Insee Première ·
Février 2021 · n° 1839Une dynamique d’emploi spécifique dans les grandes entreprises
Entre 2008 et 2017, dans le secteur marchand non agricole, le nombre d’emplois salariés a diminué dans les microentreprises et les petites et moyennes entreprises (PME). A contrario, il a augmenté dans les entreprises de taille intermédiaire (ETI) et les grandes entreprises. Il s’agit là des évolutions mesurées par la seule comparaison des stocks d’emplois par catégorie d’entreprises.
Ces évolutions masquent cependant les dynamiques à l’œuvre. Les microentreprises, les PME et les ETI créent 275 000 emplois salariés en France sur la période, mais beaucoup d’entre elles changent de catégorie à la suite de leur croissance ou de leur rachat par des entreprises de plus grande taille. Ainsi, bien que les microentreprises et les PME créent des emplois, leurs effectifs salariés diminuent sur la période.
La croissance des grandes entreprises est due au rachat d’entreprises plus petites (en particulier des ETI). Sans ces apports externes, les grandes entreprises suppriment des emplois dans la grande majorité des zones d’emploi, à hauteur de – 246 000.
Les entreprises créent 340 000 emplois salariés dans les dix zones d’emploi les plus dynamiques, alors que l’emploi salarié progresse peu sur l’ensemble du territoire et diminue dans plus des deux tiers des zones d’emploi.
- 1,5 million d’établissements employeurs dans les secteurs marchands
- Les microentreprises, les PME et les ETI créent des emplois salariés, les grandes entreprises en suppriment
- Les grandes entreprises créent des emplois dans une minorité de zones d’emploi
- 340 000 emplois créés dans les dix zones d’emploi les plus dynamiques
- Des destructions d’emplois dans les deux tiers des zones d’emploi
- L'emploi des microentreprises et des PME vient alimenter la croissance des grandes entreprises
- Encadré - Créations et suppressions d’emplois : l’approche dynamique
1,5 million d’établissements employeurs dans les secteurs marchands
En 2017, en France, les entreprises des secteurs marchands hors agriculture emploient 15,7 millions de salariés à travers 1,5 million d’établissements employeurs.
Au cours du temps, les entreprises évoluent. Certaines apparaissent ou ferment quand d’autres peuvent changer de catégorie d’entreprises. L’analyse de l’évolution des emplois salariés par la seule comparaison des stocks d’emplois par catégories masquent ces modifications. En effet, certaines microentreprises sont par exemple devenues des petites et moyennes entreprises (PME hors microentreprises), réduisant ainsi l’emploi des microentreprises sur la photographie finale, alors même que celles-ci ont créé de l’emploi avant de changer de catégorie.
Cette étude, par une approche dynamique de l’emploi (encadré), permet de prendre en compte les flux entre les catégories, d’attribuer à chacune les créations ou suppressions d’emplois et ainsi avoir une analyse plus fine de l’évolution de l’emploi.
Les microentreprises, les PME et les ETI créent des emplois salariés, les grandes entreprises en suppriment
Entre 2008 et 2017, les microentreprises, les PME et les entreprises de taille intermédiaire (ETI) créent respectivement 126 700, 80 000 et 68 700 emplois salariés, alors que les grandes entreprises en suppriment 246 300 (sources). Les microentreprises et les PME créent des emplois par l’intermédiaire d’établissements pérennes (figure 1), alors que les ETI le font via la création de nouveaux établissements (effet « démographique »). Pour les grandes entreprises, la destruction nette d’emplois provient des établissements existants.
Pour les microentreprises et les PME, il y a moins d’emplois créés par les nouveaux établissements que d’emplois détruits par les établissements qui disparaissent. Les petites entreprises débutent le plus souvent avec peu de salariés, alors que les entreprises qui ferment peuvent être plus grandes, pesant ainsi davantage dans le solde global négatif.
