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Insee Analyses · Octobre 2021 · n° 68
Insee AnalysesDispositif « jeune entreprise innovante » : un effet faible et incertain sur l’emploi des entreprises bénéficiaires

Simon Quantin, Simon Bunel (Insee) et Clémence Lenoir (DG-Trésor)

Mis en place en 2004, le dispositif « jeune entreprise innovante » (JEI) permet aux entreprises nouvellement créées ayant des dépenses de recherche et développement suffisamment importantes de bénéficier d’allégements fiscaux et sociaux, notamment pour les emplois dédiés à la recherche. Près de 9 000 entreprises en ont bénéficié entre 2004 et 2015.

L’évaluation des effets de ce dispositif sur l’emploi salarié total, l’emploi salarié dédié à la recherche et les salaires se heurte à la difficulté à trouver des entreprises auxquelles les comparer, qui soient similaires sans toutefois avoir recours au dispositif. De fait, même en sélectionnant des entreprises non bénéficiaires ayant des caractéristiques observées similaires, il subsiste des différences de probabilité de recourir au dispositif, entre ces entreprises similaires et les JEI, expliquant également leur emploi et les salaires.

Finalement, même en supposant qu’une JEI a entre deux fois plus et deux fois moins de chance de recourir au dispositif qu’une entreprise non bénéficiaire aux caractéristiques observées similaires, le recours au dispositif JEI aurait un effet positif sur l’emploi salarié total et sur l’emploi dédié à la recherche et au développement pour seulement 16 % des entreprises bénéficiaires à partir de leur 2e année d'existence. Le dispositif n’aurait aucun effet sur l’emploi des entreprises ayant recours au dispositif à partir de leur 4e année d'existence et jamais d’effet sur la rémunération versée aux salariés. En outre, du fait du recours plus fréquent au Crédit impôt recherche et innovation et aux aides Bpifrance des JEI, ce résultat ne serait pas nécessairement attribuable au seul dispositif JEI.

Des allègements sociaux et fiscaux pour les « jeunes entreprises innovantes »

Les entreprises nouvellement créées sont souvent perçues comme contribuant fortement à la dynamique de la productivité et de l’emploi dans les économies développées [Ouvrir dans un nouvel ongletHaltiwanger et al., 2013 ; Ouvrir dans un nouvel ongletAdelino et al., 2017]. En France, Bignon et Simon (2018) ont souligné le rôle des entreprises innovantes et en « forte croissance » dans la création d’emplois entre 2012 et 2015, et notamment celui des entreprises nouvelles, dont les effectifs ont doublé sur cette période. Cependant, les nouvelles entreprises peuvent aussi connaître des difficultés pour conduire des projets de recherche et d’innovation, que ce soit pour recruter ou pour se financer. Afin de réduire ces difficultés, le statut « jeune entreprise innovante » (JEI), créé en 2004, permet aux jeunes PME indépendantes dont les dépenses de recherche et d’innovation sont suffisamment importantes de bénéficier d’allègements fiscaux et surtout d’exonérations de cotisations sociales patronales sur les emplois dédiés aux activités de recherche pendant leurs huit premières années d’existence. Ces aides peuvent être cumulées avec le crédit impôt recherche (CIR) et le crédit impôt innovation (CII), dont les montants sont indexés sur le volume des dépenses de recherche et d’innovation, ainsi qu’avec les aides à l’innovation de Bpifrance ou avec les avantages liés à l’appartenance à un pôle de compétitivité.

Entre 2004 et 2015, 8 868 entreprises ont bénéficié au moins une fois du dispositif JEI pour un montant total d'exonérations de cotisations sociales patronales de 1 505 millions d’euros. Les JEI exercent principalement leur activité dans le secteur des services : 41 % d'entre elles sont dans la programmation informatique, 34 % dans la recherche et le développement, et 11 % appartiennent au secteur des services aux entreprises. Seules 5 % appartiennent au secteur manufacturier. Les jeunes entreprises innovantes ont recours très tôt au dispositif JEI : 60 % ont déjà bénéficié d'exonérations de cotisations sociales patronales au cours de leur 1re année d'activité.

