mayotte, dans un contexte de conditions de vie difficiles (pauvreté, conditions de logement, insécurité, etc.).

Mayotte est avec la Guyane le Drom le plus touché par les syndromes dépressifs

En 2019, à Mayotte, 20 % de la population de 15 ans ou plus est concernée par un syndrome dépressif : 14 % par un syndrome modéré, et 6 % par un syndrome sévère (figure 1). L’état dépressif y est deux fois plus répandu qu’en France métropolitaine et qu’à La Réunion, et également un peu plus qu’aux Antilles. En revanche, les syndromes dépressifs sont aussi fréquents à Mayotte qu’en Guyane, où 19 % de la population est concernée. La part des personnes touchées par un syndrome sévère à Mayotte est en outre légèrement inférieure à celle en Guyane, et équivalente à celle en Martinique.

Figure 1Part des habitants présentant des syndrome dépressifs modérés ou sévères selon le territoire

en %
Part des habitants présentant des syndrome dépressifs modérés ou sévères selon le territoire (en %)
Syndrome dépressif
Syndrome modéré Syndrome sévère Ensemble
Mayotte 13,8 6,2 20,0
Guyane 12,2 7,2 19,4
Martinique 11,0 6,1 17,1
Guadeloupe 10,7 4,0 14,6
La Réunion 7,0 4,3 11,3
  • Champ : personnes de 15 ans ou plus.
  • Sources : Drees-Insee, Enquête Santé Dom, EHIS, 2019.

Figure 1Part des habitants présentant des syndrome dépressifs modérés ou sévères selon le territoire

  • Champ : personnes de 15 ans ou plus.
  • Sources : Drees-Insee, Enquête Santé Dom, EHIS, 2019.

Les conditions de vie et d’habitat souvent précaires, l’insécurité prégnante, la situation administrative irrégulière d’une partie de la population peuvent expliquer l’ampleur de certains troubles constitutifs du syndrome dépressif à Mayotte, notamment ceux du sommeil et de l’appétit ainsi que la fatigue et le manque d’énergie. De plus, la crise sanitaire survenue après la réalisation de l’enquête Santé Dom 2019 a probablement aggravé la prévalence des états dépressifs à Mayotte, comme ailleurs en France [Ouvrir dans un nouvel ongletCostemalle et al., 2021].

Les troubles du sommeil constituent le trouble le plus fréquent à Mayotte, évoqué par 22 % de la population (figure 2). Cette part est moindre dans les autres départements et régions d’Outre-mer (Drom), où elle ne dépasse pas 18 %. Les troubles de l’appétit sont également importants à Mayotte, où 18 % de la population est concernée. Les deux symptômes généraux de la dépression y sont aussi plus fréquents : 16 % des habitants déclarent s’être sentis « tristes, déprimés ou désespérés » dans les deux semaines précédant l’enquête, et 15 % estiment avoir eu « peu d’intérêt ou de plaisir à faire les choses » sur cette même période.

Les différents symptômes de la dépression affectent ainsi plus les habitants de Mayotte que les autres Domiens et les métropolitains, hormis quelques exceptions. En particulier, si 22 % de la population de Mayotte évoque avoir ressenti une fatigue et un manque d’énergie « plus de la moitié des jours » ou « presque tous les jours » durant les deux semaines précédant l’enquête, ce symptôme touche 25 % de la population martiniquaise. En effet, la population antillaise est bien plus âgée que celle de Mayotte, et est de ce fait plus encline à se sentir fatiguée, la probabilité de se déclarerfatigué augmentant avec l’âge.

Figure 2Taux de prévalence des neuf symptômes de la dépression à Mayotte

en %
Taux de prévalence des neuf symptômes de la dépression à Mayotte (en %)
Neuf symptômes de la dépression Taux de prévalence
Troubles du sommeil 22,4
Fatigue et manque d’énergie 22,2
Troubles de l’appétit 17,8
Tristesse 16,5
Manque d’intérêt 14,8
Mauvaise estime de soi 11,8
Problèmes de concentration 11,3
Envie de se faire du mal 9,7
Lenteur ou agitation 8,9
  • Champ : personnes de 15 ans ou plus vivant à Mayotte en 2019.
  • Sources : Drees-Insee, Enquête Santé Dom, EHIS, 2019.

