Des trajectoires sociales différenciées entre les territoires du Nord-Pas-de-Calais

Betty BECUWE, Mathieu LECOMTE

Le Nord-Pas-de-Calais est une région où les difficultés sociales sont particulièrement importantes. Elles touchent toutes les populations : les jeunes, les actifs, les personnes âgées… Dans le bassin minier, l’Avesnois ou le Calaisis, les facteurs de fragilités s’accumulent. Sur d’autres territoires, notamment autour de Lille et Arras, la situation est nettement plus favorable. Si ces difficultés sont en partie structurelles, elles résultent également de trajectoires différenciées au cours de la dernière décennie. La crise économique a amplifié les difficultés sociales dans l’ensemble de la région, plus fortement qu’au niveau national. Les territoires où les situations de précarité étaient importantes il y a dix ans sont ceux qui ont connu les trajectoires les moins favorables. Parallèlement, la crise a fragilisé de nouvelles populations, notamment dans les territoires ruraux de la région. Enfin, les territoires les plus privilégiés ont connu les trajectoires les plus favorables.

Insee Analyses Nord-Pas-de-Calais
No 15
Paru le :Paru le01/06/2015
Betty BECUWE, Mathieu LECOMTE
Insee Analyses Nord-Pas-de-Calais No 15- Juin 2015

Le Nord-Pas-de-Calais, une région particulièrement fragile

Le Nord-Pas-de-Calais est l’une des régions métropolitaines les plus touchées par la pauvreté. En 2011, près d’un habitant de la région sur cinq vit sous le seuil de pauvreté. En effet, le niveau de vie médian des Nordistes est le plus faible de France métropolitaine et est inférieur de plus de 10 % au niveau de vie national. Cette faiblesse du niveau de vie provient notamment des difficultés que les habitants de la région rencontrent sur le marché de l’emploi. Le taux de chômage régional est très nettement supérieur à la moyenne nationale. Le taux d’emploi des femmes nordistes, bien qu’en augmentation constante depuis plusieurs décennies, reste toujours en retrait par rapport à la moyenne nationale.

Plus nombreuses qu’en France métropolitaine, les familles monoparentales sont également plus touchées par la pauvreté dans la région. Plus de quatre sur dix sont en situation de pauvreté (contre une sur trois au niveau national). Les jeunes et les personnes âgées sont aussi particulièrement exposés aux difficultés sociales. Par exemple, en 2011, 27 % des jeunes du Nord-Pas-de-Calais de 18 à 25 ans ne sont ni en emploi ni en formation, soit six points de plus que la moyenne nationale. Les revenus des personnes âgées en Nord-Pas-de- Calais sont les plus faibles de France métropolitaine. En effet, davantage de femmes âgées nordistes vivent seules, avec des pensions plus faibles qu’en France métropolitaine.

Pourtant, au sein de la région, les disparités territoriales sont affirmées entre des espaces où vit une population aisée et des espaces où la pauvreté affecte une large partie de la population. Cette étude constitue ainsi un diagnostic territorial des situations de pauvreté en Nord-Pas-de-Calais et contribue au dispositif de suivi et d’évaluation de l’impact du plan pluriannuel contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale adopté en 2013. Elle vise à aider à la territorialisation des politiques publiques d’action sociale et de lutte contre la pauvreté.

Des disparités territoriales affirmées

Au sein de la région Nord-Pas-de-Calais, les situations des territoires face à la pauvreté sont contrastées. En 2011, les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) de la région peuvent être regroupés en cinq ensembles ( figure 1 ), présentant des degrés de fragilité sociale croissants ( figure 2 ).

Figure1Typologie des territoires selon leur fragilité sociale en 2011

  • Sources : Insee, recensement de la population 2011, revenus fiscaux localisés ; Caf.

Figure2Caractéristiques sociales des territoires en 2011

Caractéristiques sociales des territoires en 2011
Classe de la typologie Intensité des difficultés sociales par rapport à la moyenne régionale Part des jeunes de 18 à 25 ans non insérés Part des chômeurs dans la population active Part des chômeurs de longue durée parmi les chômeurs Taux d'activité des 25-54 ans Part des familles monoparentales Revenu médian par unité de consommation Part de la population vivant avec un bas revenu Population
En % En % En % En % En % En euros En % Habitants
1 -- 15,1 7,0 41,1 93,5 6,4 23300 9,2 109000
2 - 23,5 10,5 41,7 89,9 7,4 18000 15,6 446100
3 = 28,4 14,1 45,2 87,7 8,6 16900 22,2 1576500
4 + 34,2 17,8 47,1 84,7 10,1 15500 29,1 1417900
5 ++ 38,3 22,4 51,5 82,4 12,0 14300 35,4 492500
Nord-Pas-de-Calais 27,2 16,2 46,5 86,8 10,0 16800 26,0
France métropolitaine 21,2 12,3 40,1 90,4 8,7 19200 17,8
  • Sources : Insee, recensement de la population 2011, revenus fiscaux localisés ; Caf.

