Le rugby en Lorraine : vers un nouvel "effet Coupe du monde" ?

Philippe Debard, Insee, Gaël Ryk, DRJSCS

Avec près de 4 000 licenciés, le rugby est le 4e sport collectif de balle et la 19e discipline tous sports confondus en Lorraine. Ses effectifs progressent par paliers, tous les quatre ans, l’année qui suit une coupe du monde. Il reste un sport presque exclusivement masculin. Nancy, Metz et Thionville en sont les bastions, mais, proportionnellement à la population, la pratique est plus développée dans la Meuse et l’ouest vosgien. Toutefois, la "culture rugby" reste émergente et le peu de clubs, de terrains et d’éducateurs limite son développement. Dès lors, le renforcement des infrastructures et de la formation s’avère nécessaire pour atteindre l’objectif de 5 000 licenciés en 2016.

Insee Analyses Lorraine
No 29
Paru le :Paru le19/09/2015
Philippe Debard, Insee, Gaël Ryk, DRJSCS
Insee Analyses Lorraine No 29- Septembre 2015

La Coupe du monde de rugby à XV se joue à partir du 18 septembre 2015 en Angleterre et au Pays de Galles. Cette compétition est la 8e d’un tournoi disputé tous les quatre ans depuis 1987.

Près de 4 000 licenciés en Lorraine

En 2014, le rugby compte 3 972 licenciés dans les clubs implantés en Lorraine. Depuis un peu plus d’une décennie, la pratique de ce sport attire, comme en France, davantage d’adeptes. Ainsi, alors que l’année 2003 avait été marquée par un point bas, avec moins de 2 600 licenciés dans la région, les effectifs du rugby ont depuis progressé de 54 % en Lorraine, pour 47 % en France. Cette progression se fait par paliers successifs, tous les quatre ans, l’année qui suit une coupe du monde. En effet, le nombre de licenciés a augmenté les années suivant les tournois de 2003, de 2007 et de 2011. Toutefois, cet "effet Coupe du monde" ne dure pas et se tasse au bout d’un an. (figure 1)

Figure 1Des effectifs qui progressent l’année qui suit un tournoi

Des effectifs qui progressent l’année qui suit un tournoi
Lorraine France
2000 3 718 264 251
2001 3 543 255 982
2002 3 252 252 638
2003 2 578 222 808
2004 2 904 240 795
2005 2 856 240 495
2006 2 958 251 523
2007 3 105 266 016
2008 4 265 327 555
2009 3 866 322 231
2010 3 691 311 601
2011 3 838 326 368
2012 4 319 339 150
2013 3 994 326 348
2014 3 972 327 818
  • Source : Ministère de la Ville, de la Jeunesse et des Sports.

Figure 1Des effectifs qui progressent l’année qui suit un tournoiÉvolution du nombre de licenciés de rugby entre 2000 à 2014

  • Source : Ministère de la Ville, de la Jeunesse et des Sports.

Quatrième sport collectif de balle

En Lorraine, parmi les sports collectifs de balle, avec lesquels il peut être en concurrence dans le recrutement de joueurs, le rugby se classe en 4e position. Il est devancé par le football (81 393 licenciés) de loin le sport majeur, et par le handball et le basket ball (22 741 et 12 185 licenciés). Le rugby se classe en revanche devant le volley ball (3 455 licenciés), le football américain (429) et le baseball-softball (420). Quant au rugby à XIII, il ne compte qu’un licencié dans la région.

Ce classement ne diffère pas du niveau national où le ballon rond devance le ballon ovale, si ce n’est que le handball et le basket ball se partagent la deuxième place avec des effectifs licenciés quasiment identiques.

Un sport presque exclusivement masculin

Le rugby reste marqué, en Lorraine comme ailleurs, par une très forte présence masculine. Ainsi, 94 % des licenciés lorrains sont des hommes et 6 % seulement des femmes (soit 249 licenciées), alors que celles-ci représentent 37 % des 485 000 licenciés sportifs de Lorraine, toutes disciplines confondues. (figure 2)

L’absence de parité hommes-femmes ne se retrouve à un tel niveau que dans le football, les sports mécaniques (motocyclisme, motonautique, sport automobile) ou aériens (planeur ultraléger motorisé, aéromodélisme, aéronautique), le ball-trap, le billard et la pêche sportive au coup.

Parmi les sports collectifs de balle, cette situation contraste avec le basket ball, le handball et surtout le volley ball où les femmes représentent de 30 % à plus de 40 % des licenciés.