Les « jeunes entreprises innovantes » : recours précoce au dispositif et similitude avec les autres entreprises bénéficiaires d’aides à la recherche et au développement

Les entreprises créées qui bénéficient des aides JEI ont une activité de recherche, de développement et d’innovation importante au cours de leurs premières années d'activité. Elles se rapprochent en cela des autres entreprises créées qui solliciteront les aides Bpifrance ou qui bénéficieront du CIR, sans toutefois recourir au dispositif JEI. Interrogées par les enquêtes menées par l’Insee sur les nouvelles entreprises (Système d'information sur les nouvelles entreprises), 41 % des JEI et 28 % des futures bénéficiaires du CIR ou des aides Bpifrance ont peiné à obtenir le financement de leur activité, contre 19 % des autres entreprises nouvellement créées dans les mêmes secteurs d’activité. De même, 22 % des créateurs de JEI et 16 % des créateurs d'entreprises bénéficiaires d'autres aides à la recherche, au développement et à l'innovation déclarent avoir eu des difficultés à embaucher du personnel qualifié, contre 9 % des autres entrepreneurs des mêmes secteurs. Enfin, la majorité des créateurs de JEI (66 %) déclarent avoir créé leur entreprise parce qu'ils avaient une idée nouvelle de produit ou de marché, alors qu'ils ne sont que 47 % parmi les créateurs d’entreprises qui solliciteront le CIR ou les aides Bpifrance et seulement 22 % pour les entreprises nouvelles qui ne bénéficieront pas d'aides à l'innovation. Les entreprises non JEI créées dans les mêmes secteurs d’activité que les JEI et qui ont eu cependant recours au moins une fois au CIR, au CII ou aux aides Bpifrance ont ainsi des caractéristiques assez proches de celles des JEI. C'est donc parmi ces entreprises que seront choisies celles auxquelles les comparer, par une méthode d'appariement, afin d'évaluer ce dispositif.

L’évaluation présentée dans cette étude porte sur les JEI créées entre 2004 et 2010 qui n’ont pas bénéficié du dispositif avant leur 2e année civile d’activité (afin de disposer de leurs caractéristiques économiques, utilisées lors de l'appariement, avant de bénéficier du dispositif), qui exercent continûment leur activité pendant cinq ans et ont moins de trois salariés en équivalent temps plein (ETP) pendant leur 1re année. Un peu plus de la moitié des JEI recourent au dispositif l’année de leur création ou au cours de leur 1re année. Aussi, en ajoutant les autres critères, cette évaluation concerne un tiers des JEI créées entre 2004 et 2010.

Malgré leur similitude après appariement, les JEI se différencient toujours des entreprises non bénéficiaires sur une caractéristique inobservée

Si l’on considère que les JEI sont similaires aux entreprises non bénéficiaires auxquelles elles sont appariées et sous l’hypothèse que l’effet sur l’emploi salarié est le même pour toutes les entreprises bénéficiaires (méthode), les JEI entrant, par exemple, dans le dispositif au cours de leur 3e année d’activité présenteraient, dès cette 3e année, 1,1 emploi en équivalent temps plein (ETP) de plus que si elles n’avaient pas bénéficié du dispositif, puis 1,9 emploi ETP supplémentaire à leur 5e année (figure 1). Cependant, sous ces mêmes hypothèses, les JEI présenteraient, l’année précédant leur entrée dans le dispositif, un emploi un peu plus élevé que les entreprises non bénéficiaires, 0,4 emploi ETP dans le cas de celles devenues JEI au cours de leur 3e année d’activité. Ce constat suggère que d’autres caractéristiques, inobservées et donc non retenues dans l’appariement, expliquent à la fois le recours au dispositif et l’évolution de l’emploi salarié de l’entreprise. Ainsi, même en tenant compte des caractéristiques observables, les entreprises non bénéficiaires se différencient toujours des entreprises JEI auxquelles elles sont appariées, car elles ont une probabilité de recours au dispositif différente. Pour cette raison, en ne s’appuyant que sur la méthode d’appariement, il n’est pas possible de conclure à un effet causal du recours au dispositif sur l’emploi.