Figure 2Taux de prévalence des neuf symptômes de la dépression à Mayotte

  • Champ : personnes de 15 ans ou plus vivant à Mayotte en 2019.
  • Sources : Drees-Insee, Enquête Santé Dom, EHIS, 2019.

L’état de santé général, un facteur associé à la dépression

À Mayotte comme ailleurs en France, l’état de santé psychologique est très lié à l’état de santé corporel, toutes choses égales par ailleurs (Pour comprendre). En effet, 34 % des habitants de l’île qui déclarent être en mauvaise ou très mauvaise santé sont concernés par la dépression, soit deux fois plus que ceux qui s’estiment en bonne santé (figure 3). En particulier, les personnes se déclarant en mauvaise santé sont deux fois plus souvent touchées que celles en bonne santé par le symptôme de la fatigue et du manque d’énergie.

Figure 3Part des habitants de Mayotte présentant un syndrome dépressif modéré ou sévère selon les caractéristiques liées à l’état dépressif

en %
Part des habitants de Mayotte présentant un syndrome dépressif modéré ou sévère selon les caractéristiques liées à l’état dépressif (en %)
Syndrome dépressif
Syndrome modéré Syndrome sévère Ensemble
Bonne santé perçue 13,0 5,5 18,5
Mauvaise santé perçue 21,5 12,5 34,0
Né à l’étranger 16,0 6,2 22,2
Né en France hors Mayotte 3,2 0,0 3,2
Natif de Mayotte 12,4 6,9 19,3
Pas d’accident important 13,6 5,7 19,3
Accident important 17,2 14,9 32,1
Peu ou pas d’intérêt 18,1 7,7 25,8
Beaucoup d’intérêt de l’entourage 13,3 5,2 18,6
Autres inactifs 19,8 6,1 25,9
Retraités 19,8 6,6 26,3
Étudiants 15,1 7,8 22,9
Chômeurs 12,2 7,1 19,3
En emploi 9,1 4,3 13,3
Douleurs limitantes 18,3 10,3 28,6
Douleurs peu limitantes 16,0 7,5 23,5
Pas de douleurs / douleurs non limitantes 12,5 4,9 17,4
Diplôme du supérieur 4,1 4,3 8,4
Baccalauréat 13,4 12,2 25,6
CAP/BEP 15,4 6,2 21,6
Sans diplôme 15,2 5,4 20,7
  • Champ : personnes de 15 ans ou plus habitant à Mayotte en 2019.
  • Sources : Drees-Insee, Enquête Santé Dom, EHIS, 2019.

Figure 3Part des habitants de Mayotte présentant un syndrome dépressif modéré ou sévère selon les caractéristiques liées à l’état dépressif

  • Champ : personnes de 15 ans ou plus habitant à Mayotte en 2019.
  • Sources : Drees-Insee, Enquête Santé Dom, EHIS, 2019.

De plus, souffrir de douleurs physiques invalidantes est souvent associé à une santé mentale dégradée : 29 % des habitants souffrant de telles douleurs présentent un syndrome dépressif, contre 18 % de ceux qui ne souffrent pas de douleurs physiques, ou pour lesquels ces douleurs n’entravent pas leur vie quotidienne. Les personnes en mauvaise santé physique sont nombreuses à Mayotte malgré la jeunesse de la population, ce qui contribue à la forte prévalence de la dépression dans le territoire : 11 % des personnes de 15 ans ou plus se déclarent en mauvaise santé corporelle, 7 % déclarent être fortement limitées par des douleurs invalidantes et 5 % estiment être fortement limitées dans leurs activités quotidiennes par un handicap.

