Grenoble-Alpes Métropole : des signes de précarité urbaine dans les plus grandes communes

Élise Bernert, Axel Gilbert, Insee Rhône-Alpes

Grenoble-Alpes Métropole est une grande intercommunalité à l'économie dynamique. On y trouve moins de ménages en situation de fragilité qu'ailleurs, aussi bien en matière de pauvreté que de difficultés d'accès à un emploi de qualité. La population en situation précaire est géographiquement assez concentrée, notamment dans les quartiers d'habitat social, qui recouvrent largement les quartiers de la politique de la ville, mais aussi, dans une moindre mesure, dans le centre de Grenoble.

Insee Analyses Rhône-Alpes
No 21
Paru le :Paru le19/02/2015
Élise Bernert, Axel Gilbert, Insee Rhône-Alpes
Insee Analyses Rhône-Alpes No 21- Février 2015

40 000 ménages pauvres

La communauté d'agglomération de Grenoble, Grenoble-Alpes Métropole, est la plus grande intercommunalité de Rhône-Alpes après le Grand Lyon. Avec près de 440 000 habitants depuis son extension début 2014 (et l'intégration du balcon sud de Chartreuse et surtout de la communauté de communes du Sud Grenoblois, autour de Vizille), Grenoble-Alpes Métropole atteint également la taille critique pour avoir le statut de métropole. C'est un territoire au développement économique rapide, basé sur les industries de pointe, la recherche et l'enseignement supérieur. Le revenu moyen des habitants est inférieur à celui du Grand Lyon, mais les indicateurs de précarité y sont plus bas, qu'il s'agisse de la précarité financière, des difficultés liées à l'accès à l'emploi ou des fragilités familiales. Pour autant, l'agglomération de Grenoble n'est pas exempte de ménages en situation de précarité ; près de 40 000 sont en dessous du seuil de bas revenus, et le taux de chômage dépasse 10 %. Comme dans toutes les villes, ces situations ne sont pas également réparties dans le territoire et ont tendance à se concentrer dans certaines communes et certains quartiers, qui vont parfois au-delà des quartiers de logement social et des quartiers ciblés par la politique de la ville.

Les ménages précaires entre Grenoble et les communes du sud de l’agglomération

Les ménages en situation de précarité sont plus nombreux dans le sud de l'agglomération, spécialement dans les communes situées sur la rive droite du Drac. Cela inclut Grenoble, où vivent la moitié des allocataires de minima sociaux de la métropole, et la moitié des ménages vivant en dessous du seuil de pauvreté. Mais à Grenoble vivent aussi des ménages des classes moyennes, des cadres et des hauts revenus : au niveau communal, on constate donc une mixité sociale qui s'avère moins visible si l'on procède à une analyse au niveau des quartiers.

Au sud de Grenoble, Échirolles est la commune qui cumule le plus d'indicateurs de précarité. On n'atteint toutefois pas les mêmes concentrations de ménages à bas revenus ou de ménages dépendants des aides de la CAF qu'à Vénissieux ou Firminy par exemple. Échirolles est aussi la commune qui compte la plus forte densité de logements sociaux : 35 % du parc des résidences principales. Elle prend place parmi un ensemble de communes à dominante populaire qui va de Pont-de-Claix à Saint-Martin-d'Hères en passant par Eybens (dans une moindre mesure), en lien avec un taux de logements sociaux qui, pour chacune, dépasse la moyenne de Grenoble-Alpes Métropole. À Saint-Martin-d'Hères, on trouve également une large population étudiante souvent confrontée à des situations particulières de précarité : faibles revenus (bourses, familles, …) éventuellement complétés par des emplois à temps partiel. Cette population coexiste avec des adultes peu qualifiés pour lesquels les difficultés d'accès à l'emploi sont plus persistantes.