Figure 1 – Effet du dispositif JEI sur l’emploi salarié total ETP en l’absence de biais de sélection inobservée

Figure 1 – Effet du dispositif JEI sur l’emploi salarié total ETP en l’absence de biais de sélection inobservée - Lecture : en l’absence de biais de sélection, les entreprises qui deviennent pour la première fois « jeune entreprise innovante » (JEI) au cours de leur 2e année d’activité auraient 1,9 emploi salarié ETP à leur 5e année d’activité de plus qu’en l’absence de recours au dispositif JEI.
Entrée à
2 ans 3 ans 4 ans 5 ans
Année d’activité
2 ans 1,0*** 0,4*** 0,0 0,0
3 ans 1,8*** 1,1*** 0,2** 0,2
4 ans 1,8*** 1,8*** 1,1*** 0,3*
5 ans 1,9*** 1,9*** 1,6*** 1,4***
Nombre d’entreprises JEI 500 347 232 132
  • ETP : équivalent temps plein.
  • Notes : *** indique une estimation significative au seuil de 1 %, ** correspond au seuil de 5 % et * au seuil de 10 %. Les cellules sur fond bleu correspondent aux estimations d’un potentiel effet avant la début de recours au dispositif. Un effet significatif correspond alors à l’existence d’un biais de sélection inobservée non pris en compte par l’appariement.
  • Lecture : en l’absence de biais de sélection, les entreprises qui deviennent pour la première fois « jeune entreprise innovante » (JEI) au cours de leur 2e année d’activité auraient 1,9 emploi salarié ETP à leur 5e année d’activité de plus qu’en l’absence de recours au dispositif JEI.
  • Champ : JEI créées entre 2004 et 2010, qui n’ont pas bénéficié du dispositif avant leur 2e année civile d’activité, qui exercent continûment leur activité pendant cinq ans et ont moins de trois salariés ETP durant leur 1re année d’activité.
  • Sources : Mesri, Bpifrance, Insee, calcul des auteurs.

Le dispositif JEI agit sur l’emploi salarié, même en présence d’un biais de sélection non pris en compte par l’appariement

Même si les probabilités de recourir au dispositif des entreprises JEI et de celles, non JEI, auxquelles elles sont appariées ne sont pas exactement égales, on peut examiner dans quelle mesure un écart entre ces probabilités conduirait à remettre en question l’effet significatif obtenu sur l’emploi sur la base du simple appariement. Ainsi, on considère qu’après appariement, les entreprises JEI ont au plus Γ fois plus de chances (ou au plus Γ fois moins de chance) de recourir au dispositif que les entreprises non JEI auxquelles elles sont appariées (méthode). Ce rapport de chance quantifie l’ampleur du biais de sélection inobservée. Le rapport de chance maximal au-delà duquel l’effet n’est plus statistiquement significatif (Γmax) décrit donc l’ampleur du biais de sélection inobservée qui remettrait en question les résultats issus de l’appariement. Globalement, quel que soit l’âge d’entrée dans le dispositif, les effets sur l’emploi sont d’autant plus robustes que l’entreprise est entrée récemment dans le dispositif. Ainsi, pour les JEI entrant dans le dispositif au cours de leur 2e année d’activité, même si l’une des deux entreprises présentait après appariement jusqu’à 2 fois plus de chances que l’autre d’être bénéficiaire, l’effet sur l’emploi salarié à leur 5e année d’activité resterait positif et significatif (figure 2). Pour ces entreprises, l’effet du dispositif est encore plus robuste à la présence d’un biais de sélection inobservée juste après l’entrée dans le dispositif, en 2e et 3e années d’activité.

