Insee PremièreEn trente ans, les consommateurs ont un peu réduit leurs émissions de gaz à effet de serre

Aurélien Poissonnier et Benoît Trinquier, département des Comptes nationaux, Insee

Entre 1980 et 2010, les ménages ont réduit leurs émissions par tête de gaz à effet de serre (GES) liées à l’automobile et au logement : de 2,9 à 2,5 tonnes d’équivalent CO2 par an et par personne. Alors que leurs émissions liées au transport individuel ont légèrement progressé, cette baisse résulte d’un recul des émissions liées au logement, principalement du fait d’un report vers des combustibles moins émetteurs de GES. De fait, des changements importants ont modifié le panier des combustibles consommés : abandon du charbon, préférence pour le gaz par rapport au fioul, diésélisation du parc automobile, interdiction du super plombé et développement des biocarburants. Pour le logement, les fluctuations des émissions de GES dépendent principalement des aléas climatiques. Pour le transport individuel, elles dépendent surtout des mutations du parc automobile et plus modérément des variations du prix des carburants.

Aurélien Poissonnier et Benoît Trinquier, département des Comptes nationaux, Insee
Insee Première No 1445- Avril 2013

Chaque année, la consommation des ménages en combustibles génère 2,5 tonnes d’équivalent CO2 par personne

En 2005, l’activité économique sur le territoire français a généré 6,7 tonnes d’émissions de dioxyde de carbone (CO2) par habitant (bibliographie). Cette même année, notre demande intérieure a généré 9,0 tonnes de CO2 par habitant : ce chiffre tient compte des émissions induites à l’étranger par nos importations, alors qu’il exclut symétriquement celles induites en France par nos exportations. Les émissions de CO2 générées par notre demande intérieure proviennent pour les trois quarts de la consommation finale des ménages, en premier lieu dans le domaine du logement, des transports et de l’alimentation.

En se restreignant à la seule consommation des ménages en combustibles (charbon, fioul, gaz naturel, essence…), mais en étendant ses conséquences à l’ensemble des visés par le protocole de Kyoto, cette consommation a généré en moyenne 2,5 par an et par personne entre 2005 et 2010. Ce montant moyen est inférieur à celui observé dans la première moitié des années 1980 (2,9 tonnes, graphique 1). Toutefois, en raison de l’augmentation de la population, les émissions totales générées par l’ensemble des ménages ont à peine diminué, passant de 161 millions de tonnes d’équivalent CO2 par an entre 1980 et 1985 à 159 millions de tonnes entre 2005 et 2010.

Graphique 1Émissions de gaz à effet de serre issues de la consommation des ménages en combustibles, par personne

  • Champ : France.
  • Source : Insee, Comptes nationaux.

Début des années 1980 : des émissions majoritairement liées au chauffage

Durant la première moitié des années 1980, sur les 2,9 tonnes d’équivalent CO2 émises chaque année par les ménages, du fait de leur consommation de combustibles, 59 % étaient liées au logement, pour son chauffage notamment, et 41 % au transport individuel (tableau 1). Le logement contribuait alors plus fortement aux émissions de GES (59 %) qu’il ne pesait dans les dépenses des ménages en combustibles (43 %). En particulier, le charbon générait encore 14 % des émissions alors qu’il ne représentait plus que 2 % des dépenses. À l’inverse, l’essence plombée, utilisée largement pour les transports individuels, contribuait moins aux émissions de GES (38 %) qu’elle ne pesait dans les dépenses des ménages (53 %).

Tableau 1Consommation des ménages en combustibles et émissions globales de gaz à effet de serre associées

Consommation des ménages en combustibles et émissions globales de gaz à effet de serre associées
Combustible Moyenne annuelle (période 1980-1985) Moyenne annuelle (période 2005-2010)
Consommation Émissions de GES* Consommation Émissions de GES*
en € par personne en % en kg d’équivalent CO2 en % en € par personne en % en kg d’équivalent CO2 en %
Transport individuel Super plombé 244 53 1 093 38 2 0 4 0
Super sans plomb 0 0 0 0 235 27 513 21
Gazole 17 4 104 4 312 36 793 32
Total 261 57 1 197 41 548 63 1 309 53
Logement Charbon 8 2 403 14 1 0 23 1
Bois 5 1 1 0 13 2 2 0
Fioul domestique 88 19 787 27 111 13 494 20
Gaz naturel 83 18 406 14 172 20 596 24
Butane, propane 13 3 97 3 27 3 60 2
Total 198 43 1 694 59 324 37 1 176 47
Total 459 100 2 891 100 872 100 2 485 100
  • * Voir définitions.
  • Champ : France.
  • Source : Insee, Comptes nationaux.