Figure_1La majorité des ménages précaires vit entre Grenoble et Échirolles

  • Sources : Insee, Recensement de la population 2009, Pôle emploi 2011, Revenus fiscaux 2011, CAF 2012

Sur la rive gauche du Drac, les communes sont plus aisées à l'exception de la plus peuplée d'entre elles, Fontaine. Cette commune se distingue par son taux élevé de précarité familiale (familles nombreuses à bas revenus). À moindre titre, Saint-Martin-le-Vinoux est également une commune qui appelle à la vigilance sociale. Toutes les communes de la métropole présentent quand même deux signes encourageants : une relative mixité sociale et un maintien démographique qui évite les cas manifestes de déshérence urbaine.

Dès qu'on s'éloigne un peu plus du centre grenoblois, le niveau de vie moyen augmente en même temps que le paysage urbain devient plus pavillonnaire ; c'est typiquement l'espace de l'accession à la propriété des classes moyennes, de l'homogénéité sociale. Les communes en limite de Chartreuse sont même plus aisées ; ainsi, Corenc est la première commune de Rhône-Alpes par le revenu fiscal moyen de ses ménages.

Vizille est un cas à part. Quoiqu'elle ait été rattachée à la métropole en janvier 2014, elle est dans une position périphérique, en dehors de l'unité urbaine de Grenoble, et forme un petit pôle économique secondaire. Son économie, comme celle de la plupart des villes moyennes, est moins prospère, plaçant ses habitants dans une situation moins favorable vis-à-vis de l'emploi. Par exemple, un quart des salariés y sont à temps partiel. La population de Vizille est également plus âgée.

Des quartiers contrastés

Les constats communaux masquent naturellement des réalités plus diverses au sein des communes ; elles peuvent être appréhendées avec une cartographie plus fine. On voit alors apparaître des quartiers plus homogènes socialement. Parmi ces quartiers, on caractérise des territoires de concentration des situations précaires, qui correspondent bien souvent aux quartiers de la politique de la ville et à une pauvreté urbaine typique de l'habitat en logement social. Même si, comme dans le centre dense de Grenoble, la situation mérite d'être nuancée.

Trois grandes zones de précarité du Pont-de-Claix à Saint-Martin-d’Hères

Trois grands quartiers se distinguent à la fois par le cumul des signes de précarité et par une densité de population importante. Il y a d'abord la Villeneuve, vaste ensemble de cités HLM à cheval entre Échirolles et Grenoble. Les signes de précarité, notamment monétaire, y sont manifestes, mais ils dépassent les limites du quartier. C'est quasiment sur l'ensemble de la commune d'Échirolles que l'on trouve des concentrations de familles à bas revenus, à l'exception des quartiers résidentiels de la Commanderie.

Figure_2Des espaces de précarité au sud-est de la ville

  • Sources : Insee, Recensement de la population 2009, Pôle emploi 2011, Revenus fiscaux 2011, CAF 2012

Presque dans la continuité de la Villeneuve, le quartier de Teisseire présente des caractéristiques similaires, avec une surreprésentation des ouvriers non qualifiés, des salariés à temps partiel, des familles nombreuses, des bénéficiaires des minima sociaux. Dans ce cas également, la précarité dépasse les limites strictes du quartier pour dessiner une zone plus floue, qui inclut une portion de Saint-Martin-d'Hères.

Enfin, un territoire pratiquement continu s'étend sur la rive droite du Drac, qui englobe le quartier "Viscose" à Échirolles (historiquement une des premières cités ouvrières de l'agglomération grenobloise), la Luire, les Îles de Mars et la cité Olympiades à Pont-de-Claix ; ici aussi, il s'agit à la fois de précarité monétaire, d'emploi et de fragilités familiales, dans des logements principalement sociaux.