De même, les syndromes dépressifs concernent davantage les personnes ayant connu un accident important au cours de l’année précédant l’enquête, en lien avec le traumatisme ou les séquelles consécutifs à cet accident : 32 % d’entre elles présentent un syndrome dépressif. Ces personnes déclarent notamment fréquemment souffrir de troubles du sommeil (31 %), d’un manque d’énergie (27 %), et d’un sentiment de tristesse (26 %). Elles évoquent également bien plus souvent que les personnes n’ayant pas connu d’accident dans l’année précédant l’enquête une perte d’intérêt (24 % contre 14 %) et des ralentissements ou agitations psychomoteurs (17 % contre 8 %).

Le manque d’emploi constitue un facteur aggravant

Le statut face à l’emploi est également un facteur associé au risque de dépression, toutes choses égales par ailleurs : les syndromes dépressifs affectent moins fréquemment les personnes ayant un emploi que les autres. En effet, si 13 % des personnes en emploi sont concernées, c’est le cas de 26 % des retraités et des autres inactifs (personnes au foyer). Les étudiants constituent également une population vulnérable, 23 % d’entre eux étant concernés par un syndrome dépressif. Ces catégories de la population ne déclarent néanmoins pas les mêmes symptômes. Si les retraités citent notamment bien plus fréquemment un manque d’énergie (27 %) et une perte d’intérêt (26 %), les autres inactifs évoquent quant à eux plus fréquemment des troubles de sommeil (27 %), et un sentiment de tristesse ou de désespoir (23 %). De leur côté, les étudiants sont les plus nombreux à déclarer des troubles de l’appétit (26 %) et une mauvaise opinion de soi (16 %).

Le niveau de diplôme est un autre facteur associé à la dépression : les personnes diplômées du supérieur sont bien moins concernées (8 %). Cela pourrait être lié au fait que les personnes plus diplômées sont souvent mieux informées et sensibilisées à une certaine hygiène de vie, et aux soins auxquels elles peuvent accéder. Notamment, les personnes diplômées ont moins souvent des difficultés à comprendre et suivre les recommandations des professionnels de santé.

Le diplôme et le statut face à l’emploi sont cependant très corrélés au . À Mayotte comme ailleurs en France, les personnes diplômées du supérieur et en emploi, qui sont moins souvent touchées par ce trouble de la santé mentale, sont celles qui ont le niveau de vie le plus élevé. À Mayotte, 24 % des personnes pauvres sont concernées par un syndrome dépressif, contre 15 % des plus aisées.

Les natifs de l’étranger présentent plus fréquemment un syndrome dépressif

À Mayotte, le lieu de naissance des personnes est une caractéristique fortement associée à la dépression. Les personnes nées à l’étranger sont davantage touchées par un syndrome dépressif (22 %) que les personnes natives de Mayotte (19 %). De leur côté, les personnes nées dans l’Hexagone ou dans un autre Drom sont très peu concernées (3 %).

Les personnes nées à l’étranger peuvent en effet cumuler des difficultés. Plus souvent en situation de pauvreté, elles peuvent aussi être confrontées à la séparation avec des proches restés dans le pays d’origine, à des difficultés d’intégration à Mayotte, particulièrement pour ceux en situation irrégulière. Les natifs de l’étranger évoquent notamment bien plus souvent avoir connu un épisode important de tristesse et de désespoir dans les deux semaines précédant l’enquête : 20 %, contre 14 % des personnes natives du département, et 3 % des personnes non natives de Mayotte et nées françaises.

Le manque d’intérêt que les personnes reçoivent de leur entourage est également associé à la dépression, l’un entretenant l’autre et réciproquement. Ainsi, 26 % des personnes estimant recevoir peu ou pas du tout d’intérêt de la part de leurs proches sont concernées par un syndrome dépressif, contre 19 % de celles pensant recevoir beaucoup d’intérêt de la part de leur entourage. En effet, le soutien social au sens large protège de la dépression [Ouvrir dans un nouvel ongletGariépy et al., 2018]. L’intérêt perçu de la part de l’entourage influe en particulier sur l’estime de soi : les personnes qui estiment recevoir peu d’intérêt de la part des proches sont deux fois plus nombreuses que les autres à avoir une mauvaise estime d’elles-mêmes.