Figure 2 – Rapport de chance maximal (Γmax) pour l’emploi salarié total ETP

Figure 2 – Rapport de chance maximal (Γmax) pour l’emploi salarié total ETP - Lecture : pour les entreprises qui deviennent pour la première fois JEI au cours de leur 2e année d’activité, il est possible de conclure à un effet sur leur emploi salarié total ETP cette même année, même si après appariement l’une des deux entreprises présente toujours au plus 3,2 fois plus de chances de recourir au dispositif.
Entrée à
2 ans 3 ans 4 ans 5 ans
Année d’activité
2 ans 3,2 1,2 n.s. n.s.
3 ans 3,3 2,6 1,0 n.s.
4 ans 2,4 2,6 1,8 1,0
5 ans 2,0 2,1 1,8 1,9
  • ETP : équivalent temps plein.
  • Notes : Γmax est la valeur pour laquelle il est possible de conclure à l’existence d’un effet du dispositif JEI sur l’emploi salarié total ETP, en présence d’un biais de sélection non pris en compte par l’appariement. La valeur n.s. signifie que l'effet n'est pas significatif même sous l’hypothèse d’indépendance conditionnelle.
  • Lecture : pour les entreprises qui deviennent pour la première fois JEI au cours de leur 2e année d’activité, il est possible de conclure à un effet sur leur emploi salarié total ETP cette même année, même si après appariement l’une des deux entreprises présente toujours au plus 3,2 fois plus de chances de recourir au dispositif.
  • Champ : JEI créées entre 2004 et 2010, qui n’ont pas bénéficié du dispositif avant leur 2e année civile d’activité, qui exercent continûment leur activité pendant cinq ans et ont moins de trois salariés ETP durant leur 1re année d’activité.
  • Sources : Mesri, Bpifrance, Insee, calcul des auteurs.

Il n’est pas possible de connaître l’ampleur Γ du biais de sélection inobservée restant après appariement. Toutefois, analyser les déterminants observables du recours au dispositif JEI permet d'en donner un ordre de grandeur. Parmi les déterminants pris en compte dans l’appariement, le plus important est d’avoir bénéficié du CIR ou des aides Bpifrance avant la 2e année d’activité, il quadruple la probabilité d’être JEI (figure 3). Ce point de repère est donc proposé comme élément de cadrage pour juger de l’hypothèse à retenir sur l’ampleur du biais de sélection inobservée (Γ) et commenter les résultats [Quantin et al., 2021]. Dans ce qui suit, on retient une valeur de Γ égale à 2 pour quantifier les effets sur l’emploi salarié et le salaire horaire moyen, c’est-à-dire que l’on fait l’hypothèse qu’à caractéristiques observées identiques, il peut subsister des différences inobservées entre les JEI et les entreprises non bénéficiaires telles que l’une des deux présente au plus deux fois plus de chances de recourir au dispositif JEI que l’autre.

Figure 3 – Rapport de chances de la probabilité de recourir au dispositif JEI

Figure 3 – Rapport de chances de la probabilité de recourir au dispositif JEI - Lecture : la probabilité relative qu’une entreprise de programmation informatique soit JEI plutôt qu’elle ne le soit pas est 2,7 fois plus élevée que la probabilité relative qu’une entreprise d’un autre secteur soit JEI plutôt qu’elle ne le soit pas.
Entrée à
2 ans 3 ans 4 ans 5 ans
Variables 1re année
Avec emploi salarié 2,2 0,7 0,8 0,7
Secteur
Programmation informatique 2,7 2,6 1,9 1,7
Recherche & développement 1,7 1,6 1,2 0,8
Autres 0,8 0,7 0,6 0,6
Chiffre d’affaires 0,8 0,8 0,9 0,9
Excédent brut d’exploitation > 0 1,1 1,2 1,4 1,5
Ratio résultat d’exploitation 1,0 1,0 1,0 1,0
Variables un an avant l’entrée dans le dispositif
Recours au CIR ou aux aides Bpifrance avant 2,7 3,3 2,4 4,8
Avec emploi salarié 4,0 3,7 3,7
Chiffre d’affaires 1,0 1,0 1,0
Excédent brut d’exploitation > 0 0,7 0,9 0,7
Ratio résultat d’exploitation 1,0 1,0 1,0
  • Note : les cellules sur fond bleu correspondent aux estimations supérieures à 2 ou inférieures à 0,5.
  • Lecture : la probabilité relative qu’une entreprise de programmation informatique soit JEI plutôt qu’elle ne le soit pas est 2,7 fois plus élevée que la probabilité relative qu’une entreprise d’un autre secteur soit JEI plutôt qu’elle ne le soit pas.
  • Champ : entreprises créées entre 2004 et 2010, dans les secteurs d’activité exercée par les JEI et qui ont eu recours au moins une fois au CIR, au CII ou aux aides Bpifrance entre 2004 et 2016.
  • Sources : Mesri, Bpifrance, Insee, calcul des auteurs.

