Les déplacements domicile-travail en transports en commun rendus difficiles par la périurbanisation
Le cœur du Sillon lorrain est traversé chaque jour par plus de 500 000 actifs, mais la concentration des emplois dans les villes et des populations en périphérie, conduit à un allongement des distances et des temps de transport. La distance moyenne entre le lieu de domicile des actifs et leur lieu de travail est de 16 km. Celle parcourue par les hommes est globalement supérieure de près de 8 km à celle des femmes. Par ailleurs, c’est pour les professions intermédiaires et les cadres qu’elle est la plus élevée. Ce modèle de développement basé sur la périurbanisation, où le coût et la qualité du logement priment dans le choix de localisation des ménages sur la desserte par les transports en commun, conduit à un usage prédominant de la voiture qui tourne à la dépendance, au risque d’exclure ceux qui en sont dépourvus.
- Des flux quotidiens intenses
- Emplois et actifs en ville et population en périphérie
- Ville/campagne : une interdépendance accrue
- Distanciation croissante entre résidence et travail
- Le périurbain attractif, même dépourvu de transports en commun
- Logements plus chers et moins adaptés dans les villes-centres
- Effet «autoroutes et voies rapides»
- Hausse du taux d’équipement automobile des ménages
- Méthodologie
Les mobilités domicile-travail sont parmi les principaux déplacements qui structurent les territoires. Ils constituent des flux forts, hétérogènes et sur de longues distances autour des zones urbaines. Ils témoignent d’une périurbanisation croissante. Les navettes, qui sont le quotidien des actifs, engendrent également un usage croissant et individuel de la voiture, qui va à l’encontre des volontés de promouvoir les transports collectifs et les modes de déplacement plus respectueux de l’environnement.
Des flux quotidiens intenses
Les zones de Metz-Thionville, de Nancy et d’Épinal constituent le cœur du Sillon lorrain. En 2010, elles regroupent 485 000 actifs occupés et 493 000 emplois (soit 50 % des actifs occupés et 57 % des emplois de la région). Les flux quotidiens y sont intenses. Ainsi, 177 000 actifs habitent et se déplacent chaque jour dans la zone de Metz-Thionville, 188 000 dans celle de Nancy et 38 000 dans celle d’Épinal.
Les flux entre ces trois zones sont cependant assez modestes. D’un côté, 6 800 actifs quittent chaque jour la zone de Nancy pour celle de Metz-Thionville, et 4 700 font le trajet inverse. De l’autre côté, 1 300 actifs partent de celle de Nancy pour celle d’Épinal, et 1 250 font l’inverse.
Au contraire, les échanges sont nombreux avec deux territoires extérieurs. D’une part, 69 000 personnes ne résidant pas dans le cœur du Sillon lorrain viennent y travailler quotidiennement, quand 31 000 actifs partent de cette zone pour travailler à l’extérieur. D’autre part, 28 000 travailleurs frontaliers, majoritairement de la zone de Metz-Thionville, se rendent chaque jour au Luxembourg.
Enfin, les échanges sont presque équilibrés, mais faibles avec l’Alsace (environ 1 300 flux par jour dans les deux sens) et minimes avec la Franche-Comté (environ 600 flux par jour dans les deux sens), et très déficitaires avec l’Île-de-France (2 800 sortants pour 800 entrants par jour).
Emplois et actifs en ville et population en périphérie
Entre 1999 et 2010, la place des zones de Metz-Thionville, de Nancy et d’Épinal comme pôles d’emplois prédominants de la région s’est renforcée. Ces zones ont en effet gagné ensemble 40 000 emplois (soit + 9 %), dont ont surtout profité la ville de Metz et la banlieue de l’agglomération nancéienne. Le reste de la Lorraine n’a créé que 6 500 emplois (soit + 2 %). De fait, 86 % des emplois créés dans la région en une décennie l’ont été dans ces trois zones. Dans le même temps, on y a recensé 44 000 actifs en plus (soit + 9 %), notamment dans la banlieue de l’agglomération messine et les deuxièmes couronnes de Metz et de Nancy.
La population y a enregistré une croissance moindre, avec seulement 21 000 habitants supplémentaires (+ 2 %). Les trois zones pâtissent notamment de la baisse de population dans six de leurs neuf villes-centres, à savoir Lunéville, Pont-à-Mousson, Toul, Metz, Remiremont et surtout Épinal, ainsi que dans la banlieue nancéienne. Cependant, les communes de deuxième couronne (communes hors agglomération) ont connu pour beaucoup de belles progressions démographiques, notamment autour de Metz et de Nancy.
Depuis une décennie se met ainsi en place un modèle où les emplois et les actifs, notamment les plus jeunes, se concentrent dans les espaces urbains (villes-centres ou leurs banlieues immédiates), alors que la population, notamment les jeunes familles, préfère s’installer à la périphérie.
