Intensification de la pauvreté pour les ménages les plus précaires

Auteurs : Vinciane Bayardin, Laurent Brunet et Catherine Sueur (Insee)

La Haute-Normandie subit une hausse de la pauvreté depuis la crise économique amorcée en 2008. En 2011, 13,8 % de haut-normands sont pauvres, ce qui correspond à une augmentation de 1,4 point depuis 2008, soit légèrement plus qu'en France métropolitaine. Cette progression de la pauvreté accentue les inégalités dans la région. Les familles monoparentales et les couples avec enfants sont fortement touchés, alors que ces ménages étaient déjà les plus fragiles. La pauvreté s'est également intensifiée dans les zones les plus rurales et les villes au centre d'agglomération, territoires où la pauvreté était déjà là aussi prégnante. Conséquence de cette plus grande précarité, la part des ménages dont les prestations sociales sont majoritaires dans leur revenu est en constante augmentation depuis 2008.

Insee Analyses Haute-Normandie
No 16
Paru le :Paru le18/12/2015
Auteurs : Vinciane Bayardin, Laurent Brunet et Catherine Sueur (Insee)
Insee Analyses Haute-Normandie No 16- Décembre 2015

La crise économique amorcée en 2008 a des conséquences défavorables sur les revenus des ménages en France et la précarité augmente. La Haute-Normandie n'est pas épargnée : son industrie s'en trouve fragilisée et son taux de chômage augmente de 3,2 points entre 2008 et 2014, soit davantage qu'au niveau France (+ 2,8 points). Cette dégradation économique rend les ménages plus vulnérables.

La pauvreté a augmenté entre 2008 et 2011

En 2011, le niveau de vie (définitions) mensuel médian des personnes vivant dans un ménage haut-normand s'élève à 1 600 euros, c'est-à-dire que la moitié de la population dispose d'un niveau de vie moins élevé. Entre 2008 et 2011, le niveau de vie médian diminue de 1,1 % (Figure 1), alors qu'il avait tendance à augmenter jusqu'alors. Cette baisse entraîne une augmentation du nombre de personnes vivant sous le seuil de pauvreté (définitions) : en 2011, 13,8 % de la population haut-normande vit dans un ménage qui dispose chaque mois de moins de 977 euros par unité de consommation (UC), soit 28 000 personnes considérées comme étant devenues pauvres sur la période.

Figure 1Le taux de pauvreté augmente de 1,4 point en Haute-Normandie entre 2008 et 2011

Le taux de pauvreté augmente de 1,4 point en Haute-Normandie entre 2008 et 2011
Niveau de vie mensuel médian Taux de pauvreté
en 2011 Evolution 2008 - 2011 en 2011 Evolution 2008 - 2011
(euro) (%) Rang (%) (point) Rang
Eure 1640 -1,4 35 12,3 1,5 23
Seine-Maritime 1590 -0,9 64 14,5 1,3 37
Haute-Normandie 1600 -1,1 11 13,8 1,4 8
France métropolitaine 1630 -0,8 14,3 1,2
  • Note : l’évolution du niveau de vie entre 2008 et 2011 est calculée en euros constants 2011.
  • Note de lecture : En 2011, le niveau de vie mensuel médian des eurois est de 1640 euros. Il a diminué de 1,4 % entre 2008 et 2011. Le département de l’Eure est alors le 35e département (sur 96) où le niveau de vie a le plus baisser.
  • Source : Insee, Revenus disponibles localisés 2008, 2011

Avec une hausse de 1,4 point, la Haute-Normandie est légèrement plus touchée par la hausse de la pauvreté qu'au niveau France. Mais cette augmentation reste modérée par rapport à d'autres régions françaises comme le Nord-Pas-de-Calais (+ 2,1 points) ou encore la Picardie (+ 1,8 point). Les pertes d'emplois, notamment dans l'industrie, sont plus importantes dans ces deux régions, ce qui peut expliquer en partie ces évolutions plus défavorables. La Haute-Normandie est ainsi la 8e région sur 22 où le taux de pauvreté a le plus augmenté. Sur le périmètre des nouvelles régions, le taux de pauvreté de la Normandie,s'accroît de 1,3 point entre 2008 et 2011.

Quid de la mesure de la pauvreté en 2012 ?

À partir de 2012, le fichier Localisé Social et Fiscal (FiLoSoFi) remplace les dispositifs Revenus fiscaux localisés (RFL) et Revenus disponibles localisés (RDL). Ce nouveau fichier fournit des indicateurs de niveaux de vie, d'inégalités et de pauvreté jusqu'aux échelons infra-départementaux. Les données 2012 ne sont pas comparables avec les années précédentes.