Pour les entreprises de petite taille, la création ou la suppression d’un établissement correspond le plus souvent à l’entreprise elle-même. Pour les entreprises plus grandes, il s’agit presque toujours de la création ou de la suppression d’un établissement au sein d’une même entreprise : il est rare qu’une nouvelle entreprise soit directement une ETI ou une grande entreprise. En créant des établissements, les ETI et les grandes entreprises créent plus d’emplois qu’elles n’en détruisent en fermant des établissements. Les ETI et les grandes entreprises développent leurs emplois via de nouveaux établissements pour diverses raisons : géographiques avec de nouvelles implantations, économiques pour développer de nouvelles activités, etc.
tableauFigure 1 - Créations ou suppressions d’emplois salariés entre 2008 et 2017
Solde des emplois | |||
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des établissements pérennes | des établissements créés ou disparus | Ensemble | |
Microentreprises | 191 700 | – 65 000 | 126 700 |
PME | 128 500 | – 48 500 | 80 000 |
Entreprises de taille intermédiaire | – 143 000 | 211 700 | 68 700 |
Grandes entreprises | – 448 900 | 202 600 | – 246 300 |
- Lecture : entre 2008 et 2017, 126 700 emplois salariés sont créés par les microentreprises : 191 700 sont créés dans les établissements pérennes (solde des emplois créés et disparus) et 65 000 sont détruits dans les établissements créés ou disparus.
- Champ : France hors Mayotte, entreprises non agricoles, emploi salarié.
- Source : Insee, Clap, Flores, Lifi.
graphiqueFigure 1 - Créations ou suppressions d’emplois salariés entre 2008 et 2017
Les grandes entreprises créent des emplois dans une minorité de zones d’emploi
Entre 2008 et 2017, les grandes entreprises créent des emplois salariés dans seulement 40 zones d’emploi (comme Toulouse et Nantes grâce à Airbus et Altran, ou Lille), et suppriment plus de 1 000 emplois dans 80 zones d’emploi (dont Roissy avec une diminution des effectifs salariés chez Air France ou PSA).
L’emploi salarié des ETI baisse dans le Grand Est, les Hauts-de-France (excepté Lille et ses alentours) et dans la partie est de la Normandie. A contrario, il augmente sur la façade ouest et dans le sud de la France. Les PME et les microentreprises sont souvent liées aux activités présentielles ou dépendent de l’activité des grandes entreprises et des ETI. Elles créent de l’emploi plutôt dans les grandes agglomérations et les pôles économiques.
340 000 emplois créés dans les dix zones d’emploi les plus dynamiques
Entre 2008 et 2017, dans les dix zones d’emploi les plus dynamiques (Paris, Lyon, Toulouse, Bordeaux, Nantes, Lille, Montpellier, Aix-en-Provence, Rennes et Saclay), les entreprises créent près de 340 000 emplois (figure 2). Ces créations proviennent principalement des microentreprises (+ 110 000), des PME (+ 120 000) et des ETI (+ 100 000), pour lesquelles la croissance de l’emploi est positive dans chacune de ces zones. Les grandes entreprises présentent, quant à elles, des évolutions plus contrastées, avec des destructions d’emplois dans quatre d’entre elles.
Toutes les grandes zones d’emploi n’ont pas une dynamique positive. Parmi les dix plus grandes d’entre elles, la croissance de l’emploi salarié est très faible à Marseille et à Strasbourg, et l’emploi diminue à Roissy et à Versailles-Saint-Quentin.
tableauFigure 2a - Créations et suppressions d’emplois salariés dans les microentreprises entre 2008 et 2017
Les données sont disponibles dans le fichier en téléchargement. |
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graphiqueFigure 2a - Créations et suppressions d’emplois salariés dans les microentreprises entre 2008 et 2017
Des destructions d’emplois dans les deux tiers des zones d’emploi
En dehors des grands pôles urbains à forte attractivité économique, l’emploi salarié diminue dans plus des deux tiers des zones d’emploi entre 2008 et 2017. Les grandes entreprises concentrent plus de la moitié des destructions d’emplois, mais toutes les catégories d’entreprises y contribuent.
Dans certaines zones d’emploi de taille modeste, l’emploi salarié peut toutefois augmenter fortement. C’est le cas des zones d’emploi de La Teste-de-Buch et Libourne (Gironde), Lamballe-Armor (Côtes-d’Armor), Pornic (Loire-Atlantique), Brignoles et Draguignan (Var), Bayonne (Pyrénées-Atlantiques), Manosque (Alpes-de-Haute-Provence) et La Roche-sur-Yon (Vendée). Le plus souvent, dans ces zones, les ETI, les PME et les microentreprises portent la croissance des emplois salariés.
Des zones d’emploi en Corse et dans les départements d’outre-mer sont aussi en forte croissance. L’économie de ces territoires est plus tournée vers les activités présentielles, leurs gains d’emplois salariés sont donc plutôt le fait de PME et de microentreprises, les ETI et les grandes entreprises y ayant peu d’établissements.