La situation est la plus favorable au sein de certains espaces périurbains de Lille et Arras (classe 1) : communautés de communes Pévèle-Carembault, des Weppes et Porte des Vallées. Ces territoires se caractérisent par des indicateurs économiques et sociaux plus favorables que dans le reste de la région mais aussi plus favorables qu’en France métropolitaine.

La situation est également plus favorable qu’au niveau régional autour d’Arras (communautés de communes du Sud-Artois, Osartis Marquion et de l’Atrébatie), dans l’arrière-pays boulonnais, ainsi que dans les Flandres (classe 2). Si le taux de chômage et la part de la population vivant avec des bas revenus sont plus favorables qu’au niveau national, la part des jeunes non insérés ( définitions ) apparaît plus élevée et le revenu médian plus faible.

Les territoires de la classe 3 se situent dans une position médiane à l’échelle régionale mais plus défavorable par rapport à la moyenne nationale. Ils incluent la Métropole européenne de Lille, la communauté urbaine d’Arras, la communauté d’agglomération de Cambrai et des territoires ruraux moins peuplés situés dans le département du Pas-de-Calais. Ce positionnement médian de la Métropole européenne de Lille et, dans une moindre mesure, de la communauté urbaine d’Arras masque toutefois de forts contrastes internes dans ces territoires où des espaces de richesse jouxtent des quartiers en difficulté.

Les difficultés sociales sont marquées dans le bassin minier, les villes du littoral, la Sambre-Avesnois et l’Audomarois (classe 4). Ces territoires regroupent plus d’un tiers de la population régionale. Les indicateurs sociaux y sont souvent plus défavorables que dans le reste de la région. Ainsi, plus d’un jeune sur trois de 18 à 25 ans n’est ni en emploi ni en formation tandis que les habitants disposent d’un revenu médian inférieur de 8 % à celui de l’ensemble des Nordistes.

Dans quatre territoires, la fragilité sociale des habitants est particulièrement prononcée : la communauté d’agglomération de Lens-Liévin, la communauté d’agglomération de Maubeuge Val de Sambre, la communauté d’agglomération du Calaisis et la communauté de communes du Sud Avesnois (classe 5). Avec près de 500 000 habitants, ces espaces regroupent une part substantielle de la population régionale. Dans ces territoires, la part des jeunes non insérés ( définitions ) s’élève à 38 % en moyenne et le chômage touche 22 % de la population active. Le revenu médian des habitants se situe très nettement en dessous de la médiane régionale (– 15 %) et nationale (– 25 %).

Des difficultés sociales amplifiées par la crise

Au cours des années 2000, le revenu fiscal médian a progressé de 1,1 % en moyenne chaque année dans la région, grâce en particulier à l’augmentation du taux d’emploi des femmes (69 % en 2011 contre 59 % en 1999). Cette évolution a été un peu plus soutenue qu’au niveau national (+ 1,0 %, figure 5 ). Cette amélioration masque néanmoins une augmentation des inégalités, plus marquée dans la région. Le revenu des ménages les moins aisés (1er décile) a diminué de 0,2 % par an en moyenne sur la décennie (contre + 0,6 % en France métropolitaine). Après la crise, la baisse du revenu des plus modestes a été plus accentuée : – 1,3 % en moyenne par an sur la période 2007-2011 dans la région, contre – 0,3 % en France métropolitaine. Ainsi, en 2011, 840 000 personnes vivent dans un ménage aux faibles revenus, soit 210 000 de plus qu’en 1999.

Autre conséquence de la crise économique de 2008-2009, la part des chômeurs dans la population active a augmenté, passant de 14,8 % en 2006 à 16,2 % en 2011. Cette hausse du chômage a été plus accentuée qu’au niveau national, alors que la région figurait déjà parmi les régions les plus touchées par le chômage avant la crise. L’ensemble des territoires de la région est impacté par cette hausse du chômage, de manière plus ou moins accentuée. Les jeunes de 18 à 25 ans éprouvent également davantage de difficultés, notamment en matière d’insertion professionnelle. Alors que la part de jeunes sortant sans aucun diplôme diminue et que la part des diplômés du supérieur augmente, 120 000 jeunes âgés de 18 à 25 ans ne sont ni en emploi ni en formation en 2011, soit 27 % d’entre eux. Ils étaient 109 000 en 2006 (23 % des jeunes).