En 2012, le niveau de vie mensuel médian s'élève à 1 620 euros en Haute-Normandie et 1 600 euros sur le périmètre de la nouvelle Normandie. Le taux de pauvreté, de 13,5 % en Haute-Normandie et de 13,4 % en Normandie, est plus faible qu'en France métropolitaine (14,3 %) ou qu'en Province (14,1 %). Les ménages vivant sous le seuil de pauvreté ont un niveau de vie ne dépassant pas 990 euros mensuels par UC.

La crise économique accentue les inégalités

L'augmentation de la pauvreté s'accompagne d'un creusement des inégalités. Pour les 10 % des ménages les plus pauvres (1er décile), le niveau de vie baisse de 3,4 % entre 2008 et 2011, tandis que pour les 10 % des ménages les plus aisés (9e décile), il augmente de 0,6 % (Figure 2). En 2011, le niveau de vie des plus riches est le triple de celui des plus pauvres. Ce creusement des inégalités est plus important en Seine-Maritime que dans l'Eure, en raison notamment d'une plus forte augmentation du niveau de vie des seino-marins les plus aisés. L'accroissement des inégalités est cependant moins prononcé qu'au niveau France : l'écart de niveau de vie entre les plus riches et les plus pauvres augmente de 4,2 % en Haute-Normandie (4,8 % en Seine-Maritime et 3,9 % dans l'Eure), contre 5,3 % en France métropolitaine, ce qui classe la région en position médiane des régions métropolitaines. La France connaît toutefois une inversion de ce phénomène depuis 2012, avec une légère réduction des inégalités.

Figure_2Le niveau de vie diminue le plus pour les ménages les plus modestes

  • Note de lecture : En 2011, le niveau de vie mensuel médian du 1er décile de ménage est de 891 € par UC (échelle de gauche). Entre 2008 et 2011, le niveau de vie a diminué de 3,4 % en euros constants (échelle de droite).
  • Source : Insee, Revenus disponibles localisés 2008, 2011

En lien avec l'accroissement des inégalités de niveau de vie, la pauvreté est plus intense en Haute-Normandie, c'est-à-dire que le niveau de vie médian de la population pauvre est plus éloigné du seuil de pauvreté en 2011 qu'en 2008 (définitions). La Seine-Maritime est particulièrement touchée : l'intensité de la pauvreté y a augmenté de 4,0 %, contre 2,4 % dans l'Eure et 3,2 % au niveau métropolitain. En 2011, la moitié des ménages pauvres haut-normands a un niveau de vie inférieur à 800 euros par mois, soit 180 euros de moins que le seuil de pauvreté.

Familles monoparentales et couples avec enfants fortement touchés

La crise économique accentue le risque de précarité des familles monoparentales et des couples avec enfants. Les familles monoparentales, dont les ressources sont assurées par une seule personne du foyer (le plus souvent une femme), constituent des ménages économiquement plus fragiles. Leur taux de pauvreté augmente de 1,7 point entre 2008 et 2011 (Figure 3), plus que pour l'ensemble des ménages. Cette augmentation est encore plus vive dans le département de l'Eure : + 2,5 points contre + 1,4 point en Seine-Maritime. En 2011, plus d'un tiers des familles monoparentales haut-normandes vit sous le seuil de pauvreté. La part des personnes pauvres vivant dans un couple avec enfants est moins élevée (12,7 % en 2011), mais elle a le plus augmenté entre 2008 et 2011 (+ 2,2 points). À l'inverse, les personnes seules et celles vivant en couple sans enfant sont moins affectées par la crise. Leur taux de pauvreté diminue légèrement entre 2008 et 2011, de - 0,3 point pour les couples sans enfant et de - 0,9 point pour les personnes seules.

Figure_3Un risque de précarité accru pour les familles avec enfants

  • Source : Insee, Revenus disponibles localisés 2008, 2011

Figure_4Les écarts se creusent entre les générations

  • Source : Insee, Revenus disponibles localisés 2008, 2011

La crise amplifie les inégalités entre les générations, et le risque d'être pauvre touche plus les enfants que les adultes. Le taux de pauvreté des enfants mineurs augmente le plus (+ 2,9 points en Haute-Normandie comme en France métropolitaine), pour atteindre 20,3 % en 2011 (Figure 4). Chez les jeunes de 18 à 29 ans, cette hausse est de de 2,4 points et s'élève à 16,5 % en 2011. Cette augmentation est plus forte qu'au niveau national (+ 2,0 points), et en 2011 le taux de pauvreté de ces jeunes adultes dépasse de 0,3 point celui de la France métropolitaine. Au contraire, pour les plus de 65 ans, le taux de pauvreté diminue entre 2008 et 2011, de 0,7 point en Haute-Normandie et de 1,0 point en France métropolitaine. Dans cette tranche d'âge, le taux de pauvreté est nettement plus faible, notamment en Haute-Normandie (6,6 % contre 8,8 % en France métropolitaine).