Ville/campagne : une interdépendance accrue
L’interdépendance s’accroît alors entre ville et campagne, illustrée par le marché du travail et son évolution entre 1999 et 2010 dans les agglomérations de Metz, de Nancy et d’Épinal. Les 324 000 emplois proposés dans ces trois agglomérations sont occupés par 123 000 actifs qui n’y résident pas (soit 38 %). Parmi eux, 62 000 (soit 19 %) résident en deuxième couronne, et avec des effectifs en augmentation de 1 000 personnes par an au cours de la dernière décennie. Les deuxièmes couronnes constituent donc désormais un réservoir de main-d’œuvre essentiel pour les espaces urbains, qui eux-mêmes leur procurent des ressources financières indispensables.
Les zones urbaines servent de vivier de population aux communes de deuxième couronne. En effet, 6 500 urbains les quittent en moyenne chaque année pour emménager dans les deuxièmes couronnes. Pour celles-ci, cet apport de population venant de la ville proche, constituée pour une grande majorité de jeunes couples avec enfant(s), représente les deux tiers de leur apport migratoire. Le dernier tiers provient du reste de la région ou de la France, voire de l’étranger. Ces néo-ruraux conservent un attachement économique avec la ville qu’ils ont quittée : 70 % de ceux qui ont un emploi retournent y travailler chaque matin.
Toutefois, ce modèle de développement basé sur la périurbanisation entraîne une artificialisation des sols, une augmentation et un allongement des déplacements quotidiens qui induisent de véritables défis environnementaux.
graphiqueCarte1 – Emploi en hausse dans les agglomérations de Metz et de Nancy
graphiqueCarte2 – Population en hausse dans les deuxièmes couronnes de Metz, de Nancy et de Thionville
Distanciation croissante entre résidence et travail
En 2010, environ 71 % des actifs qui résident dans les zones de Metz-Thionville, de Nancy et d’Épinal travaillent en dehors de leur commune de résidence, contre 67 % en 1999.
De fait, en une décennie, la distance moyenne entre le lieu de domicile et le lieu de travail des actifs (hors travailleurs frontaliers) est passée de 14 km à 16 km. Elle est comprise entre 13 km et 17 km pour les actifs résidant dans les villes-centres et leurs banlieues, mais se situe entre 18 km et 20 km pour ceux qui habitent dans les communes de deuxième couronne. Pour ces derniers, le temps de trajet moyen (en heures pleines) nécessaire pour se rendre sur leur lieu de travail est alors de 21 minutes dans la zone d’Épinal, de 27 minutes dans celle de Nancy et de 28 minutes dans celle de Metz-Thionville.
Enfin, la distance moyenne parcourue par les hommes est en moyenne supérieure de près de 8 km à celle parcourue par les femmes. En outre, c’est pour les professions intermédiaires et les cadres qu’elle est la plus élevée (18 km et 24 km).
tableau1 – Cadres et professions intermédiaires parcourent les plus grandes distances
Distance moyenne domicile-travail | |
---|---|
Agriculteurs | 3,9 |
Indépendants * | 9,9 |
Employés | 11,5 |
Ouvriers | 14,7 |
Prof. intermédiaires | 18,3 |
Cadres | 23,8 |
- * Artisans, commerçants, chefs d'entreprise
- Champ : zones de Metz-Thionville, de Nancy et d'Épinal
- Source : Insee, recensement de la population 2010, distancier Odomatrix
graphique1 – Cadres et professions intermédiaires parcourent les plus grandes distances
Le périurbain attractif, même dépourvu de transports en commun
L’installation des actifs dans des secteurs de plus en plus éloignés de leur lieu de travail s’observe également à travers le contour des zones. Entre 1999 et 2010, celles-ci se sont ainsi étendues pour englober 127 communes supplémentaires comptant près de 50 000 habitants et 23 000 actifs. L’influence du marché du travail de Metz et de Nancy se renforce ainsi sur des communes pourtant distantes de 20 ou 30 km. Ce périmètre est de 10 ou 15 km dans le cas d’Épinal.
Toutefois, ces espaces gagnés par la périurbanisation sont rarement desservis par des services de transports en commun. Ainsi, les secteurs désormais prisés de Courcelles-Chaussy, de Delme et de Chambley-Bussières d’une part, d’Einville-au-Jard d’autre part, ne sont pas reliés par voie ferrée à Metz, à Nancy ou à Lunéville. Ils disposent au mieux de quelques bus suburbains. Les facteurs décisifs justifiant le choix des actifs de s’installer dans ces secteurs sont donc à chercher ailleurs.
graphiqueCarte3 – 127 communes gagnées récemment par la périurbanisation
Logements plus chers et moins adaptés dans les villes-centres
La stratégie résidentielle des ménages, notamment à l’arrivée de jeunes enfants, relève en partie des coûts liés au logement : prix du foncier et de l’immobilier, fiscalité locale, etc. Or le marché immobilier, si l’on ne retient que le seul critère financier, s’avère défavorable aux villes-centres. Ainsi à Metz, le prix d’achat d’un appartement de trois ou quatre pièces de moins de 100 m² est d’environ 1 900 euros le mètre carré dans l’ancien et 2 900 euros dans le neuf, soit 15 % à 20 % supérieur à celui pratiqué dans les communes environnantes, hors agglomération (source : Perval, transactions du 1er octobre 2010 au 30 septembre 2011). L’acquisition d’une maison ancienne de cinq pièces avec un terrain de 700 m² pour 190 000 euros dans les communes environnantes, hors agglomération, représente un budget équivalent à celui d’un appartement ancien de cinq pièces seulement en ville.
