Insee AnalysesLes zones franches urbaines : quel effet sur l'activité économique ?

Pauline Givord et Corentin Trevien, division Marchés et stratégies d'entreprise, Insee

Les premières zones franches urbaines (ZFU) ont été mises en place en 1997. L'objectif est d'encourager les entreprises à s'implanter dans certains quartiers dits « sensibles », caractérisés notamment par un fort taux de chômage, grâce à un ensemble d'exonérations sociales et fiscales. La liste des 44 premières zones a été complétée en 2004, puis en 2006. Leur nombre s'élève aujourd'hui à 100. En 2009, le coût budgétaire de ces dispositifs était estimé à 527 millions d'euros.

Durant les premières années, le dispositif aurait eu un effet très positif sur l'activité économique. Dans les zones créées en 1997, les exonérations auraient permis, au bout de cinq ans, l'implantation de 9 700 à 12 200 établissements, soit 41 500 à 56 900 emplois.

Cependant, malgré la reconduite du dispositif, ses effets auraient plafonné après 2002 : des disparitions d'établissements plus fréquentes auraient annulé le bénéfice des nouvelles implantations, tandis que, pour les zones créées en 2004, les effets sur les implantations et la création d'emplois auraient été beaucoup plus modestes. Par ailleurs, on ne détecte pas d'impact significatif sur les entreprises déjà présentes dans les ZFU que ce soit en matière d'emploi ou de santé financière.

Enfin, une partie des effets de la mesure transiterait par des transferts d'établissements situés en dehors des ZFU. Près de la moitié des nouvelles implantations correspondrait en effet à des transferts d'activités déjà existantes, alors que de tels transferts étaient trois à quatre fois moins fréquents que les créations avant la mise en place des ZFU.

Ce texte résume les principales conclusions de travaux conduits au département des études économiques d'ensemble de l'Insee. L'évaluation des ZFU de deuxième génération y a fait l'objet de plusieurs publications successives : la dernière en date est l'étude de Pauline Givord, Patrick Sillard et Roland Rathelot publiée en 2011 sous forme de document de travail de la Direction des Études et Synthèses Économiques (n° G2011/13). L'évaluation des ZFU de première génération a été menée par Pauline Givord, Simon Quantin et Corentin Trevien (n° G2012/01).

Insee Analyses
No 4
Paru le :Paru le09/03/2012
Pauline Givord et Corentin Trevien, division Marchés et stratégies d'entreprise, Insee
Insee Analyses No 4- Mars 2012

Les ZFU : principal volet économique de la politique de la ville

Il existe 100 zones franches urbaines (ZFU) en France, mises en place en trois vagues en 1997, 2004 et 2006. Ces territoires ont été sélectionnés parmi les zones urbaines sensibles (ZUS) à la fois les plus peuplées et cumulant le plus de difficultés économiques et sociales. Les entreprises peuvent en effet hésiter à s'implanter dans ces zones. D'une part, la difficulté à employer une main-d'œuvre locale qualifiée et l'éloignement des fournisseurs pourraient augmenter les coûts de production. D'autre part, la moindre proximité de la clientèle ou des consommateurs pourrait affecter le potentiel de marché.

Le dispositif d'allègements fiscaux associé aux ZFU vise à encourager le développement économique de ces quartiers en compensant leurs handicaps par des baisses importantes d'impôts et de charges patronales. Ces exonérations concernent les unités existantes comme les nouveaux établissements s'implantant sur la zone. L'objectif est de revitaliser ces quartiers et de faciliter l'accès à l'emploi des populations concernées.

Les établissements localisés en ZFU sont éligibles aux aides s'ils ont moins de 50 salariés et un chiffre d'affaires inférieur à 10 millions d'euros au moment de l'entrée dans le dispositif ou au moment de l'implantation dans la zone. Ils bénéficient pendant cinq ans d'une exonération totale de l'impôt sur les bénéfices et des taxes foncières et professionnelles, étendue à la contribution économique territoriale, dans la limite des règles européennes. Ces exonérations diminuent progressivement dans les cinq années suivantes. S'ajoute une exonération des charges sociales patronales totale pendant cinq ans, puis dégressive durant les cinq années suivantes pour la part des salaires inférieure à 1,5 smic (1,4 smic depuis 2006). Ce régime concerne les salariés employés par l'entreprise au moment de l'entrée dans le dispositif ainsi que les embauches réalisées dans les cinq années suivantes.