Des territoires fragilisés par la crise

Dans la région, cinq profils de territoires se distinguent selon les trajectoires sociales qu’ils ont suivies entre 1999 et 2011 ( figures 3 et figures 4 ). Dans les territoires où les difficultés sociales étaient déjà très présentes en 1999, la crise a fragilisé davantage les populations les plus vulnérables. Ces territoires sont situés dans le bassin minier, la Sambre-Avesnois, et dans les espaces littoraux de Dunkerque, Calais et Boulogne (profils 4 et 5). Les difficultés face à l’emploi se sont accentuées, davantage qu’ailleurs dans la région après la crise, et les difficultés d’insertion des jeunes se sont renforcées. Parallèlement, la progression du revenu est souvent en retrait de la moyenne régionale. ( figure 5 ). Les disparités entre territoires sont fortes. Dans certains d'entre eux, comme la communauté d'agglomération du Calaisis, la progression des revenus est très faible. En revanche, elle est nettement plus vive dans d'autres, comme les communautés de com- munes de la région d'Audruicq, du Coeur de l'Avesnois et du Montreuillois.

Figure3Profil des territoires selon leurs trajectoires sociales entre 1999 et 2011

  • Sources : Insee, recensements de la population, revenus fiscaux localisés ; Caf.

Figure4Trajectoire moyenne des profils de territoires au cours des années 2000

  • Note : Les courbes présentées sur ce graphique correspondent aux valeurs moyennes pour les EPCI de chaque classe.
  • Sources : Insee, recensements de la population, revenus fiscaux localisés ; Caf.

Figure5Évolution des revenus entre 2002 et 2011

  • Source : Insee, revenus fiscaux localisés.

En particulier, cinq territoires en grande difficulté sociale en 2011 ont connu une évolution très peu favorable de leur situation (profil 5, figure 3 ) : communautés d’agglomération du Calaisis et de Saint-Omer, communautés de communes du Sud Avesnois, de la Région de Frévent, du Caudrésis et du Catésis.

Les communautés d’agglomération de Lens-Liévin et Maubeuge Val de Sambre, en grande difficulté en 2011 (classe 5 de la typologie 2011, figure 1 ), ont connu des trajectoires moins défavorables que les autres territoires de cette classe. Cependant, les difficultés étaient déjà très présentes en début de période et les évolutions n’ont pas modifié cette situation.

D’autres territoires ont connu des trajectoires peu favorables (profils 4 et 5, figure 3 ) sur la décennie mais se trouvent en 2011 dans une situation sociale analogue à la moyenne régionale (classe 3 de la typologie 2011, figure 1 ). Sur les territoires de Lille et Arras, malgré une trajectoire moins favorable qu’en région, les niveaux de revenus restent plus élevés en 2011. Les jeunes, plus souvent étudiants, connaissent moins de difficultés d’insertion qu’ailleurs dans la région. Sur les territoires des communautés de communes d’Opale Sud, du Montreuillois, de la Région d’Audruicq, les difficultés sont à l’inverse concentrées sur les populations jeunes. Dans les territoires situés entre l’Audomarois et le bassin minier (communautés de communes de la Morinie, Artois Flandre, Pays d’Aire) et au sud du Cambrésis (communauté de la Vacquerie), la part de population vivant avec un bas revenu a très fortement augmenté sur la décennie, mais reste en dessous de la moyenne régionale.

Certains territoires plutôt ruraux du Pas-de-Calais ont été très touchés par la crise (profil 3) : communautés de communes de l’Auxilois, des Sept Vallées, du Canton de Fruges, et des Vertes Collines du Saint-Polois. La communauté d’agglomération de Cambrai a connu une évolution analogue. Dans ces territoires, la part de jeunes non insérés, la part de la population vivant avec un bas revenu et la part des chômeurs dans la population active ont très fortement augmenté sur la période 2006-2011.