Cette disparité se retrouve au sein des clubs. La proportion de femmes avoisine les 10 % dans seulement quatre clubs lorrains (RC Lunévillois, Nancy-Seichamps Rugby, SA Verdun et RCS Vittel). Elle atteint 17 % au Rugby Centre Meuse Force 4 de Sampigny.

Le rugby lorrain se caractérise également par la relative jeunesse de ses adeptes : 70 % des licenciés ont moins de 25 ans et 93 % moins de 40 ans. L’âge moyen des licenciés est de 18 ans, l’âge médian de 15 ans, soit les âges les plus jeunes des sports collectifs de balle.

Figure 2Le joueur de rugby en Lorraine : un homme de moins de 40 ans

en %
Le joueur de rugby en Lorraine : un homme de moins de 40 ans (en %) - Lecture : près de 25 % des licenciés du rugby sont des garçons de 10 à 14 ans.
Âge Hommes - Licenciés rugby Femmes - Licenciées rugby Hommes - Ensemble des licenciés Femmes - Ensemble des licenciées
0-4 0,1 0,0 0,6 0,6
5-9 19,9 0,7 10,9 6,3
10-14 24,7 0,6 12,1 7,8
15-19 17,4 1,3 6,8 3,4
20-24 10,3 1,0 5,5 1,9
25-29 8,8 0,9 4,6 1,6
30-34 5,7 0,4 4,0 1,4
35-39 4,1 0,1 3,7 1,5
40-44 2,2 0,1 4,0 1,8
45-49 1,3 0,0 3,6 1,6
50-54 0,3 0,0 2,8 1,3
55-59 0,1 0,0 2,4 1,2
60-64 0,1 0,0 2,3 1,3
65-69 0,0 0,0 1,6 0,9
70-74 0,0 0,0 0,9 0,5
75-79 0,0 0,0 0,6 0,3
80-84 0,0 0,0 0,2 0,1
85-89 0,0 0,0 0,1 0,0
90-94 0,0 0,0 0,0 0,0
95 et + 0,0 0,0 0,0 0,0
  • Lecture : près de 25 % des licenciés du rugby sont des garçons de 10 à 14 ans.
  • Source : Ministère de la Ville, de la Jeunesse et des Sports.

Figure 2Le joueur de rugby en Lorraine : un homme de moins de 40 ansLicenciés par sexe et âge quinquennal en Lorraine en 2012

  • Lecture : près de 25 % des licenciés du rugby sont des garçons de 10 à 14 ans.
  • Source : Ministère de la Ville, de la Jeunesse et des Sports.

26 clubs seulement en Lorraine

En Lorraine, 26 clubs permettent aux amoureux du rugby de pratiquer leur sport favori. Les plus importants, en termes d’effectifs, sont Nancy-Seichamps Rugby (491 licenciés en 2013/2014), Rugby Club Metz Moselle (391) et Thionville-Yutz Génération Rugby Espoir (358). Quatre autres clubs comptent entre 200 et 300 licenciés, par ordre décroissant : Rugby Club Pont-à-Mousson, SA Verdun Rugby, Rugby Athlétique Épinal Golbey et Entente Sportive Hagondange Rugby. (figure 3)

La Lorraine accueille par ailleurs en compétition deux clubs étrangers, ceux de Luxembourg et Sarrebruck.

Les agglomérations de Nancy, de Metz et de Thionville, de par leur taille, apparaissent donc comme les bastions du rugby en Lorraine. Dans le même temps, trois clubs seulement sont implantés dans des communes rurales : Sampigny (55), Heining-lès-Bouzonville et Lorquin (57).

Cependant, rapporté au nombre d’hommes de 5 à 39 ans, qui représentent plus 90 % des licenciés, il apparaît que le rugby est davantage pratiqué dans le centre de la Meuse, autour de Vittel, et à un degré moindre dans les secteurs de Pont-à-Mousson / Dieulouard et Raon-l’Étape / Baccarat.

Au final, le nombre particulièrement restreint de clubs peut être considéré comme un premier frein à la pratique du rugby dans la région, face notamment aux quelques 670 clubs de football et 300 clubs de tennis recensés dans la région.

De plus, dans les clubs "historiques" tels ceux de Longwy, de Metz et de Saint-Dié-des-Vosges, on note une érosion des effectifs de l’ordre de 20 % entre 2012 et 2014.