Intensification de la précarité dans le rural et les centres d'agglomération

Les statistiques portant sur les personnes couvertes par les allocations CAF (définitions) permettent une analyse plus fine de l'évolution de la pauvreté sur le territoire. En 2012, près d'une personne sur cinq éligible à une allocation CAF a un bas revenu (définitions). Cette part a augmenté depuis 2007.

Les territoires les plus ruraux de la Haute-Normandie (au nord-est et ou sud-ouest de la région) font partie des territoires les plus touchés par la hausse de la pauvreté (Figure 5). Ils cumulent une part élevée de personnes à bas revenus en 2012 et une hausse soutenue de cette part depuis 2007. Cette situation doublement défavorable se rencontre également dans les centres des plus grandes agglomérations haut-normandes. Ainsi, dans l'agglomération rouennaise, les cantons de Sotteville-lès-Rouen ou de Caudebec-lès-Elbeuf sont les plus affectés, à l'instar des communes de Dieppe et d'Évreux au sein de leur agglomération respective. A contrario, les zones périurbaines des grands pôles urbains sont généralement moins touchées par la pauvreté. En effet, depuis 2007, la proportion de personnes à bas revenus y est restée quasiment stable, là où déjà la part de ces personnes était faible. Cela s'explique en partie par le fait qu'une part importante des personnes vivant à la périphérie des pôles urbains travaillent au sein de ces pôles et sont généralement les plus aisées. Enfin, à Rouen, bien que les personnes à bas revenus soient fortement représentées en 2012, leur part dans la population s'est fortement contractée entre 2007 et 2012.

Figure_5Intensification de la pauvreté dans les territoires les plus ruraux ou au centre d’agglomération

  • *lorsque les cantons sont infracommunaux, les données sont à la commune.
  • Note : Moyenne Haute-Normandie : part 2012 =18,5 % ; évolution 2007-2012 = + 1,3 point
  • Moyenne France métropolitaine : part 2012 =17,7 % ; évolution 2007-2012 =+ 1,7 point
  • Note de lecture : Dans la commune du Havre, plus de 18 % des personnes ont un bas revenu en 2012. Cette part a augmenté de plus d’un point depuis 2007.
  • Sources : CAF 2007, 2012 ; Recensement de la population 2007, 2012 - Champ : allocataires CAF

Les bénéficiaires de prestations sociales plus nombreux

La hausse de la pauvreté est liée en partie à la dégradation du marché du travail. La crise économique accentue les destructions d'emploi et 15 000 emplois nets sont perdus sur la période 2008-2011 en Haute-Normandie. Les difficultés à retrouver un emploi ou à s'insérer dans un marché du travail plus dégradé font grimper le nombre de demandeurs d'emploi de longue durée. 78 400 personnes sont inscrites à Pôle emploi depuis plus d'un an en 2014 ; ce nombre a plus que doublé depuis 2007.

Cette augmentation de la précarité a entraîné une hausse du nombre de bénéficiaires de minima sociaux. Ces prestations visent notamment à réduire la pauvreté en versant un revenu aux personnes les plus précaires. En Haute-Normandie, la part de la population couverte par le RSA socle (RMI jusqu'en 2009, cf. définitions) passe de 4,0 % en 2008 à 4,9 % en 2011 et atteint 6,2 % en 2014, soit 89 500 personnes. La part des allocataires CAF dont le revenu est composé majoritairement de prestations sociales s'accroît elle aussi, passant de 23 % en 2008 à 29 % en 2014 (Figure 6). Dans le département de Seine-Maritime, la part de la population couverte par le RSA, et celle des ménages dont les revenus dépendent à plus de 50 % des prestations sociales, augmentent plus vite que dans l'Eure.

Figure_6Hausse des ménages dont les prestations sont majoritaires dans les revenus

  • Source : Caf

Le système de redistribution de l'État, par le prélèvement de l'impôt et le versement de prestations sociales (prestations familiales, minima sociaux), permet ainsi de réduire les différences de revenu entre les ménages, et donc d'atténuer la pauvreté. En 2011, sans redistribution, le taux de pauvreté aurait atteint 20,5 % en Haute-Normandie.