L'emploi des microentreprises et des PME vient alimenter la croissance des grandes entreprises
Pour une catégorie d’entreprises, la variation de l’emploi salarié entre 2008 et 2017 se décompose en deux effets : l’effet des créations et suppressions d’emplois salariés et l’effet des changements de catégorie d’entreprises. Une entreprise peut changer de catégorie en franchissant un seuil (en recrutant de nouveaux salariés par exemple), ou en étant rachetée par une entreprise plus grande. Elle peut aussi être rachetée par une entreprise de même taille ou fusionner, ce qui aboutit à une entreprise de catégorie supérieure. Dans certains cas, seule une partie de l’entreprise (un ou plusieurs établissements) peut être rachetée et rattachée à une nouvelle catégorie.
Entre 2008 et 2017, les microentreprises créent 126 700 emplois, mais cette catégorie d’entreprises perd finalement 275 000 emplois. En effet, par le jeu des changements de catégorie, les microentreprises perdent 402 000 emplois au profit principalement des PME. De nombreuses microentreprises deviennent des PME à la suite d’une augmentation de leurs effectifs ; les échanges avec les ETI et les grandes entreprises sont quant à eux marginaux (figure 3). Les PME perdent quant à elles 149 000 emplois. Malgré la création de 80 000 emplois et un gain de 402 000 emplois par le jeu des changements de catégorie avec les microentreprises, elles perdent 584 000 emplois au profit des ETI et 47 000 au profit des grandes entreprises. Les grandes entreprises sont les seules à détruire des emplois salariés, mais au total leurs effectifs salariés augmentent. Cette différence par rapport aux autres entreprises s’explique en partie par leur mode de développement, qui souvent se réalise par de la croissance externe. Pour développer de nouvelles activités, une grande entreprise a tendance à investir dans des sociétés ayant les compétences attendues, à travers des rachats, fusions-acquisitions, et intégrations de ces entreprises. Ces apports externes se traduisent par le flux important observé entre les ETI et les grandes entreprises.
Ainsi, bien qu’entre 2008 et 2017, les microentreprises, les PME et les ETI créent des emplois salariés, finalement, du fait de la croissance des entreprises et des rachats, seules les ETI et les grandes entreprises augmentent leur poids dans l’emploi salarié des secteurs marchands hors agriculture.
tableauFigure 3a - Évolution de l’emploi salarié dans les microentreprises selon les créations ou suppressions d’emplois et les changements de catégorie
Emplois créés ou supprimés dans les microentreprises | Entreprises changeant de catégorie | Variation de l’emploi | ||
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Flux avec les PME | Flux avec les ETI | Flux avec les grandes entreprises | ||
126 700 | – 402 400 | – 3 200 | 3 800 | – 275 100 |
- Lecture : entre 2008 et 2017, dans les microentreprises, 126 700 emplois salariés ont été créés. Dans le cadre de changements de catégorie, 402 400 emplois salariés ont été attribués aux PME. Au final, les microentreprises comptent 275 100 emplois salariés de moins en 9 ans.
- Champ : France hors Mayotte, entreprises non agricoles.
- Source : Insee, Clap, Flores, Lifi.
graphiqueFigure 3a - Évolution de l’emploi salarié dans les microentreprises selon les créations ou suppressions d’emplois et les changements de catégorie
Encadré - Créations et suppressions d’emplois : l’approche dynamique
S’il est relativement facile de décrire et de comparer, à une date donnée, les grands ensembles d’entreprises, étudier la dynamique de l’emploi par catégorie d’entreprises est beaucoup plus difficile : la variable étudiée (l’emploi) influe directement sur la variable qui sert à la catégoriser (la catégorie d’entreprises). En effet, quand une entreprise change de catégorie, par exemple de microentreprise à PME parce qu’elle a créé de l’emploi, faut-il attribuer l’augmentation de l’emploi aux microentreprises ou aux PME ? Cette question méthodologique a été largement débattue, notamment aux États-Unis au cours du XXᵉ siècle [Ouvrir dans un nouvel ongletButani et al., 2006]. Plusieurs conventions sont possibles [Bacheré et al., 2021].
Proposée en 1996, l’approche dynamique, qui a rassemblé le plus d’avis favorables dans les débats entre économistes, est retenue pour cette étude. Elle consiste à répartir l’évolution de l’emploi en fonction des seuils définissant les catégories d’entreprises. Ainsi, si une microentreprise compte 7 salariés en 2014 et devient une PME de 15 salariés en 2015, le seuil déterminant la limite entre les microentreprises et les PME étant de 9 salariés, 2 emplois sont attribués aux créations d’emplois des microentreprises et 6 emplois aux créations des PME. En revanche, si une microentreprise de 7 salariés est rachetée par une PME, il n’y a ni création ni suppression d’emploi : il y a un flux de 7 salariés des microentreprises vers les PME.