Les émissions liées au chauffage ont diminué, celles liées au transport individuel ont augmenté

En trente ans, les émissions de GES liées aux combustibles de chauffage ont nettement diminué : de 1,7 tonne d’équivalent CO2 par personne au début des années 1980 à 1,2 tonne à la fin des années 2000. Le charbon a été presque abandonné au cours des années 1980. En outre, la part des émissions dues au fioul a reculé au profit du gaz naturel, moins émetteur de GES : à la fin des années 2000, le gaz naturel est responsable de 24 % des émissions de GES induites par la consommation des ménages en combustibles, contre 14 % au début des années 1980. Globalement, les émissions de GES liées au logement sont devenues minoritaires (47 %), leur part baissant plus entre 1980 et 2010 que le poids du logement en termes de dépenses de combustibles.

En revanche, les émissions liées au transport individuel ont légèrement augmenté, du fait notamment du développement du parc automobile : de 1,2 à 1,3 tonne d’équivalent CO2 par personne entre le début des années 1980 et la fin des années 2000. En trente ans, le gazole s’est progressivement imposé comme premier carburant pour l’automobile et comme principal émetteur de GES : il représente 32 % des émissions entre 2005 et 2010 contre 4 % entre 1980 et 1985. Par ailleurs, les réglementations ayant évolué, le super sans plomb a remplacé l’essence plombée. Ce changement n’a pas d’impact sur les émissions de GES, ces carburants étant autant émetteurs l’un que l’autre (tableau 2).

Tableau 2Conversion en équivalent CO2

Conversion en équivalent CO2
Combustible Prix moyen en 2005 Équivalent CO2* du combustible (à la combustion) Équivalent CO2* du combustible (émissions globales) Consommation en 2005 (en millions d’euros) Équivalent CO2* (en tonnes d’émissions globales/MWh)
Bois 52,8 €/stère 733,33 kg/stère 7,33 kg/stère 648 0,00
Charbon 110,5 €/t 2 390,67 kg/t 2 585 kg/t 67 0,37
Fioul 57,9 €/hl 2,66 kg/l 2,948 kg/l 6 615 0,30
Sans plomb 117,6 €/hl 2,42 kg/l 2,83 kg/l 15 791 0,31
Super plombé 123,3 €/hl 2,42 kg/l 2,83 kg/l 513 0,31
Gazole 102,7 €/hl 2,67 kg/l 2,95 kg/l 16 967 0,30
Butane, propane 1 402,6 €/t 2 944,33 kg/t 3 498 kg/t 1 739 0,27
Gaz naturel 48,7 €/MWh 205,33 kg/MWh 231 kg/MWh 9 065 0,23
  • * Voir définitions.
  • Champ : France.
  • Sources : Insee, Comptes nationaux et IPC ; Ademe ; SOeS ; CPDP.

Une consommation énergétique moins émettrice de gaz à effet de serre

En trente ans, les ménages ont cessé de consommer certains produits (charbon, super plombé), en ont redécouvert (bois) ou augmenté leur consommation d’autres produits (gazole, biocarburants, gaz naturel). Ces évolutions ont globalement permis une baisse du contenu en CO2 de l’énergie consommée (graphique 2). Ainsi, lorsqu’en 1980 les ménages émettaient 294 kg d’équivalent CO2 par MWh consommé, ils en émettent 259 kg en 2010.

Cette baisse tendancielle est principalement liée aux changements de combustibles utilisés pour le logement. En trente ans, les émissions associées ont diminué de 53 kg par MWh. L’abandon du charbon et le recul de la consommation de fioul au profit du gaz naturel expliquent respectivement 72 % et 25 % de cette baisse. Pour le transport, ce sont surtout les biocarburants ajoutés qui expliquent la baisse des émissions dans les années 2000, y contribuant pour plus de 15 kg par MWh. De 1980 à 2010, la diésélisation du parc automobile a également contribué à une baisse de 5 kg par MWh.

Au total, la baisse en trente ans de 2,9 à 2,5 tonnes d’équivalent CO2 par personne et par an résulte pour 255 kg du report vers des combustibles moins émetteurs de GES, et pour 150 kg d’une moindre consommation d’énergie de combustion. Cette dernière évolution peut traduire un report vers d’autres types d’énergie (l’électricité par exemple).

Graphique 2Émissions de gaz à effet de serre par unité d’énergie consommée

  • Champ : France.
  • Source : Insee, Comptes nationaux.