Une pauvreté qui dépasse le seul critère des revenus

La hausse marquée de la pauvreté depuis la crise a mené les acteurs publics à mettre en place des dispositifs de lutte contre la pauvreté, notamment la plan pluriannuel de lutte contre la pauvreté et pour l'inclusion sociale (PPLPIS). Au-delà de l'approche monétaire, la pauvreté doit être prise en compte dans toutes ses dimensions. Elle peut notamment être appréciée en termes de conditions de vie, c'est-à-dire lorsqu'un individu n'a pas la possibilité d'atteindre certaines normes de consommation ou de confort. En Haute-Normandie, 6 % de personnes se trouvent confrontées à une privation matérielle forte, c'est-à-dire qu'elles ne peuvent faire face à un certain nombre de dépenses imprévues ou courantes (posséder un lave-linge, maintenir le logement à bonne température, etc.). Ces conditions de vie précaires se rencontrent un peu plus fréquemment dans la région qu'en moyenne nationale (8e région la plus affectée). Ces données sont issues de l'enquête européenne sur les ressources et conditions de vie des ménages (SRCV).

Sources

Les données sur les niveaux de vie sont issues du dispositif Revenus Disponibles Localisés (RDL) de l'Insee. Jusque 2011, ce dispositif permet le calcul des revenus disponibles, au niveau départemental, sur le champ des ménages fiscaux ordinaires. À partir de 2012, la source Filosofi de l'Insee permet le calcul des revenus disponibles jusqu'au niveau communal. Les données sur les bas revenus sont issues des fichiers des CAF.

Définitions

Niveau de vie d'un individu: C'est le rapport du revenu disponible (revenus - impôts) du ménage auquel appartient l'individu au nombre d'unités de consommation (UC). Le nombre d'UC n'est pas égal au nombre de personnes du ménage car on tient compte du fait que la vie commune procure des économies d'échelle. L'échelle actuellement utilisée retient la pondération suivante :

- le premier adulte du ménage compte pour 1 UC ;

- les autres personnes de 14 ans ou plus comptent pour 0,5 UC ;

- les enfants de moins de 14 ans comptent pour 0,3 UC.

Alors que le revenu disponible concerne le ménage, le niveau de vie représente ce dont dispose un individu pour vivre compte tenu de la composition du ménage auquel il appartient. Par convention, tous les individus d'un même ménage ont le même niveau de vie.

Niveau de vie médian: Il s'agit du niveau de vie qui partage les personnes en deux groupes : d'une part, le groupe des personnes qui a un niveau de vie inférieur, et d'autre part, le groupe des personnes qui a un niveau de vie supérieur.

Décile: le 1er décile est la valeur d'une variable en dessous de laquelle se situe 10 % de la population. Ainsi, le 1er décile du niveau de vie est le niveau de vie en dessous duquel vit 10 % de la population. À l'opposé, le 9e décile correspond au niveau de vie au-dessous duquel se situe 90 % de la population.

Taux de pauvreté: Il correspond à la proportion d'individus (ou de ménages) dont le niveau de vie est inférieur pour une année donnée à un seuil, dénommé seuil de pauvreté (exprimé en euros). Le seuil est déterminé par rapport à la distribution des niveaux de vie de l'ensemble de la population. Eurostat et les pays européens, dont la France, utilisent un seuil à 60 % de la médiane des niveaux de vie. En 2011, le seuil de pauvreté est fixé à 977 euros.

Intensité de la pauvreté: L'intensité de la pauvreté est un indicateur qui permet d'apprécier à quel point le niveau de vie de la population pauvre est éloigné du seuil de pauvreté. L'Insee mesure cet indicateur comme l'écart relatif entre le niveau de vie médian de la population pauvre et le seuil de pauvreté. Formellement, il est calculé de la manière suivante : (seuil de pauvreté - niveau de vie médian de la population pauvre) / seuil de pauvreté.

Plus cet indicateur est élevé et plus la pauvreté est dite intense, au sens où le niveau de vie des plus pauvres est très inférieur au seuil de pauvreté.

Taux de personnes à bas revenus: il correspond à la population à bas revenus rapportée à une population " potentiellement éligible ". Pour les Caf, la population de référence comprend l'ensemble des personnes de moins de 65 ans des logements ordinaires dont l'individu de référence n'est pas étudiant, a moins de 65 ans, ne relève d'aucun régime spécial et dont le conjoint ou concubin (s'il existe) a moins de 65 ans, ainsi que les personnes de moins de 65 ans des communautés non étudiante et ne relevant pas d'un régime spécial.

RSA socle : Le revenu de solidarité active (RSA) est une allocation qui complète les ressources initiales du foyer pour qu'elles atteignent le niveau d'un revenu garanti. Le RSA socle est une composante du RSA et ne peut être versé qu'aux personnes sans activité professionnelle. Il est entré en vigueur au 1er juin 2009 en France métropolitaine. Il se substitue au revenu minimum d'insertion (RMI) et à l'allocation de parent isolé (API).