En contrepartie, les entreprises doivent respecter une clause d'emploi local qui stipule qu'une partie des nouvelles embauches doivent être réalisées au sein de la zone. Le coût annuel de la mesure était estimé à 527 millions d'euros en 2009 (Onzus, 2010). Reconduit à plusieurs reprises, le dispositif a été prorogé à nouveau en octobre 2011 pour une période de cinq ans.

Figure 1Impact des allègements sur le nombre d'établissements implantés dans les ZFU de première et deuxième générations

  • Lecture : les données sont des données au 31 décembre de chaque année. Les traits fins donnent les bornes supérieures et inférieures de l'effet attribué aux exonérations. Les traits en pointillés correspondent à la période antérieure à la mise en place des zones franches urbaines. Fin 2006, dans les ZFU de première génération, ces exonérations auraient accru le nombre d'établissements présents sur zone d'un niveau compris entre 9 100 et 13 000 unités. À la même date, dans les ZFU de deuxième génération, l'effet aurait été de 1 400 à 3 400 établissements supplémentaires.
  • Source : Insee, répertoire Sirene, calculs des auteurs.

Un impact très positif les premières années, qui plafonnerait ensuite

Évaluer l'effet des ZFU nécessite d'estimer ce qu'aurait été le dynamisme économique de ces zones en l'absence des exonérations. Cette évaluation n'est pas simple puisque de multiples facteurs peuvent modifier l'activité économique des zones concernées au-delà des exonérations fiscales. Une comparaison des ZFU avec l'ensemble des ZUS ne permet pas de déduire l'effet réel du dispositif : par définition, les ZFU cumulent des handicaps économiques et sociaux particulièrement importants qui peuvent réduire leur attractivité économique par rapport aux autres ZUS.

Pour s'approcher le plus possible de la situation hypothétique où le dispositif des ZFU n'aurait pas été mis en place, on compare l'évolution de ces zones avant et après la mise en place du dispositif avec celle des ZUS qui ont les caractéristiques socioéconomiques les plus proches, mais qui n'ont pas bénéficié d'exonérations ().

Selon cette méthode dite « d'appariement », l'effet des 44 ZFU mises en place en 1997 aurait été particulièrement important durant les premières années. Dans l'ensemble des zones de première vague, fin 2001, la mesure aurait accru le nombre d'établissements de 9 700 à 12 200 unités. L'effet cumulé sur l'emploi de ces zones aurait été compris entre 41 500 et 56 900 postes supplémentaires (figure 1 et figure 2). Au-delà des premières années, l'impact semble plafonner puisque le nombre total d'établissements et d'emplois stagnerait après 2001.

Le bilan serait nettement moins positif pour les zones créées ensuite. Fin 2006, les 41 ZFU créées en 2004 n'auraient connu qu'une hausse beaucoup plus limitée de leur activité : entre 1 400 et 3 400 établissements supplémentaires, sans effet statistiquement significatif sur le nombre d'emplois.

Ces effets nets sur l'activité locale seraient entièrement imputables aux nouvelles implantations. Pour les entreprises déjà implantées sur la zone, aucun impact significatif des allégements fiscaux n'est détecté sur leur taux de survie, leur niveau d'emploi ou leur santé économique.

Plusieurs hypothèses peuvent être avancées pour expliquer le plafonnement de l'impact sur les zones de la première vague ainsi que le bilan mitigé des ZFU de deuxième génération. Tout d'abord, la clause d'embauche locale, qui contraint les entreprises à recruter en partie parmi les habitants de la zone, a été renforcée à partir de 2003, ce qui a pu freiner les embauches globales. D'autre part, le développement des allègements généraux de charges sur les bas salaires a réduit l'avantage comparatif des ZFU : la différence entre les charges patronales payées en ZFU et hors ZFU s'est réduite. Si les allégements des zones franches urbaines sont restés intéressants pour les salaires plus élevés, l'avantage est devenu quasiment nul au niveau du smic : l'écart de taux de cotisations au niveau du smic, de 10 points en 1997, n'était plus que de 2 points en 2006 ().

Des effets dus en partie à la relocalisation d'activités existantes

Le dispositif des ZFU aurait conduit, pour partie, à des relocalisations d'unités déjà existantes ; ces implantations en zones franches se seraient ainsi partiellement faites au détriment d'autres zones. En 1995, deux ans avant la mise en place du dispositif, les créations d'établissements représentent 65 % des implantations dans les futures ZFU, alors que les transferts en représentent seulement 14 % ; les autres implantations sont des réactivations ou des reprises d'établissements. Après la mise en place du dispositif, c'est près de la moitié des nouveaux établissements qui résulte de transferts.

En outre, dans les zones de première génération, on estime que les disparitions d'établissements augmenteraient progressivement au bout de cinq ans, soit au bout de la période ouvrant droit à une exonération totale des taxes sociales et fiscales. À partir de 2003, les implantations de nouvelles activités économiques auraient ainsi juste compensé les disparitions d'établissements. Ce facteur aurait lui aussi contribué à l'essoufflement observé au début des années 2000.

Par ailleurs, les résultats des études menées sur les ZFU de deuxième génération montrent que les zones à proximité immédiate des ZFU auraient été pénalisées par le dispositif. Ainsi, en 2004, la mise en place du dispositif se serait traduite par une diminution de 7 % du nombre d'établissements dans les zones voisines, alors qu'il aurait augmenté de 5 % dans les ZFU.

Figure 2Impact des allègements sur le nombre d'emplois dans les ZFU de première et deuxième générations

  • Lecture : fin 2006, dans les ZFU de première génération, les exonérations auraient accru le nombre d'emplois d'un niveau compris entre 35 700 et 58 200 postes. L'effet observé dans les ZFU de deuxième génération n'est pas significativement différent de zéro, avec une fourchette allant de - 700 à + 11 800 postes.
  • Source : Insee, répertoire Sirene et DADS, calculs des auteurs.

Quel effet sur les populations des quartiers en difficulté ?

Selon les secteurs d'activité, les établissements ne seraient pas tous aussi réactifs aux exonérations fiscales. Les plus sensibles seraient les établissements de services aux entreprises : leur nombre aurait été multiplié par quatre entre 1995 et 2003 du fait du dispositif. En revanche, l'impact des exonérations serait moindre pour le commerce.

Enfin, ces résultats très positifs sur l'implantation d'entreprises en ZFU ne se traduisent pas nécessairement par une hausse de même ampleur de l'emploi des populations des quartiers ciblés. Selon une évaluation menée par Gobillon, Magnac et Selod (2010), les chances de retour à l'emploi des chômeurs habitant dans les communes d'Île-de-France correspondant aux ZFU de première génération n'auraient augmenté que de 3 %.

Sources

Les zones franches urbaines, un dispositif important de la politique de la ville

Les premières zones franches urbaines ont été créées par la loi du 14 novembre 1996 relative au pacte de relance pour la ville. Cette loi identifiait des quartiers prioritaires pour la politique de la ville selon un système à trois niveaux : les 44 premières ZFU ont été désignées parmi 436 zones de redynamisation urbaine (ZRU), elles-mêmes choisies parmi 757 zones urbaines sensibles (ZUS). Les ZFU ont été sélectionnées parmi les zones de redynamisation urbaine de plus de 10 000 habitants cumulant les difficultés socioéconomiques. Cette sélection s'est effectuée en fonction d'un indice agrégeant le taux de chômage, la taille de la population, le taux de jeunes sortis sans qualification du système éducatif, le taux de jeunes de moins de 25 ans ainsi que le potentiel fiscal par habitant de la commune.

Les zones franches urbaines garantissent aux entreprises présentes sur les zones des exonérations fiscales concernant l'impôt sur les bénéfices, la taxe professionnelle, la taxe foncière ainsi que les cotisations patronales. Pour ces dernières, l'exonération est totale sur la part des salaires inférieure à 1,5 fois le salaire minimum jusqu'en 2006 (1,4 fois le salaire minimum après 2006). Depuis 2009, ces exonérations de cotisations patronales sont totales pour les salaires inférieurs à 1,4 smic, et dégressives pour s'annuler aux salaires correspondant à 2,4 fois le smic. Ces exonérations sont de 100 % pendant cinq ans, puis diminuent progressivement. Les conditions d'éligibilité portent sur le nombre de salariés (entreprises de moins de 50 salariés la première année) ainsi que le chiffre d'affaires (moins de 10 millions d'euros en 2010). Elles s'appliquent aux entreprises qui choisissent de s'implanter dans les zones franches comme à celles qui y étaient déjà présentes avant leur création. Les exonérations de charges patronales sont exclusives de toute autre exonération. Elles sont théoriquement accordées sous réserve d'une « clause d'emploi local », stipulant qu'une part des embauches de l'établissement concerne les résidents de l'agglomération dont fait partie la ZUS correspondante : cette part était initialement de 20 %, elle a été portée à 33 % en 2002, puis 50 % en 2012.

Le dispositif a été plusieurs fois prolongé et étendu : prévu pour s'éteindre en 2001, il a été prorogé par la loi d'orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine du 1er août 2003. Celle-ci s'est également traduite par la création de 41 nouvelles zones franches urbaines à partir du 1er janvier 2004. Enfin, 15 nouvelles zones ont été choisies en 2006. Les 100 zones franches urbaines devaient théoriquement disparaître à la fin de l'année 2011, mais le dispositif a été prolongé en octobre 2011 pour une période de cinq ans.