Figure 3Clubs de rugby en Lorraine en 2013/2014

Clubs de rugby en Lorraine en 2013/2014
Club Nombre de licenciés
Meurthe-et-Moselle
Seichamps Nancy Seichamps Rugby 491
Pont-à-Mousson RC Pont-à-Mousson 299
Longwy US Bassin de Longwy 165
Villers-lès-Nancy COS Villers-lès-Nancy 159
Lunéville RC Lunévillois 142
Dieulouard RC Dieulouard Liverdun 121
Mancieulles RC du Bassin minier 54 (club créé en 2013/2014 ) /
Meuse
Verdun SA Verdun 264
Sampigny Rugby Centre Meuse Force 4 115
Bar-le-Duc RC Bar-le-Duc 105
Moselle
Metz RC Metz Moselle 391
Yutz Thionville Yutz Génération RE 358
Hagondange Entente sportive Hagondange 193
Forbach US Forbach Rugby 168
Saint-Avold RC Naborien 159
Neufchef RUS Hayange 145
Lorquin Avenir RC Lorquin 71
Boulay-Moselle Boulay Olympique Rugby 56
Sarreguemines Espoir Sarreguemines Rugby 46
Heining-lès-Bouzonville RC Heining-lès-Bouzonville 3
Vosges
Épinal RA Epinal Golbey 196
Vittel RCS Vittel 177
Saint-Dié-des-Vosges RC Saint-Dié 171
Raon l'Étape RC Raon Baccarat 114
Remiremont RC Vosgien des deux vallées 101
Neufchâteau RC Néocastrien 25
  • Source : Ministère de la Ville, de la Jeunesse et des Sports.

68 terrains dont 28 dédiés exclusivement au rugby

Le nombre de lieux de pratique est également limité. En 2012, la Lorraine ne compte que 36 terrains de rugby, contre près de 2 300 terrains de football par exemple. Parmi ces terrains, deux ne sont que de petits terrains d’entraînement et six sont utilisés également pour d’autres activités sportives. Au total, 28 grands terrains seulement sont dédiés exclusivement à la pratique du rugby. On peut toutefois y ajouter 20 terrains de football et 12 terrains mixtes, où la pratique du rugby est possible, mais partagée.

Sept clubs lorrains sont de fait dépourvus de terrains dédiés exclusivement au rugby. Il s’agit des clubs de Mancieulles, de Pont-à-Mousson, de Verdun, de Lorquin, de Sarreguemines, de Neufchâteau et de Raon-l’Étape, dont les joueurs doivent partager le terrain avec d’autres sportifs.

La "culture rugby" encore émergente

En Lorraine, en 2014, le rugby occupe en nombre de licenciés la 19place des 90 disciplines sportives proposées par les fédérations sportives agréées (fédérations unisport olympiques ou non olympiques) et les groupements sportifs. Il ne représente que 0,8 % des 485 000 sportifs licenciés de Lorraine, contre 2,1 % au niveau national. À l’instar de toute la partie nord de l’Hexagone, la Lorraine n’est donc pas une terre d’ovalie.

Proportionnellement à leur population, les départements du sud de la France comptent en effet beaucoup plus de pratiquants, notamment dans le Sud-Ouest. En 2014, dans les Pyrénées-Atlantiques, les Landes et les Hautes-Pyrénées, 2,2 % des habitants ont une licence de rugby. Cette part atteint 2,6 % dans le Gers, premier département de France pour la pratique du rugby. (figure 4)

L’absence d’un club de haut niveau capable d’être une vitrine du rugby et d’agir comme un moteur, notamment auprès des jeunes, se fait cruellement sentir, en Lorraine, mais aussi dans tout le nord de la France. Aucun club lorrain n’a jamais figuré en 1ère  division. Le plus haut niveau jamais atteint a été la 2e division par le RC Metz en 1995. Au niveau national, hormis deux clubs en Île-de-France (Stade Français et Racing 92), on ne compte aucun club en Top14 ou Pro D2 au nord d’une ligne La Rochelle - Oyonnax.

En 2015, le plus haut niveau atteint par les clubs lorrains (RC Pont-à-Mousson et RC Metz) est la Fédérale 3 (5division).

Pour autant la région forme régulièrement des jeunes qui rejoignent le plus haut niveau français, clubs professionnels voire équipe de France, après être passés dans un pôle ou un centre de formation de club professionnel.

Figure 4Pratique plus développée dans le Sud-Ouest

  • Source : Ministère de la Ville de la Jeunesse et des Sports.

Un nécessaire renforcement des infrastructures et de la formation

L’absence d’une "culture rugby" est sans doute au départ une limite au développement de ce sport en Lorraine et dans le nord de la France en général, contrairement au Sud-Ouest. Pour un sport qui se joue en extérieur, les conditions météorologiques moins favorables peuvent également rebuter les pratiquants motivés.