Les femmes, les personnes âgées et les jeunes davantage concernés par les syndromes dépressifs

À Mayotte comme ailleurs en France, les femmes sont un peu plus fréquemment concernées par les syndromes dépressifs que les hommes (21 % contre 18 %). Cependant, les hommes sont légèrement plus concernés entre 20 et 24 ans, et surtout au-delà de 65 ans.

La dépression touche particulièrement les jeunes, la période de l’adolescence et du passage à l’âge adulte constituant une période à risque [Ouvrir dans un nouvel ongletOMS, 2020] : 23 % des hommes et 26 % des femmes de 15 à 19 ans sont dans ce cas. Les taux de prévalence diminuent ensuite jusqu’à 65 ans. La dépression est très fréquente ensuite, malgré la solidarité intergénérationnelle très présente à Mayotte : 25 % des hommes de 65 ans ou plus et 22 % des femmes de ces âges en sont alors affectés.

Les femmes, les jeunes et les seniors sont plus atteints par les états dépressifs. Ils sont davantage sujets à certains facteurs qui y sont associés. Ainsi, les femmes sont plus fréquemment en mauvaise santé que les hommes, et plus souvent en situation d’obésité. Elles sont aussi moins fréquemment en emploi (22 % contre 36 % des hommes), et bien plus souvent inactives (33 % contre 15 %). De plus, les femmes peuvent être sujettes à la dépression du post-partum , consécutive à la naissance d’un enfant.

Les plus jeunes sont quant à eux moins souvent en emploi, tandis que les personnes âgées de 65 ans ou plus déclarent plus fréquemment un mauvais état de santé (47 %), ou des douleurs très invalidantes (34 %).

Les personnes dépressives moins satisfaites de leur vie

Mayotte est le Drom où la satisfaction dans la vie est la plus faible. Sur une échelle de 0 (pire vie possible) à 10 (meilleure vie), les habitants de Mayotte attribuent en moyenne une note de 5,4 à leur vie, contre 6,9 en moyenne dans les autres Drom. La situation économique et sociale plus dégradée à Mayotte explique en partie ce constat. Sans surprise, l’état dépressif dégrade le degré de satisfaction dans la vie : 5/10 pour les habitants de Mayotte qui souffrent de syndromes dépressifs, et 6/10 pour les autres.

Par ailleurs, l’inactivité physique et la sédentarité sont bien plus courantes chez les personnes en dépression. En effet, 27 % des personnes vivant à Mayotte et présentant un syndrome dépressif sévère ne déclarent aucune activité physique, qu’elle soit liée au travail ou à des loisirs. Cette part baisse à 18 % pour celles qui ne sont pas en dépression. L’ est également un peu plus fréquent chez les personnes qui présentent un syndrome dépressif : 40 % d’entre elles sont dans ce cas, contre 35 % des personnes sans syndrome.

La consommation quotidienne de tabac est presque aussi fréquente à Mayotte (14 %) qu’à La Réunion (16 %). C’est moins qu’en métropole (19 %), mais plus qu’en Guadeloupe, Guyane et Martinique (10 %). La consommation déclarée de cannabis (ou bangué) à Mayotte est la moins élevée des Drom : 2 % des habitants de Mayotte déclare en avoir consommé dans l’année précédant l’enquête, contre 5 à 8 % dans les autres Drom. La consommation quotidienne d’alcool est également plus faible à Mayotte. Les personnes dépressives ne présentent pas de comportements addictifs particuliers à Mayotte par rapport à celles qui ne sont pas en dépression, contrairement à La Réunion où les personnes dépressives sont plus souvent sujettes à des comportements addictifs [Floury et Merceron, 2021]. Toutefois, à Mayotte, les personnes ayant consommé du bangué dans les 12 derniers mois, ainsi que celles qui fument plus d’un paquet de cigarettes par jour présentent près de deux fois plus souvent que les autres les symptômes de perte d’intérêt à faire les choses et d’envie de se faire du mal.