Sources
Les données utilisées proviennent des données de démographie des établissements de 2008 à 2017 (stocks et transferts d’établissements, continuité économique, etc.), enrichies de données sur l’ emploi issues des sources Clap (2008 à 2015) et Flores (à partir de 2016) et des informations sur le contour des entreprises issues de la source Lifi (liaisons financières) pour calculer les catégories d’entreprises. Des travaux méthodologiques ont été réalisés pour traiter les ruptures de séries et pour gérer au mieux les continuités économiques qui ont impacté des grands groupes (la SNCF, La Poste, etc.). L’objectif est d’avoir une approche économique de la démographie des établissements en minimisant les effets administratifs.
Les données utilisées dans cette étude permettent d’obtenir des évolutions d’emploi au niveau des zones d’emploi, en disposant d’informations précises sur les établissements et leur entreprise. Des écarts peuvent apparaître avec les Estimations d’emplois localisés, source de référence sur l’emploi et ses évolutions. Ils s’expliquent par des différences de champ, notamment par la prise en compte des intérimaires dans les Estimations d’emplois.
Définitions
Quatre catégories d’entreprises sont définies dans le décret d’application de la loi de modernisation de l’économie (décret n°2008-1354) pour les besoins de l’analyse statistique et économique : les petites et moyennes entreprises dont les microentreprises ; les entreprises de taille intermédiaire ; les grandes entreprises.
Pour déterminer la catégorie à laquelle une entreprise appartient, les données suivantes, afférentes au dernier exercice comptable clôturé et calculées sur une base annuelle, sont utilisées : l’effectif, le chiffre d’affaires et le total du bilan.
Les petites et moyennes entreprises (PME) sont celles qui, d’une part, occupent moins de 250 personnes, d’autre part, ont un chiffre d’affaires annuel n’excédant pas 50 millions d’euros ou un total de bilan n’excédant pas 43 millions d’euros. Parmi elles, les microentreprises occupent moins de 10 personnes et ont un chiffre d’affaires annuel ou un total de bilan n’excédant pas 2 millions d’euros.
Dans cette étude, les créations d’emplois sont le résultat d’un solde positif ente les emplois créés et les emplois supprimés au niveau des établissements. A contrario, les suppressions d’emplois sont le résultat d’un solde négatif.
Les entreprises de taille intermédiaire (ETI) sont des entreprises qui n’appartiennent pas à la catégorie des PME et qui, d’une part, occupent moins de 5 000 personnes, d’autre part, ont un chiffre d’affaires annuel n’excédant pas 1 500 millions d’euros ou un total de bilan n’excédant pas 2 000 millions d’euros.
Les grandes entreprises sont des entreprises non classées dans les catégories précédentes.
Une zone d’emploi est un espace géographique à l'intérieur duquel la plupart des actifs résident et travaillent. Le découpage 2020 se fonde sur les flux de déplacement domicile-travail des actifs observés lors du recensement de 2016.
Les activités présentielles sont les activités mises en œuvre localement pour la production de biens et de services visant la satisfaction des besoins de personnes présentes dans la zone, qu’elles soient résidentes ou touristes. Les autres activités sont dites « productives » et sont déterminées par différence. Il s’agit des activités qui produisent des biens majoritairement consommés hors de la zone et des activités de services tournées principalement vers les entreprises productives.
Pour en savoir plus
Publications régionales parues simultanément.
Bacheré H., Mirouse B., Brassier Z., « Décomposition de l’évolution de l’emploi par catégorie d’entreprise - Comparaison des méthodes et application à l’économie française », Document de travail, Insee, février 2021.
Bacheré H., « Une forte proportion des emplois créés entre 2009 et 2015 sont portés par les entreprises de taille intermédiaire », Insee Références Entreprises, Édition 2017
Argouarc’h J., Debauche E., Cottet V., Smyk A., « Le cycle de l’emploi : les petites entreprises ont été les premières à baisser leurs effectifs pendant la crise », Note de conjoncture, Insee, mars 2010.
Butani S., Werking G., Kapani V., Grden P., "Ouvrir dans un nouvel ongletA Multi-Dimensional Analysis of Size Class Methodologies and Employment Changes - March 1993 to March 2003", Office of Survey Methods Research, juin 2006.