Mais surtout, le peu de clubs et le peu de terrains constituent des obstacles pour accéder à la pratique du rugby dans la région. En effet, le rugby ne peut pas se pratiquer dans la rue, contrairement au football ou au basket ball par exemple. Par ailleurs, alors que ces disciplines, de même que le handball, bénéficient d’un meilleur enracinement local et sont mieux installées dans le cadre scolaire, le rugby lorrain pâtit d’un déficit d’éducateurs spécialisés.

L’absence d’une structure de formation d’un club professionnel agréé va de pair avec l’absence de grand club. Les meilleurs joueurs, ou les plus prometteurs, doivent également faire face au manque de structure de formation de haut niveau tel un Pôle Espoir. Le plus proche, sur les dix que compte la Fédération française de rugby, se situe à Dijon. Les autres sports collectifs de balle disposent en Lorraine de Pôles Espoir (handball et basket ball), Pôle France (volley ball) ou clubs évoluant en 1ère ou 2division nationale.

Face à ces constats, le renforcement des infrastructures et de la formation s’avère d’autant plus nécessaire que la progression des effectifs licenciés observée ces dernières années se heurtera sous peu à la réalité d’une démographie lorraine en berne (population totale qui stagne voire diminue, baisse du nombre de naissances). Si les tendances démographiques récentes se poursuivent, le nombre total d’hommes de 5 à 39 ans, qui constituent l’essentiel du réservoir de joueurs de rugby, est en effet amené à se réduire de 13 000 individus d’ici à 2025, et de 15 000 entre 2025 et 2030. Avec un taux d’adhésion constant (autour de 0,6 % des hommes de 5 à 39 ans), le rugby lorrain ne verra donc pas ses effectifs augmenter dans les années à venir.

Pour contredire ce scénario, le rugby devra augmenter son attractivité. Cela passe par une plus forte adhésion des hommes, mais aussi des femmes, à l’image des clubs de rugby meusiens, les plus féminisés de la région, ou de ce que l’on commence à observer dans le football. Cela peut aussi passer par un élargissement de la zone géographique de recrutement vers les départements ou pays limitrophes.

Figure 5Les vingt pays qualifiés pour la Coupe du monde de rugby à XV en 2015 : Europe et pays du Commonwealth, bastions traditionnels

  • Source : International Rugby Board.

Comité territorial de Lorraine de rugby : pérenniser et développer la pratique

Le Comité territorial de Lorraine de rugby s’est fixé trois axes pour pérenniser et développer la pratique du rugby dans la région : agir sur le nombre de licenciés, les performances et les infrastructures.

5 000 licenciés en 2016

L’objectif pour 2016 est de compter 5 000 licenciés. Pour y parvenir, le mouvement entamé depuis 2012, qui a vu la création d’un nouveau club en moyenne chaque année, doit être poursuivi. Cela passe aussi par de meilleures politiques d’initiation (notamment en milieu scolaire) et d’accueil de nouveaux publics (notamment féminin). Enfin, il convient de renforcer les équipes d’éducateurs, d’entraîneurs et d’arbitres diplômés.

Élévation des performances

L’amélioration du niveau sportif des licenciés et des clubs constitue un autre objectif, qui touche aux performances. La labellisation de quatre nouvelles Écoles de Rugby, en plus des six existantes, davantage de joueurs inscrits au Pôle Espoir de Dijon, le projet de mise en place d’équipes Crabos et Reichel, la participation aux compétitions Gaudermen Alamercery, vont dans ce sens. Tout comme le projet de mise en place d’un centre de haut niveau féminin à sept pour les moins de 20 ans au Creps d’Essey-lès-Nancy.

Davantage de terrains

En Lorraine, la densité d’équipements nécessaires à la pratique du rugby est notoirement insuffisante. Le renforcement des liens avec les partenaires institutionnels s’avère indispensable pour y remédier, et accompagner le développement envisagé du rugby, tant sur le plan quantitatif que qualitatif.

Alain Lux, président du Comité territorial de Lorraine de rugby

DRJSCS : promouvoir le "sport pour tous"

Organisme de tutelle du mouvement sportif régional et partenaire de ce dernier dans le cadre de la mise en œuvre des politiques ministérielles, la Direction régionale de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale (DRJSCS) soutient le sport et les sportifs de haut niveau tout en assurant la promotion et le développement du "sport pour tous".

La huitième édition de la coupe du monde, que disputeront les joueurs du XV de France, est une belle occasion de faire le point sur la pratique de ce sport en Lorraine, région traditionnellement plutôt tournée vers d’autres sports collectifs.

Isabelle Delaunay, Directrice régionale de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale