Élargissement des réseaux de villes en Nord-Pas-de-Calais

Arnaud Degorre

L’intensification des déplacements redessine la géographie des territoires du Nord-Pas-de-Calais. Au-delà de la concentration spatiale des populations et des activités, la place prise par une ville au sein d'un ensemble territorial dépend de sa capacité à entrer en relation avec d'autres villes pour s'articuler à un réseau urbain. Les mobilités alternantes réalisées par les actifs entre leur lieu de résidence et leur lieu de travail sont une dimension clé dans la constitution de cette géographie réticulaire. Le réseau lillois est à la fois le plus vaste et le plus complexe de la région : il a élargi son influence au cours des dernières décennies jusque dans les Flandres et le bassin minier, tout en accroissant ses relations avec les espaces plus éloignés. Il pourrait, à l'avenir, également polariser le système local des villes du Douaisis. Le réseau arrageois s'intensifie autour de sa ville-centre tout en étant en connexion directe avec Lille. Le réseau des villes du littoral a vu son intégration se renforcer progressivement tandis que dans le Hainaut, le fonctionnement reste assez fragmenté.

Insee Analyses Nord-Pas-de-Calais
No 6
Paru le :Paru le21/10/2014
Arnaud Degorre
Insee Analyses Nord-Pas-de-Calais No 6- Octobre 2014

Fruit des modalités d’organisation des territoires, les mobilités des personnes reflètent l’espace dans lequel elles se déroulent, tout autant qu’elles le façonnent. Déchiffrer l’organisation spatiale des déplacements de personnes est une clé d’entrée pour comprendre la structuration d’un territoire. En particulier, les migrations alternantes des ménages entre leur lieu de résidence et leur lieu d’activité professionnelle témoignent de la transformation des structures urbaines. Autrefois largement ramassées à l’échelle d’une agglomération, selon des relations de proximité entre les centres productifs et les centres résidentiels, les mobilités alternantes dessinent désormais des systèmes complexes, qui superposent aux déplacements de proximité des déplacements de longue distance entre agglomérations. La hiérarchie des réseaux de villes qui s’en dégage reflète leur attractivité économique et le dynamisme de leur marché du travail, ainsi que les relations et complémentarités entre les différents centres. La présente étude vise à restituer les changements qui se sont opérés entre 1975 et 2010 dans la morphologie des réseaux urbains du Nord-Pas-de-Calais, au regard des mobilités alternantes des populations actives.

Un fonctionnement initialement fragmenté

Région présentant une urbanisation ancienne, le Nord-Pas-de-Calais a la particularité de disposer d’une armature multipolaire, avec en son cœur une agglomération particulièrement dense, autour de Lille, Villeneuve d’Ascq, Roubaix et Tourcoing, un continuum urbain de densité intermédiaire le long de l’ancien bassin minier, de Béthune à Valenciennes en passant par Lens et Douai, des polarités sur le littoral avec Dunkerque, Calais et Boulogne, puis des îlots urbains avec une attractivité plus ou moins élargie, comme pour Arras, Cambrai ou Maubeuge. Jusqu’au début des années 1970, chacun de ces ensembles territoriaux présente un fonctionnement relativement autonome du point de vue du marché du travail, voire un fonctionnement fragmenté, comme sur l’ancien corridor minier ou sur le littoral.

Apparition de pôles majeurs depuis quatre décennies

L’intensification des mobilités alternantes a, depuis, considérablement modifié cette géographie. En 1975, pour 1 342 000 personnes en emploi résidant et travaillant en Nord-Pas-de-Calais, près de 663 000 personnes, soit 49%, changent de communes pour se rendre sur leur lieu de travail. En 2010, cette proportion atteint 70%, soit 1 023 000 navetteurs sur un total de 1 463 000 actifs en emploi. L’accroissement des mobilités s’est pourtant concentré sur un nombre limité de centres économiques. En 1975, les dix principaux centres économiques de la région polarisaient, outre les actifs résidant dans les communes en question, près de 225 000 navetteurs, qui le plus souvent habitaient dans l’agglomération associée au centre productif. En 2010, les dix principaux centres économiques attirent 323 000 navetteurs. Parmi ces derniers, se trouvent en particulier, par ordre décroissant de flux de navetteurs, Lille, Villeneuve d’Ascq, Roubaix, Valenciennes, Dunkerque, Douai et Arras, qui constituent les « nœuds » économiques avec une influence majeure sur les réseaux de villes du Nord-Pas-de-Calais.

Le réseau lillois, multipolaire et multiscalaire, en nette expansion

Le premier système métropolitain de la région, déjà largement développé en 1975, est structuré autour de la ville de Lille. Cette dernière a d’ailleurs vu son influence métropolitaine se renforcer : en 1975 elle attirait 78 600 navetteurs venus de villes voisines, et 104 000 en 2010, avec un allongement progressif des distances parcourues dans les mobilités domicile-travail. Le système métropolitain établi autour de Lille a toutefois la particularité d’être multipolaire (figure 1 et figure 2). Il compte ainsi, aux côtés du centre lillois, d’autres pôles principaux avec une importante force d’attraction. Certains ont connu une stabilité relative comme Roubaix (de 31 700 à 30 700 navetteurs entre 1975 et 2010) ou comme Tourcoing (16 100 à 17 200 navetteurs, hors frontaliers, entre 1975 et 2010), quand d’autres ont connu une croissance reflétant la montée en puissance de leur fonction économique, comme Villeneuve d’Ascq, encore ville nouvelle en 1975 avec 6 400 navetteurs, contre 39 000 navetteurs en 2010.

Le réseau lillois est en outre multiscalaire (figure 3). D’une part, il s’appuie sur des pôles secondaires, qui eux-mêmes ont une fonction locale structurante et permettent au système métropolitain d’élargir son influence vers les Flandres et l’ancien bassin minier. Ainsi, dans les années 90, Armentières rejoint le réseau lillois et polarise à son tour plusieurs communes environnantes (La Chapelle d’Armentières, Houplines, Nieppe) ; de même, Hénin-Beaumont, du fait de l’accessibilité par l’autoroute A1, voit sa connexion s’accroître avec le cœur lillois et attire localement des navetteurs voisins (Montigny-en-Gohelle, Noyelles-Godault). En 2010, l’aire d’influence du système lillois s’est principalement élargie en direction de l’ancien bassin minier, de sorte que la ville de Lens, encore centre d’un réseau distinct en 1990, se trouve à son tour rattachée au réseau métropolitain, avec dans son sillage les communes de Liévin, Avion, Loos-en-Gohelle... D’autre part, le réseau lillois est en interaction avec d’autres réseaux de villes à l’échelle régionale. Déjà en 1975, les échanges directs de Douai vers Lille sont notables. Ils se sont largement accrus depuis. D’autres connexions sont apparues, avec Dunkerque, Valenciennes et Arras. Les mobilités observées constituent autant de « passerelles » reliant le réseau métropolitain lillois à d’autres systèmes urbains, eux-mêmes en recomposition.

Ainsi, l’intégration des espaces urbains locaux dans une dynamique métropolitaine est engagée pour les réseaux établis autour de Douai d’une part, d’Arras d’autre part. Dans l’Artois, les navettes s’intensifient autour d’Arras, qui accueille 24 200 navetteurs en 2010 contre 15 300 en 1975 ; la mise en relation directe entre Lille et Arras, encore marginale il y a quelques décennies, est désormais significative. Dans le Douaisis, les évolutions à l’œuvre signalent une recomposition d’un réseau qui semble de plus en plus attiré vers le système métropolitain lillois, tout en disposant encore d’une attractivité locale d’importance.

Figure1Des réseaux de villes nombreux, aux côtés du réseau lillois...