Des trajectoires plus favorables sur certaines zones

À l’inverse, deux groupes de territoires se caractérisent par des trajectoires plus favorables (profils 1 et 2). Ces territoires sont en 2011 dans des situations sociales relativement favorisées. Ainsi, le revenu médian des habitants a progressé vivement au cours des années 2000. La crise a également affecté ces territoires mais à un degré moindre : par exemple, la progression du nombre de chômeurs reste globalement contenue. Ces territoires se situent en Flandre intérieure, en périphérie des agglomérations lilloise et arrageoise, dans l’arrière-pays du Boulonnais, ainsi que dans l’espace situé entre le Valenciennois et l’Avesnois. Sur les territoires de Terre des deux Caps, Artois Lys, Pays Solesmois et Mer et terre d’Opale, les améliorations sont également présentes mais se traduisent par des difficultés analogues à la moyenne régionale en 2011.

Si ces deux groupes de territoires présentent des évolutions globalement analogues, deux éléments les distinguent. D’une part, les territoires du profil 1 ont connu une amélioration plus marquée de leur situation pendant la période antérieure à la crise. D’autre part, la part de la population vivant avec un bas revenu a progressé de façon très soutenue pour les territoires du profil 2, même si elle reste en deçà de la moyenne régionale en 2011.

Encadré partenarial

Cette étude a été réalisée en partenariat avec le Conseil départemental du Nord, le Conseil départemental du Pas-de-Calais et la DRJSCS Nord-Pas-de-Calais. Ont assuré le suivi partenarial : Paule Laidebeur, Marion Lefebvre (Conseil départemental du Nord), Emmanuel Grardel (Conseil départemental du Pas-de-Calais), Rosine Faure, Julien Kounowski, Nicolas Saenen, Adrien Sansone (DRJSCS).

Définitions

Part de jeunes non insérés : La part des jeunes non insérés est le rapport des jeunes de 18 à 25 ans qui ne sont pas élèves, étudiants ou stagiaires et n’ont pas d’emploi, à l’ensemble de la population âgée de 18 à 25 ans, au lieu de résidence des individus.

Revenu fiscal médian par unité de consommation (UC) : le revenu fiscal médian est le revenu qui divise la population en deux parties : la moitié de la population a un revenu fiscal inférieur au revenu fiscal médian et la moitié un revenu supérieur. Pour comparer les niveaux de vie de ménages de taille ou de composition différente, on utilise une mesure du revenu corrigé par unité de consommation à l’aide d’une échelle d’équivalence. L’échelle actuellement la plus utilisée retient la pondération suivante : 1 UC pour le premier adulte du ménage, 0,5 UC pour les autres personnes de 14 ans ou plus, 0,3 UC pour les enfants de moins de 14 ans.

Population vivant avec des bas revenus : elle est composée des allocataires CAF à « bas revenus », de leur conjoint ainsi que de leurs enfants et/ou des éventuelles personnes à charge de l’allocataire. Un allocataire est dit à « bas revenus » lorsque son revenu par unité de consommation est inférieur à 60 % du revenu médian par unité de consommation de la population de référence (soit 1 001 euros par mois en 2011). Le champ se limite aux foyers allocataires CAF dont l’individu de référence a moins de 65 ans, n’est ni agriculteur, ni étudiant, ne relève d’aucun régime spécial et dont le conjoint (s’il existe) a moins de 65 ans.

Taux de pauvreté : Le taux de pauvreté correspond à la proportion d’individus dont le niveau de vie est inférieur au seuil de pauvreté (défini comme 60 % du niveau de vie médian , soit 977 euros par mois et par unité de consommation en 2011). Même si les seuils de bas revenus et de pauvreté sont très proches, le taux de pauvreté et la part de la population vivant avec un bas revenu ne sont pas directement comparables.

Taux d’activité : le taux d’activité est le rapport entre le nombre d’actifs (actifs occupés et chômeurs) et l’ensemble de la population correspondante.

Taux d’emploi : le taux d’emploi est le rapport entre le nombre d’actifs ayant un emploi et l’ensemble de la population correspondante.

Pour en savoir plus

« Les espaces du Nord-Pas-de-Calais : Diagnostic et dynamiques – Tome 2 : Fascicules territoriaux », Insee Dossier Nord-Pas-de-Calais n° 3, Insee Nord-Pas-de-Calais, décembre 2014

« Près d’un Nordiste sur cinq vit sous le seuil de pauvreté », Insee Analyses Nord-Pas-de-Calais n° 7, Insee Nord-Pas-de-Calais, octobre 2014

« Connaître pour agir : des indicateurs au service des politiques sociales », Pages de Profils n° 92, Insee Nord-Pas-de-Calais, juin 2011