Des émissions peu liées à la conjoncture économique

Sur le long terme, les émissions de GES totales de l’économie sont liées à l’évolution de sa production, mais aussi à celle du contenu de cette production en émissions. Or, l’intensité en GES des économies développées a diminué sur les dernières décennies. En particulier, en France, entre le début des années 1980 et la fin des années 2000, le PIB a crû de plus de 60 % en volume, tandis que les émissions de GES générées par les ménages sont restées quasi stables. À court terme, le lien entre les fluctuations de ces deux grandeurs n’est pas non plus significatif. De même, les émissions de GES sont peu liées à la consommation des ménages en biens autres que les combustibles. De fait, ce ne sont pas les mêmes facteurs qui influencent la consommation de combustibles et celle des autres biens : ces deux dépenses ne semblent ni substituables, ni complémentaires.

Les émissions de GES liées au seul logement sont, bien sûr, particulièrement influencées par les conditions climatiques (encadré 1). Depuis 1990, après le quasi-abandon du charbon, le réchauffement climatique a pesé à la baisse sur ces émissions pour presque 8 %. Mais d’un trimestre à l’autre, les différences météorologiques peuvent provoquer des fluctuations importantes d’émissions : par exemple, au premier trimestre 2010, l’hiver rigoureux avait conduit à une hausse ponctuelle des émissions de plus de 10 %.

Pour le transport individuel, les facteurs déterminants des émissions de GES sont en premier lieu structurels. Notamment, la baisse des émissions liées au transport dans les années 2000 (graphique 1) coïncide avec la moindre croissance du parc automobile. En outre, les émissions de gaz par automobile sont tendanciellement en baisse (encadré 2), du fait notamment des avancées techniques et d’une orientation des consommateurs vers des véhicules moins polluants. Les évolutions du prix des carburants modifient plus faiblement les émissions par automobile. Ainsi, entre 2000 et 2010, la hausse de 24 % du prix des carburants n’explique directement que 3 % de baisse des émissions de GES par véhicule, sur un total de 18 % sur la période.

Les conditions météorologiques sont le principal déterminant de court terme des émissions liées au logement

Depuis le quasi-abandon du charbon en 1990, le climat est le principal déterminant des fluctuations trimestrielles des émissions individuelles de GES liées au logement. Parmi les différentes mesures envisagées (jours de gel, écarts aux normales saisonnières…), les degrés jours unifiés ont le pouvoir explicatif le plus important. Les degrés jours unifiés cumulent le nombre de degrés inférieurs à 18 °C par jour. Pour des températures inférieures à 18 °C, une baisse de 1 °C en moyenne sur un trimestre entraîne une hausse de 1,8 % des émissions. Les précipitations amplifient cet effet puisqu’un centimètre de pluie supplémentaire entraîne une hausse d’émissions de 0,6 %.

En revanche, les émissions de GES liées au logement ne sont pas sensibles à court terme aux fluctuations du prix relatif des combustibles de chauffage par rapport aux autres biens de consommation.

Les hausses du prix des carburants ne limitent que faiblement les émissions de gaz par automobile

Sur longue période, les émissions de GES liées au transport individuel baissent tendanciellement de 0,2 % par trimestre. Cette baisse est imputable aux avancées techniques et à l’orientation des consommateurs vers des véhicules moins polluants, influencée notamment par des mesures publiques incitatives ou contraignantes (contrôle technique obligatoire, bonus-malus, addition de biocarburants). Les tests statistiques n’indiquent pas que cette tendance se soit accentuée au cours des années.

Au-delà de cette tendance, plusieurs facteurs conjoncturels influencent les fluctuations trimestrielles des émissions par automobile. Une hausse de 1 % du prix des carburants relativement aux autres biens de consommation entraîne ainsi une baisse de 0,2 % des émissions associées. Par ailleurs, les ménages se déplacent moins souvent lorsque la météo est défavorable : une baisse de l’écart aux normales saisonnières de 1 °C entraîne une baisse des émissions de 0,3 %.

Bien que le transport individuel soit pour une large part lié aux déplacements vers le lieu de travail, il n’y a pas de lien à court terme entre émissions associées au transport et fluctuations du chômage. À court terme, le taux moyen d’équipement automobile des ménages n’explique pas non plus ces émissions.

Sources

Le champ de cette étude est restreint aux produits dont la consommation par les ménages est directement émettrice de gaz à effet de serre (GES). Ce sont l’ensemble des combustibles achetés par ceux-ci (bois, charbon, fioul, butane-propane et GPL carburant, super, gazole, gaz naturel). Cette étude exclut les émissions indirectes de GES dues à la consommation d’électricité, de transports collectifs ainsi que des biens et services autres que l’énergie.