Figure_3Précarité monétaire : dans les quartiers HLM

  • Sources : Insee, Recensement de la population 2009, Pôle emploi 2011, Revenus fiscaux 2011, CAF 2012

D’autres poches de précarité autour de Grenoble

À Fontaine, les situations de précarité semblent étendues à l'ensemble de la commune. La précarité monétaire frappe, comme ailleurs, les quartiers de logements HLM (Cuire et Romain Rolland) mais la précarité de l'emploi est plus diffuse et plus élargie, touchant aussi bien le centre ancien que les quartiers périphériques. Une importante opération de rénovation urbaine (dans le quartier de la Saulne) vise à modifier la structure de la population et à augmenter la mixité sociale.

Sur la rive droite de l'Isère, seule la Buisseratte à Saint-Martin-le-Vinoux présente des signes de difficultés sociales. En dehors de ce petit quartier, on retrouve surtout un peuplement rendu plus diffus par le relief naturel et une population aisée, généralement en habitat individuel.

Enfin, à Vizille, les ménages fragiles vivent dans le centre de la ville plutôt que dans les bourgs environnants. Pour une commune de cette taille, la politique sociale urbaine n'a pas le même sens que dans le cœur de l'agglomération. L'intégration de Vizille et des communes voisines dans l'espace plus vaste et plus urbain de la métropole est donc porteuse de nouveaux enjeux.

Figure_4La précarité de l’emploi s’étend au sud de l’agglomération

  • Sources : Insee, Recensement de la population 2009, Pôle emploi 2011, Revenus fiscaux 2011, CAF 2012

Centre de Grenoble : ménages de petite taille en difficulté et mixité sociale

Grenoble présente un profil plus complexe, comme c'est souvent le cas des centres d'agglomération. On y retrouve d'abord la précarité urbaine typique des grands ensembles de logement sociaux à la Villeneuve, au village Olympique, à Teisseire, mais aussi dans deux quartiers plus petits : le Mistral à l'ouest et Notre-Dame au nord.

Il y a également dans le centre de Grenoble des zones de précarité (monétaire ou d'accès à l'emploi) plus diffuses. Elles sont situées dans le centre ancien mais aussi de part et d'autre du cours Berriat. Au sein de logements de petite taille, la population précaire est surtout composée de personnes seules, comprenant des étudiants, des jeunes actifs, des travailleurs pauvres et des personnes âgées isolées. En revanche, les familles avec enfants y sont rares. Le parc de logements, en majorité du locatif privé dont une partie se trouve dans un état médiocre, nécessite la mise en œuvre de politiques urbaines et sociales multiples. Finalement, le centre héberge une population diversifiée, les moins favorisés partageant l'espace avec des ménages sans difficulté, dans une forme de mixité sociale courante au sein des centres villes.

Onze indicateurs retenus pour caractériser la précarité dans les carreaux

Quatre sources sont mobilisées dans cette étude : les données du Recensement de la population (RP 2009), des caisses d'allocations familiales (CAF 2012), de Pôle emploi (Pôle emploi 2011) et des revenus fiscaux localisés (RFL 2011). Pour les données CAF, les étudiants et les personnes de plus de 65 ans n'ont pas été pris en compte lors de l'utilisation du champ "revenu".

Le score composite est constitué de 3 sous-thèmes dont chacun contribue pour un tiers au score final. Le score final est compris entre - 18 et + 18.

Précarité monétaire :

Part des ménages vivant sous le seuil de bas revenus (le revenu médian par unité de consommation est fixé à 982 euros en 2011 - RFL 2011),

Part des allocataires CAF touchant un minimum social (RSA socle ou AAH - CAF 2012),

Part des ménages dépendant à plus de 50 % des aides sociales (champ revenu - CAF 2012).

Précarité liée à l’emploi :

Part des actifs ayant un emploi sans diplôme (RP 2009),

Part des jeunes de 15 à 24 ans inactifs ou chômeurs (RP 2009),

Part des chômeurs de catégorie A parmi les actifs du RP (Pôle emploi 2011 et RP 2009),

Part des chômeurs à basse qualification (Pôle emploi 2011),

Part des chômeurs de plus d'un an (Pôle emploi 2011).