La qualité de l’habitat intervient sans doute également dans le choix des ménages, mais elle est plus difficile à mesurer. On peut tenter de l’approcher à partir du taux de logements vacants qui traduit en partie la concordance ou non entre l’offre et la demande. Ce taux est de 8 % ou 9 % dans chacune des zones de Metz, de Nancy et d’Épinal, soit un niveau identique à celui observé dans la région.
Toutefois, ce constat masque d’importantes disparités entre les 9 villes-centres où le taux de vacance est compris entre 10 % et 12 %, avec des pics à 14 % à Pont-à-Mousson et à 15 % à Remiremont, et les communes de banlieue et celles de deuxième couronne où il est généralement de 6 % ou 7 %.
Effet «autoroutes et voies rapides»
La présence d’infrastructures routières performantes est un autre élément à prendre en compte pour expliquer l’engouement des ménages pour les secteurs périurbains éloignés des villes.
L’effet «autoroutes et voies rapides» est ainsi assez visible sur l’axe Nancy-Épinal où la mise à 2 fois 2 voies de la RN57 il y a une vingtaine d’années a nettement facilité et raccourci les déplacements, en mettant le Bayonnais ou le Saintois à 20 minutes en voiture de l’entrée de l’agglomération nancéienne. Le même effet semble profiter aux secteurs de Courcelles-Chaussy et de Delme, à l’est de Metz.
La question de savoir si une nouvelle infrastructure routière anticipe la demande des ménages, l’accompagne ou l’encourage, reste toutefois difficile à trancher. Elle conduit en tout cas à la mise en place d’un mode de vie basé sur le «tout automobile», où le gain de temps compense l’augmentation de la distance. Et cette logique va au-delà des seuls déplacements domicile-travail mais concerne aussi l’accès aux équipements, aux services, aux loisirs, etc.
Hausse du taux d’équipement automobile des ménages
L’éloignement entre lieux de domicile et de travail implique pour les actifs d’avoir recours quotidiennement à un mode de transport. L’usage de la voiture, alors très largement plébiscitée, suppose au préalable d’en posséder une. Parmi les 510 000 ménages résidant dans les zones de Metz-Thionville, de Nancy et d’Épinal, 19 % n’ont pas de voiture, 48 % en possèdent une, et 33 % deux ou plus. Signe des temps, entre 1999 et 2010, la part des ménages sans voiture a baissé de 3 points, au profit de celle des ménages équipés de deux voitures ou plus.
Assez naturellement, la proportion de ménages sans voiture est particulièrement élevée (28 %) dans les villes-centres, et notamment à Nancy (37 %). À l’inverse, dans les communes de deuxième couronne, la proportion de ménages équipés de deux voitures ou plus est le plus fort (50 %), notamment autour de Metz-Thionville (59 %). C’est également dans la deuxième couronne de Metz-Thionville que l’on trouve le plus de ménages possédant 3 voitures ou plus (10 %).
La dépendance à l’automobile se double donc, dans les espaces périurbains, d’une sensibilité particulière au prix des carburants, dont l’évolution influe directement sur les capacités financières des ménages. On touche ici une des limites mêmes du périurbain pavillonnaire : l’obligation de multiples déplacements motorisés, sous peine d’être marginalisé.
tableau2 – Les ménages de 2ème couronne plus équipés en voitures
0 voiture | 1 voiture | 2 voitures et plus | dont 3 et plus | |
---|---|---|---|---|
Zone de Metz-Thionville | ||||
Villes-centres | 24 | 53 | 23 | 3 |
Banlieues | 17 | 47 | 36 | 6 |
2èmes couronnes | 6 | 35 | 59 | 10 |
Zone de Nancy | ||||
Villes-centres | 33 | 51 | 17 | 2 |
Banlieues | 20 | 51 | 29 | 4 |
2èmes couronnes | 10 | 42 | 48 | 7 |
Zone d'Épinal | ||||
Villes-centres | 26 | 54 | 20 | 2 |
Banlieues | 13 | 49 | 38 | 5 |
2èmes couronnes | 9 | 40 | 51 | 8 |
- Source : Insee, recensement de la population 2010
Méthodologie
Trois zonages ont été délimités pour cette étude :
- la zone de Nancy constituée des aires urbaines de Nancy, de Lunéville, de Pont-à-Mousson et de Toul ;
- la zone de Metz-Thionville constituée des aires urbaines de Metz, de Thionville et de Briey ;
- la zone d’Épinal constituée des aires urbaines d’Épinal et de Remiremont.
Pour en savoir plus
La tentation du bitume. Où s’arrêtera l’étalement urbain ? Éric Hamelin et Olivier Razemon, Édition Rue de l’échiquier, 2012.