  • Source : Insee, recensement de la population 1975

Figure2... dont l’influence s’élargit au fil des décennies

  • Source : Insee, recensement de la population 2010

Figure3Le réseau lillois s’étend vers les Flandres et l’ancien arc minier

  • Source : Insee, recensements de la population 1975, 1990 et 2010

Mise en relation des agglomérations du littoral

Sur le littoral, les agglomérations de Dunkerque et Calais ont été les premières à atteindre une intensité des liens à même de donner naissance à un réseau de villes (figure 1 et figure 2). Aux relations de proximité déjà développées en 1975 entre Dunkerque et Coudekerque-Branche d’une part, Calais et Marck d’autre part, se sont ajoutés en 1990 des échanges croissants avec Gravelines, sous l’influence croisée des deux agglomérations. Boulogne, dont le fonctionnement était d’abord dissocié en raison de son relatif éloignement, a ensuite rejoint le réseau de villes du littoral, qui s’est également étendu au cours des dernières décennies en direction de l’arrière-pays (figure 4). Tout en étant sous l’influence des agglomérations du littoral, Saint-Omer n’est pas relié de façon univoque à un seul système métropolitain : en effet, les connexions de la ville-centre de l’audomarois sont disséminées vers une pluralité de villes, tant sur son versant Ouest avec Boulogne, Calais et Dunkerque, que sur son versant Est avec Hazebrouck, Armentières ou encore Béthune. De la sorte, il constitue un territoire-pivot, en interface avec plusieurs réseaux de villes.

Figure4Le réseau du littoral s’est progressivement constitué

  • Source : Insee, recensements de la population 1975, 1990 et 2010

Hainaut, Cambrésis, Maubeugeois : des réseaux de villes encore distincts

Le système de villes du Hainaut a connu une relative stabilité de son armature au cours des dernières décennies. Appuyé sur Valenciennes pour polarité principale, il a vu son influence s’affaiblir en lien avec les difficultés économiques structurelles de Denain, polarité secondaire du système. Auparavant centre d’emploi avec d’importantes mobilités en provenance d’Escaudain et Douchy-les-Mines (figure 1), Denain a enregistré la plus forte décroissance des migrations alternantes parmi les pôles de la région, passant, en 1975, de 10 000 navetteurs venus de communes voisines pour y travailler (soit le 11e rang régional) à 5 600 navetteurs en 2010 (soit le 31e rang régional). À l’inverse, le système du Hainaut semble s’être renforcé dans la liaison entre Valenciennes et Saint-Amand-les-Eaux. À proximité du réseau des villes du Hainaut, d’autres ensembles urbains présentent un fonctionnement principalement monocentrique, autour de Cambrai avec Proville et Caudry, autour de Maubeuge avec Feignies, Louvroil et Hautmont, sans disposer d’interactions directes entre les villes centres des agglomérations susceptibles de les rattacher dans un système plus vaste.

Vers une extension du système métropolitain jusqu’au Douaisis ?

Une simulation prospective des réseaux de mobilité alternante en Nord-Pas-de-Calais permet d’examiner des évolutions possibles des systèmes métropolitains dans la région. Dans l’hypothèse d’une évolution des mobilités des navetteurs sur la période 2010-2030 prolongeant la trajectoire observée sur la période 1990-2010, le réseau lillois verrait son importance relative s’accroître, avec un élargissement de sa zone d’influence ( figure 5 ). Il regrouperait près de 90 communes reliées entre elles par des flux alternants de ville à ville de plus de 400 actifs, contre un ensemble de près de 60 communes en 2010. Cette extension du réseau résulterait de l’adjonction du système de villes constitué autour de Douai, signe d’une intégration progressive de l’ancien corridor minier à la métropole lilloise.

Figure5Un renforcement des liens entre le Douaisis et le réseau lillois ?