Le recours précoce au dispositif JEI augmenterait l’emploi salarié et/ou les heures rémunérées, mais pas le salaire moyen versé

Si l’on considère qu’après appariement, une des deux entreprises, et pas nécessairement l’entreprise JEI, présente toujours deux fois plus de chances de recourir au dispositif JEI (Γ=2), l’effet sur l’emploi salarié au bout de cinq ans est estimé entre 0,5 et 3,5 emplois salariés pour les entreprises qui deviennent JEI au cours de leur 2e année d’activité (sous l’hypothèse d’un effet identique pour toutes les entreprises bénéficiaires) (figure 4). De même, recourir au dispositif JEI leur permettrait d’avoir entre 0,2 et 1,8 emploi salarié ETP dédié à la recherche et au développement (R&D) de plus que sans ces aides. À l’inverse, pour les entreprises qui ne recourent au dispositif qu’à partir de leur 4e ou 5e année d’activité, aucun effet sur l’emploi salarié n’est mis en évidence, dès lors que l’on autorise la présence d’un biais de sélection d’une même ampleur. Pour le salaire horaire moyen, il n’est pas possible de conclure à l’existence d’un effet du dispositif JEI quel que soit l’âge de début de recours au dispositif. Les allègements de cotisations sociales patronales auraient ainsi permis à certaines JEI d’accroître leur emploi salarié ou d’augmenter le nombre d’heures rémunérées de salariés déjà présents.

Figure 4 – Analyse de sensibilité de l'effet du dispositif JEI sur l'emploi salarié total et dédié à la R&D en équivalent temps plein – Intervalle des valeurs possibles de l’effet Γ=2

Figure 4 – Analyse de sensibilité de l'effet du dispositif JEI sur l'emploi salarié total et dédié à la R&D en équivalent temps plein – Intervalle des valeurs possibles de l’effet Γ=2 - Lecture : si l’on considère qu’après appariement, une des deux entreprises présente toujours deux fois plus de chances de recourir au dispositif JEI (Γ=2), les JEI à partir de leur 2e année d’activité présenteraient, à leur 5e année d’activité, entre 0,5 et 3,5 emplois salariés ETP de plus que si elles n’avaient pas bénéficié du dispositif.
Entrée à
2 ans 3 ans 4 ans 5 ans
Année d’activité
Emploi salarié ETP
2 ans [0,5 ; 1,5] [– 0,0 ; 0,4] [– 0,3 ; 0,3] [– 0,2 ; 0,5]
3 ans [0,9 ; 2,7] [0,5 ; 1,9] [– 0,2 ; 0,7] [– 0,3 ; 0,8]
4 ans [0,7 ; 3,1] [0,8 ; 2,9] [0,3 ; 2,1] [– 0,2 ; 0,9]
5 ans [0,5 ; 3,5] [0,6 ; 3,6] [0,5 ; 3,0] [0,5 ; 2,3]
Emploi salarié ETP R&D
2 ans [0,1 ; 0,8] [– 0,0 ; 0,2] [- 0,2 ; 0,2] [0,0 ; 0,4]
3 ans [0,4 ; 1,5] [0,1 ; 0,9] [– 0,2 ; 0,3] [0,0 ; 0,5]
4 ans [0,3 ; 1,6] [0,3 ; 1,5] [0,0 ; 1,2] [– 0,1 ; 0,4]
5 ans [0,2 ; 1,8] [0,2 ; 1,7] [0,1 ; 1,8] [0,0 ; 1,2]
Nombre d’entreprises JEI 500 347 232 132
  • ETP : équivalent temps plein.
  • Note : analyse de sensibilité lorsque, en utilisant la statistique de Wilcoxon signée du rang, pour un effet constant et additif, τ, du dispositif JEI sur l’emploi salarié total et dédié à la R&D ETP, à différents âges et en fonction de la date d’entrée dans le dispositif. Le tableau reporte l'intervalle des valeurs possibles de l'effet estimé. Les cellules sur fond bleu distinguent les effets significativement différents de 0.
  • Lecture : si l’on considère qu’après appariement, une des deux entreprises présente toujours deux fois plus de chances de recourir au dispositif JEI (Γ=2), les JEI à partir de leur 2e année d’activité présenteraient, à leur 5e année d’activité, entre 0,5 et 3,5 emplois salariés ETP de plus que si elles n’avaient pas bénéficié du dispositif.
  • Champ : JEI créées entre 2004 et 2010, qui n’ont pas bénéficié du dispositif avant leur 2e année civile d’activité, qui exercent continûment leur activité pendant cinq ans et ont moins de trois salariés ETP durant leur 1re année d’activité.
  • Sources : Mesri, Bpifrance, Insee, calcul des auteurs.