Un recours faible aux professionnels de la santé mentale

À Mayotte, le recours à des professionnels de la santé mentale (psychologue, psychothérapeute ou psychiatre) est très faible : 2 % de sa population en a consulté un dans l’année précédant l’enquête, contre 3 % en Guyane, 5 % en Guadeloupe, 6 % à La Réunion, et 7 % en Martinique et dans l’Hexagone. Même pour les personnes souffrant d’un syndrome sévère de la dépression, cette pratique reste marginale à Mayotte (4 %), et moins répandue que dans les autres Drom (24 % en Martinique).

Le très faible recours aux soins de santé mentale à Mayotte pourrait tout d’abord s’expliquer par le fait que la très grande majorité des personnes souffrant d’un syndrome dépressif n’en ont pas conscience. En effet, seules 14 % des personnes présentant un état dépressif sévère, et 9 % de celles en état dépressif modéré, reconnaissent avoir connu une dépression au cours des 12 mois précédant l’enquête. Ces parts sont nettement plus élevées dans les autres Drom, s’échelonnant dans le cas des personnes concernées par un syndrome sévère de 27 % en Guadeloupe à 37 % à La Réunion. À Mayotte, parmi les personnes qui reconnaissent avoir connu une dépression dans l’année, 10 % ont eu recours à un suivi psychologique ou psychiatrique, soit cinq fois plus que ceux qui ne pensent pas avoir été en dépression.

De plus, le renoncement aux soins est fréquent à Mayotte, notamment pour des questions financières. Ainsi, 12 % des habitants ayant eu besoin d’un suivi psychologique dans l’année précédant l’enquête n’ont pas pu se le payer. Cette part est inférieure à 7 % dans les autres Drom. À Mayotte, 17 % des personnes qui estiment avoir été en dépression pendant l’année écoulée ont renoncé à un suivi psychologique ou ont dû le reporter. De plus, 64 % d’entre elles ont ajourné des soins médicaux. Une part importante de la population majeure de Mayotte ne bénéficie pas d’une complémentaire santé, ni même de la Sécurité sociale, ce qui complique l’accès aux soins. Ce constat est d’autant plus vrai que les personnes touchées par un état dépressif sont souvent plus précaires : 44 % d’entre elles ne sont pas couvertes par la Sécurité sociale, contre 34 % de celles ne souffrant pas de dépression.

Par ailleurs, l’offre de soins en santé mentale, déficitaire à Mayotte, peut expliquer le faible recours de sa population à ces professionnels. En effet, au 1er janvier 2019, Mayotte compte seulement 4 professionnels de psychiatrie pour 100 000 habitants, contre 23 pour 100 000 dans l’Hexagone [ARS, 2019].

Par ailleurs, il est fréquent à Mayotte de faire appel à des médecins traditionnels, notamment des Fundi , afin de soulager des problèmes de santé, y compris ceux de la sphère psychique, plutôt en substitution de la médecine conventionnelle.

Publication rédigée par :Élodie Floury, Jamel Mekkaoui, Sébastien Merceron, Pierre Thibault (Insee)

Pour comprendre

Pour la première fois en 2019, l’enquête Santé européenne a été menée en France métropolitaine et dans les cinq Drom avec des échantillons suffisants pour produire des estimations régionales en Outre-mer. Il s’agit de la troisième édition de l’ European Health Interview Survey (EHIS) pilotée au niveau européen par Eurostat. L’enquête s’adresse aux personnes âgées de 15 ans ou plus.

Les questions relatives à la santé mentale et aux addictions ont été auto-administrées : les enquêtés y ont répondu de façon autonome sous casque avec une tablette. Ce protocole particulier vise à réduire les biais de déclaration, ces sujets étant sensibles. À Mayotte, le questionnaire a été proposé en français, en shimaoré et en kibushi.