  • Source : Insee, recensements de la population 1990, 2010 ; simulation en 2030

L’évolution du réseau des villes du littoral apparaît moins intégrée. Le repli démographique des agglomérations de Dunkerque, Calais et Boulogne, observé sur les dernières décennies, limite l’essor potentiel des connexions entre villes. Ainsi, tout en comptant davantage de communes de l’arrière-pays, dont la fonction résidentielle se renforce du fait du mouvement de périurbanisation, les villes de Dunkerque, Calais et Boulogne n’auraient qu’une évolution mesurée des mobilités inter-agglomérations, voire reviendraient à une organisation clivée du littoral en sous-systèmes, autour de Dunkerque-Calais d’une part, Boulogne d’autre part. De la même façon, le réseau des villes du Hainaut n’a pas connu une dynamique démographique à même de donner lieu, en prolongeant ces tendances, à une intégration prospective des systèmes locaux de Cambrai et Maubeuge au système principal de Valenciennes. Les évolutions des réseaux de villes, loin de se limiter aux tendances démographiques, découleront cependant des trajectoires économiques des territoires, ainsi que des coopérations institutionnelles susceptibles de se mettre en place. Les démarches de coopérations métropolitaines, à l’instar de la Métropole européenne de Lille, de l’association Aire Métropolitaine de Lille, du Pôle Métropolitain Littoral ou du projet de Pôle Hainaut-Cambrésis, sont susceptibles d’infléchir les dynamiques à l’œuvre, en direction d’une plus grande intégration des réseaux de villes de la région.

Définitions

Les résultats sont issus des recensements de la population de 1975, 1990 et 2010, sur la base des déplacements entre commune de résidence et commune de travail en Nord-Pas-de-Calais déclarés par les personnes actives occupées. Les liens entre communes sont pris en compte dès lors que les migrations alternantes dépassent le seuil de 400 navetteurs. Ces liens sont dits orientés : la connexion entre les communes A et B est étudiée de façon distincte de A vers B et de B vers A.

L’identification des réseaux de villes est effectuée selon une méthode d’analyse de graphe. Chaque ville est assimilée à un « nœud », relié ou non à d’autres nœuds en fonction de l’importance des mobilités alternantes observées. Les réseaux de villes sont identifiés sous la forme de « communautés » de nœuds, à travers l’examen des liens selon l’algorithme de Girvan-Newman. Ce dernier, fondé sur une méthode itérative qui simule la suppression de connexions, s’appuie en particulier sur l’identification des liens susceptibles de constituer des passerelles entre communautés.

L’analyse rétrospective des réseaux a été constituée à géographie constante, en retenant la période 2010 pour référence. Ainsi, les fusions de communes, comme Lomme et Lille en 2000, Saint-Pol-sur-Mer, Fort-Mardyck et Dunkerque en 2010, ont été reconstituées de façon rétroactive pour étudier le réseau de mobilité en 1975 et 1990. L’analyse prospective des réseaux s’appuie sur l’évolution observée des navettes domicile-travail entre 1990 et 2010, prolongée au même rythme jusqu’en 2030 sur l’ensemble des mobilités, pour identifier ensuite les flux de communes à communes dépassant le seuil de 400 navetteurs. Cette simulation prospective, conduite à titre illustratif, ne prend donc pas en compte d’éventuelles mutations démographiques (comme le vieillissement), économiques (comme l’essor de l’emploi) ou urbaines (comme la congestion des transports), pouvant s’appliquer différemment selon les communes.

Pour en savoir plus

« Ouvrir dans un nouvel ongletLes systèmes urbains français », Synthèse, DATAR, Travaux en ligne n°10, 2012.

« Ouvrir dans un nouvel ongletDes systèmes spatiaux en perspective », Territoires 2040 n°3, La Documentation française, DATAR, 2012.

« Les systèmes territoriaux en Nord-Pas-de-Calais : une région façonnée par les déplacements », Pages de Profils n°155, Insee Nord-Pas-de-Calais, avril 2014.

« Les espaces du Nord-Pas-de-Calais - trajectoires, enjeux et devenir, Connexions et interdépendances », Dossier de Profils n°110, Insee Nord-Pas-de-Calais, octobre 2012.