Si l’on ne considère pas l’effet sur l’emploi salarié identique pour toutes les entreprises bénéficiaires, il est possible de quantifier l’effet du dispositif JEI en s’intéressant à la proportion minimale d’entreprises bénéficiaires dont l’emploi salarié n’aurait pas augmenté (sans présager de l’ampleur de la hausse) si elles n’avaient pas eu recours à ce dispositif, ce que Ouvrir dans un nouvel ongletRosenbaum (2010) appelle l’effet attribuable au traitement. Avec cette approche, on ne peut exclure qu’au moins 16 % des entreprises qui bénéficient des aides à partir de leur 2e année ont vu leur emploi salarié croître cette même année, même si après appariement elles présentaient toujours deux fois plus ou deux fois moins de chances de recourir au dispositif que les entreprises non bénéficiaires. Cette proportion se réduit cependant avec le temps de recours au dispositif : ainsi, il n’est plus possible, par exemple, d’attribuer un effet sur l’emploi salarié la 5e année d’activité si l’on relâche l’hypothèse d’indépendance conditionnelle (figure 5). Des résultats similaires mais plus faibles sont obtenus pour les entreprises bénéficiaires à partir de leur 3e année d’activité. Aucun effet ne peut cependant être mis en évidence pour les entreprises recourant au dispositif JEI plus tardivement, c’est-à-dire après leur 4e année d’activité.

Figure 5a – Part d'entreprises, JEI à partir de leur 2e année d'activité, dont la hausse de l’emploi salarié est imputable au traitement Γ = 1

en %
Figure 5a – Part d'entreprises, JEI à partir de leur 2e année d'activité, dont la hausse de l’emploi salarié est imputable au traitement Γ = 1 (en %) - Lecture : l’emploi salarié total en équivalent temps plein (ETP) augmente pour 90 % des JEI au cours de leur 2e année d’activité. Cette hausse serait attribuable au recours au dispositif JEI pour au moins 31 % des JEI, même si l’on considère qu’après appariement une des deux entreprises présente toujours une fois plus de chances de recourir au dispositif JEI (Γ=2).
Hausse non imputable Hausse imputable Ensemble
Entrée à 2 ans
2 ans 59 31 90
3 ans 65 25 90
4 ans 66 18 84
5 ans 63 13 76
Entrée à 3 ans
3 ans 79 15 94
4 ans 75 19 94
5 ans 70 17 87
Entrée à 4 ans
4 ans 85 10 95
5 ans 76 15 91
Entrée à 5 ans
5 ans 86 9 95
  • Lecture : l’emploi salarié total en équivalent temps plein (ETP) augmente pour 90 % des JEI au cours de leur 2e année d’activité. Cette hausse serait attribuable au recours au dispositif JEI pour au moins 31 % des JEI, même si l’on considère qu’après appariement une des deux entreprises présente toujours une fois plus de chances de recourir au dispositif JEI (Γ=2).
  • Champ : JEI créées entre 2004 et 2010, qui n’ont pas bénéficié du dispositif avant leur 2e année civile d’activité, qui exercent continûment leur activité pendant cinq ans et ont moins de trois salariés ETP durant leur 1re année d’activité.
  • Sources : Mesri, Bpifrance, Insee, calcul des auteurs.