Données

Les études présentées ici s'intéressent aux ZFU de première et de deuxième générations situées sur le territoire métropolitain. Elles s'appuient sur plusieurs sources. Le répertoire Sirene permet de recenser l'ensemble des établissements, c'est-à-dire l'unité de production géographiquement localisée, par exemple une usine, un magasin de vêtements, un des hôtels d'une chaîne hôtelière, la « boutique » d'un réparateur de matériel informatique... Sirene est constitué de plusieurs fichiers. Les flux de créations d'établissements sont comptabilisés chaque mois. Ils permettent de distinguer les « vraies » créations de transferts d'entités déjà existantes (ou de reprises). Le fichier des stocks recense l'ensemble des établissements en activité au 1er janvier de chaque année. Il est donc enrichi des nouvelles créations, tandis que les établissements ayant cessé leur activité en disparaissent (parfois avec retard). L'Insee fournit des données géolocalisées qui permettent de repérer finement les établissements situés dans les zones ciblées par la politique de la ville. Les données géolocalisées de flux sont disponibles depuis 1995 et jusqu'en 2007. Les fichiers de stocks géolocalisés ne sont pas disponibles tous les ans : les informations correspondant aux années 1996, 1998, 2000 et 2001 ne sont pas directement disponibles mais ont pu être reconstituées.

Les déclarations annuelles de données sociales (DADS) fournissent des informations sur les effectifs salariés des établissements présents, ainsi que sur leurs rémunérations et le nombre d'heures travaillées.

La mesure de l'effet économique des ZFU

L'objectif des ZFU est de favoriser l'emploi et l'activité économique. Apprécier la réussite de ces dispositifs se heurte à une difficulté classique pour l'évaluation. Les quartiers concernés cumulent par définition les handicaps au développement économique, et il est nécessaire de tenir compte de cette situation initiale pour apprécier l'efficacité des exonérations fiscales à créer de l'activité.

Pour approcher au mieux une situation « contrefactuelle », c'est-à-dire une situation hypothétique qui aurait prévalu en l'absence des dispositifs d'exonérations, on utilise pour l'étude deux méthodes classiques en évaluation.

La première est une méthode d'appariement. On construit un « groupe de contrôle » à partir des zones de redynamisation urbaine dont les caractéristiques socioéconomiques sont proches des zones finalement désignées comme zones franches. Cette comparaison est rendue possible par le fait que le critère de la taille de la population a été déterminant dans le choix des zones franches, celles-ci étant théoriquement sélectionnées parmi les zones de plus de 10 000 habitants. Cette règle a été pratiquement toujours appliquée pour la première vague en 1997 et parfois au prix du regroupement de deux petites zones de redynamisation urbaine proches pour la deuxième vague en 2004. La conséquence de cette règle est qu'il est toujours possible de trouver des zones aux caractéristiques socioéconomiques initiales proches, mais dont seules certaines ont été désignées comme zones franches. Il est en effet vraisemblable que la taille de la zone influence peu son développement économique, au-delà de l'effet d'échelle.

Cette méthode d'appariement est complétée par une méthode de différence de différences : on s'intéresse à l'évolution de l'emploi ou de l'activité économique dans les zones par rapport à la situation qui prévalait avant la mise en place des dispositifs de zones franches. Comparer les évolutions dans les zones plutôt que les niveaux permet de tenir compte d'éventuelles dissemblances stables dans le temps entre les zones.

Au total, l'impact propre des zones franches correspond à l'écart résiduel entre les évolutions constatées dans ces zones et celles observées dans les zones de redynamisation urbaine les plus proches en termes de caractéristiques socioéconomiques. Les points de référence pour le calcul de ces écarts sont le 31/12/1994 pour les ZFU de première génération et le 31/12/2001 pour les ZFU de deuxième génération. Ces points de référence permettent de vérifier que la méthode utilisée ne capte pas des différences d'évolution initiale entre les zones franches et les autres zones de redynamisation urbaine. Le fait que les effets mesurés soient nuls en 1995 pour la première génération et en 2001 pour la seconde génération conforte la méthode. Ces points de référence permettent également de prendre en compte les effets d'anticipation qui auraient pu exister durant les années 1996 et 2003. Mais ces effets apparaissent secondaires : c'est bien à compter de fin 1996 et de fin 2003 qu'apparaissent des décrochements.