Fragilités familiales :

Part des ménages constitués d’une personne seule de 75 ans et plus (RP 2009),

Part des familles monoparentales (RP 2009),

Part des familles à bas revenu ayant 3 enfants et plus (champ revenu - CAF 2012).

La précarité dans les trois grandes agglomérations de Rhône-Alpes

Saint-Étienne Métropole est en situation de précarité plus grande que les deux autres agglomérations. Le Grand Lyon est dans une situation intermédiaire. Grenoble-Alpes Métropole est dans une situation plus favorable.

Sur 11 indicateurs retenus pour calculer le score, l’agglomération de Saint-Étienne est en situation plus défavorable sur 9 d’entre eux. Inversement, Grenoble compte les plus faibles taux de chômage ou de pauvreté. Toutefois, c’est dans le Grand Lyon qu’on compte la plus forte proportion de jeunes de 15 à 24 ans inactifs.

Cette situation générale cache des disparités au niveau des communes, plus importantes dans le Grand Lyon. Quatre des communes les plus en difficulté sont dans l’agglomération de Lyon : Vaulx-en-Velin, Saint-Fons, Vénissieux et Givors. La Ricamarie et Échirolles (respectivement banlieues de Saint-Étienne et de Grenoble) concentrent également les difficultés économiques et sociales.

Figure_5Une situation de plus grande précarité à Saint-Étienne

Définitions

Cette étude vise à identifier des espaces de concentration de précarité au sein d'une l’agglomération en s’affranchissant des découpages existants (périmètres communaux, Iris, quartiers de la politique de la ville). Son objectif n'est pas de délimiter des périmètres précis. Les trois principales agglomérations de Rhône-Alpes (Lyon, Saint-Étienne et Grenoble) sont traitées simultanément selon la même méthode.

1. Mobilisation de données statistiques localisées à l'adresse. Ces données sont agrégées sur une grille de carreaux de 200 m sur 200 m. Cette méthode permet de mettre en évidence les zones où les caractéristiques étudiées sont plus ou moins présentes.

2. Synthétisation des onze indicateurs retenus, afin d'identifier les espaces cumulant les indices de précarité. Un calcul est effectué pour chaque carreau en affectant un score pour chaque indicateur puis en additionnant les valeurs observées : de + 2 (très forte présence de la population étudiée) à - 2 (très faible présence). Ainsi, plus le total est élevé pour un carreau, plus les signes de précarité sont nombreux.

3. Cartographie de cet indicateur composite de précarité par carreau afin de visualiser les espaces de précarité, avec une déclinaison par thème : précarité monétaire, précarité liée à l'emploi et familles en difficulté.

Les calculs, pour définir la "forte" ou "faible" présence, sont effectués par rapport à la moyenne des communes de l’agglomération. De ce fait, certaines communes ou certains quartiers ne sont concernés par aucun espace de précarité identifié, ce qui ne signifie pas pour autant que les disparités sociales n'existent pas. Par ailleurs, la méthode ne prend pas en compte les personnes sans logement, qui par définition ne peuvent pas être localisées.

Pour en savoir plus

Publications :

"Précarité dans le Grand Lyon : vers une réduction mais plus de concentration", Insee Rhône-Alpes, Insee Analyses Rhône-Alpes n° 22, février 2015

"Saint-Étienne Métropole : la précarité concentrée dans les centres villes", Insee Rhône-Alpes, Insee Analyses Rhône-Alpes n° 20, février 2015

"Rhône-Alpes : de bonnes conditions de vie mais avec de fortes disparités entre territoires", Insee Rhône-Alpes, La Lettre Analyses n° 178, octobre 2012

"Précarité dans l’agglomération de Grenoble : pas uniquement dans les zones urbaines sensibles", Insee Rhône-Alpes, La Lettre Analyses n° 99, novembre 2008