Figure 5a – Part d'entreprises, JEI à partir de leur 2e année d'activité, dont la hausse de l’emploi salarié est imputable au traitement Γ = 1

  • Lecture : l’emploi salarié total en équivalent temps plein (ETP) augmente pour 90 % des JEI au cours de leur 2e année d’activité. Cette hausse serait attribuable au recours au dispositif JEI pour au moins 31 % des JEI, même si l’on considère qu’après appariement une des deux entreprises présente toujours une fois plus de chances de recourir au dispositif JEI (Γ=2).
  • Champ : JEI créées entre 2004 et 2010, qui n’ont pas bénéficié du dispositif avant leur 2e année civile d’activité, qui exercent continûment leur activité pendant cinq ans et ont moins de trois salariés ETP durant leur 1re année d’activité.
  • Sources : Mesri, Bpifrance, Insee, calcul des auteurs.

Le recours accru au CIR et aux aides Bpifrance des JEI et la faible proportion d’entreprises évaluées rendent cependant difficile l’identification d’un effet propre et généralisé du dispositif

Finalement, pour une proportion potentiellement faible mais significative des entreprises, le recours au dispositif JEI aurait un effet sur l’emploi salarié total comme sur l’emploi dédié à la recherche et au développement, même si l’appariement n’élimine pas totalement le biais de sélection. Cet effet sur l’emploi ne serait significatif que pour les entreprises bénéficiaires qui recourent au dispositif JEI rapidement, c’est-à-dire au cours de la 2e ou la 3e année de leur existence. Le dispositif conduirait à une hausse de la masse salariale totale, mais serait sans effet sur le salaire horaire moyen. Cependant, cette évaluation ne porte pas sur les entreprises qui bénéficient de l’aide dès leur création ou au cours de leur 1re année d’activité. Par ailleurs, les JEI recourent plus que les entreprises auxquelles elles sont comparées au CIR et aux aides Bpifrance, et il est donc difficile de faire la part dans les effets estimés de ce qui relève du recours au dispositif JEI et de ce qui relève des autres aides à la R&D.

Publication rédigée par :Simon Quantin, Simon Bunel (Insee) et Clémence Lenoir (DG-Trésor)

Sources

L’information sur le dispositif JEI provient de l'Urssaf Caisse nationale (anciennement Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss)). Pour chaque JEI, on dispose des montants annuels totaux d’exonérations de cotisations sociales patronales entre 2004 et 2016.

Les données sur le CIR et le CII sont issues de la base de données GECIR, produite par le Mesri et la DGFiP, recensant les déclarations de CIR (y compris CII) des entreprises. Elle contient le montant de la créance octroyée chaque année, ainsi que toutes les informations contenues dans la déclaration de CIR, sur la période 2004-2016.

Les données comptables (chiffre d’affaires, EBE, etc.) des entreprises proviennent du dispositif d’élaboration des statistiques annuelles d’entreprises (Ésane) de l’Insee, sur la période 2008-2016 et du Système unifié des statistiques d'entreprises (SUSE) sur la période 2004-2007.

Les informations sur les salariés sont issues des déclarations annuelles de données sociales (DADS) sur la période 2004-2016. Elles permettent de constituer un effectif salarié pour chaque entreprise et de disposer d‘informations détaillées sur les salariés des entreprises comme le salaire ou la catégorie socioprofessionnelle, permettant de distinguer, parmi l’emploi salarié total, celui dédié à la R&D.

Méthodes

Cette étude propose une évaluation ex-post de l’impact du statut de JEI sur les emplois et les salaires. Les JEI sont appariées avec des entreprises non bénéficiaires de ces aides ayant des caractéristiques a priori « similaires » parmi les jeunes PME indépendantes. La méthode d’appariement consiste à trouver, pour chaque entreprise bénéficiaire, une entreprise non bénéficiaire présente dans le groupe de contrôle et ayant des caractéristiques observées similaires, à savoir d’abord le secteur d’activité et le recours aux autres aides de R&D, puis le chiffre d’affaires, le montant d’aides, les volumes d’emploi salarié total et dédié à la R&D, le salaire horaire moyen, le résultat d’exploitation et la rentabilité. Le rapprochement entre l’entreprise bénéficiaire et celle du groupe de contrôle est fondé sur la méthode d’appariement optimal sans remise, en utilisant la distance de Mahalanobis basée sur le rang [Quantin et al., 2021].