L’indicateur de la dépression utilisé dans cette enquête est basé sur les recommandations du DSM
( Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, American Psychiatric Association ) : la fréquence de neuf symptômes de la dépression est étudiée au cours des 15 jours précédant l’enquête. Les deux premiers symptômes sont généraux (tristesse et peu d’intérêt à faire les choses), les autres étant plus spécifiques : troubles du sommeil, de l’alimentation, manque d’énergie, mauvaise opinion de soi, difficulté à se concentrer, lenteur ou agitation, pensée relative à la mort et envie de se faire du mal. Une personne est considérée ici comme souffrant d’un syndrome modéré (respectivement sévère) de la dépression si elle ressent « plus de la moitié des jours » ou « presque tous les jours » au moins deux symptômes (respectivement cinq) dont au moins un symptôme général. À noter que l’envie de se faire du mal est un symptôme pris en compte dès qu’une personne déclare en souffrir « plusieurs jours ».

Les facteurs de l’état dépressif ont été révélés par un modèle de régression logistique, estimant la probabilité de présenter un syndrome dépressif en fonction de diverses caractéristiques, toutes choses égales par ailleurs. Il n’est cependant pas possible d’établir le sens de la causalité entre ces facteurs et l’état dépressif : par exemple, la pauvreté est-elle la cause ou la conséquence de la dépression ?

Définitions

La dépression ou « épisode dépressif caractérisé (EDC) » est un trouble de l’humeur caractérisé par différents symptômes : tristesse, perte d’intérêt, troubles du sommeil et de l’appétit, etc.

D’intensité variable, la dépression peut entraîner des conséquences importantes sur la vie de la personne en souffrant et de son entourage, mais est également associée à un risque accru de suicide. La prévalence de ce trouble est ici estimée à partir du questionnaire PHQ9, et de la méthode dite « de l’algorithme » (Pour comprendre).

Le niveau de vie tient compte du revenu et de la composition d’un ménage. On distingue ici les 40 % des ménages de Mayotte ayant le niveau de vie le plus élevé (ménages les plus aisés), les 40 % les plus modestes (ménages pauvres), et les 20 % des ménages se situant entre ces deux tranches (ménages médians).

On considère qu’une personne est en excès de sédentarité dès lors qu’elle passe plus de 7 heures par jour assise ou allongée sans dormir.

Pour en savoir plus

Balicchi J., Merceron S., Thibault T., « Enquête Santé DOM en 2019 - Près de la moitié des habitants de Mayotte ayant eu besoin d’un soin ont dû le reporter ou y renoncer », Insee Analyses Mayotte n° 29, juillet 2021.

Floury E., Merceron S., «  La dépression : un Réunionnais sur dix concerné », Insee Analyses La Réunion n° 59, juin 2021.

Gariépy G., Honkaniemi H., Quesnel-Vallée H., « Ouvrir dans un nouvel ongletSocial support and protection from depression : systematic review of current findings in Western countries », Cambridge University Press, janvier 2018.

Leduc A., « Ouvrir dans un nouvel ongletpremiers-resultats-de-lenquete-sante-europeenne-ehis-2019-metrople-guadeloupe-martinique-guyane-la-réunion-mayotte Premiers résultats de l’enquête santé européenne 2019 », Les dossiers de la Drees n° 78, avril 2021.

Costemalle V., Hazo J-B., « Ouvrir dans un nouvel ongletConfinement du printemps 2020 : une hausse des syndromes dépressifs, surtout chez les 15-24 ans  », Etudes et Résultats, Drees n° 1185, mars 2021.

Organisation mondiale de la Santé (OMS), « Ouvrir dans un nouvel onglet Santé mentale des adolescents », septembre 2020.

Schulz P., « Ouvrir dans un nouvel ongletTraitement des troubles psychiatriques selon le DSM-5 et la CIM-10 », Collection Psychopharmacologie Clinique, De Boeck Supérieur s.a, 2016.