Les différences observées entre les JEI et ces entreprises « similaires » mais non bénéficiaires correspondent alors à l’effet du dispositif dès lors que « conditionnellement aux caractéristiques retenues pour l’appariement, être JEI est seulement le fait du hasard », hypothèse dite d’indépendance conditionnelle. Cette hypothèse n’est plus vérifiée, cependant, s’il existe une caractéristique non retenue pour l’appariement influençant le recours à ce dispositif. L’analyse de sensibilité proposée par Ouvrir dans un nouvel ongletRosenbaum (2010) et menée ici vise précisément à examiner la robustesse des effets dans ce cas de figure.

Le modèle d’analyse de sensibilité consiste à considérer qu’après appariement, donc à caractéristiques observables similaires, les deux entreprises n’ont pas les mêmes chances de recourir au dispositif JEI, mais que l’une des deux entreprises présente plus de chances d’y recourir que l’autre. Ce modèle relâche ainsi l’hypothèse d’indépendance conditionnelle qui suppose une égalité stricte de la probabilité de recours pour chacune de ces entreprises. À la critique usuelle « corrélation n’est pas causalité » que soulève à raison l’existence éventuelle d’une caractéristique inobservée conduisant à différencier le recours au dispositif entre les deux entreprises, l’analyse de sensibilité propose de quantifier l’ampleur du biais de sélection inobservée qui conduirait à disqualifier toute causalité dans la corrélation directement observée. Formellement, la démarche consiste à tester des hypothèses comme « est-il possible de rejeter l’existence d’un effet causal du dispositif JEI sur l’emploi si, après appariement, il existe toujours un biais de sélection inobservée, conduisant à ce que l’une des deux entreprises a Γ fois plus de chances de recourir au dispositif que l’autre ? ». Un paramètre d’intérêt peut alors être la valeur de Γ au-dessus de laquelle l’effet causal n’est plus considéré comme statistiquement différent de zéro. Il est aussi possible, à partir de ce modèle d’analyse de sensibilité, de déterminer, à Γ donné, un intervalle des valeurs possibles de l’effet du traitement en considérant que celui-ci est identique pour toutes les entreprises ou, sans faire cette hypothèse, de déterminer, par exemple, la proportion d’entreprises dont la hausse de l’emploi salarié est attribuable au traitement. Fréquente en épidémiologie, cette démarche est ici appliquée à la question de l’évaluation du dispositif JEI.

Pour en savoir plus

Quantin S., Bunel S., Lenoir C., « Évaluation du dispositif Jeune entreprise innovante (JEI) - Un exemple d’application du modèle d’analyse de sensibilité de Rosenbaum », Documents de travail, n° 2021-01, Insee, octobre 2021.

Bignon N., Simon M., « Les entreprises en forte croissance », Insee Première n° 1718, novembre 2018.

Adelino M., Ma S., Robinson D., "Ouvrir dans un nouvel ongletFirm Age, Investment Opportunities, and Job Creation", The Journal of Finance, 72(3):999-1038, 2017.

Haltiwanger J., Jarmin R. S., Miranda J., "Ouvrir dans un nouvel ongletWho Creates Jobs ? Small versus Large versus Young", Review of Economics and Statistics, 95(2):347-361, mai 2013.

Rosenbaum P. R., Ouvrir dans un nouvel onglet Design of observational studies , Springer Series in Statistics, 2010.

Rosenbaum P. R., "Ouvrir dans un nouvel ongletSensitivity analysis for m-estimates, tests, and confidence intervals in matched observational studies", Biometrics, 63:456-464, 2007.

Rosenbaum P. R., Ouvrir dans un nouvel onglet Observational Studies , Springer Series in Statistics, 2002.