Les données de comptabilité nationale mesurant la consommation des ménages en biens, dont les biens liés à l’énergie, sont publiées à un rythme mensuel (bibliographie). Cette source distingue les combustibles. À partir de ces données exprimées en euros d’une année de référence et des relevés de prix de l’indice des prix à la consommation, du Comité professionnel du pétrole ou du Service de l’observation et des statistiques, il est possible de convertir en quantités physiques (tonnes, litres ou MWh) les consommations des différentes sources d’énergie. Les caractéristiques physicochimiques de chaque combustible (« Guide des facteurs d’émissions », bibliographie) permettent ensuite de passer des quantités aux tonnes d’équivalent CO2 émises par leur combustion. On parle alors d’émissions directes.

Ces émissions peuvent être augmentées pour prendre en compte les émissions de GES en amont de la consommation des ménages, c’est-à-dire celles dues à l’extraction, au traitement et à l’acheminement du produit. On parle alors d’émissions globales, concept qui est commenté dans cette étude.

Le cas du bois est particulier car les émissions globales (7,3 kg d’équivalent CO2 par stère) sont bien inférieures aux émissions dues à la combustion (733 kg par stère) : en effet, le bois est une ressource renouvelable dans la mesure où la pousse d’un arbre capture le CO2 émis lors de sa combustion. On considère donc généralement que l’utilisation du bois comme source d’énergie n’est pas émettrice nette de CO2. Les émissions globales liées au bois traduisent uniquement l’impact de l’exploitation et de l’acheminement du bois.

L’électricité n’étant pas un combustible, elle ne fait pas partie du champ de cette étude : les émissions liées à sa consommation ont lieu en amont, lors de sa production. En 2005, on peut toutefois estimer que les émissions de GES liées à la consommation électrique des ménages français sont de 12 millions de tonnes d’équivalent CO2, contre 82 millions pour les autres sources d’énergie en lien avec le logement considérées dans cette étude. On peut alors considérer que le champ de cette étude est d’environ 10 % inférieur au total des émissions liées au logement.

Définitions

Les gaz à effet de serre (GES) sont des constituants gazeux de l’atmosphère, tant naturels qu’anthropiques, qui absorbent et réémettent le rayonnement infrarouge. Dioxyde de carbone, méthane, oxyde nitreux, hydrofluorocarbures, perfluorocarbures et hexafluorure de soufre contribuent ainsi au réchauffement climatique et sont ciblés par le protocole de Kyoto.

Tous les gaz à effet de serre n’ont pas le même effet sur le réchauffement climatique. Pour sommer les effets des différents GES émis dans l’atmosphère, on considère leur pouvoir de réchauffement global (PRG). Le PRG d’un gaz est le rapport entre l’énergie renvoyée vers le sol en cent ans par 1 kg de ce gaz et celle que renverrait 1 kg de CO2, principal contributeur à l’effet de serre. Le PRG dépend des concentrations et des durées de vie des gaz.

Dès lors, on peut rapporter toute émission de GES à la quantité de CO2 qui aurait le même effet sur le réchauffement climatique à un horizon de cent ans, c’est la conversion en tonnes d’équivalent CO2 . À titre de comparaison, une tonne d’équivalent CO2 correspond aux émissions moyennes d’une voiture parcourant 4 800 km ou d’un passager parcourant 3 200 km en avion.

Pour en savoir plus

Lenglart F., Lesieur C., Pasquier J.-L., « Les émissions de CO 2 du circuit économique en France », Insee Références L’économie française, édition 2010.

« Guide des facteurs d’émissions », agence de l’Environnement et de la maîtrise de l’énergie et mission interministérielle de l’effet de serre, janvier 2007.»

Les dépenses de consommation des ménages en biens sont consultables sur insee.fr (rubriques Thèmes - Conjoncture - Indicateurs de conjoncture).

Besson D., « Consommation d’énergie : autant de dépenses en carburants qu’en énergie domestique »,  Insee Première  n° 1176, février 2008.

Delbosc A., Keppler J. H., Leseur A., « Croître sans réchauffer ? L’intensité carbone des économies développées », note d’étude de la mission climat de la Caisse des dépôts n° 10, janvier 2007.

Ouvrir dans un nouvel onglet« Chiffres clés du climat, France et Monde », Repères, Service de l’observation et des statistiques et Caisse des dépôts et consignations - climat recherche, édition 2013.

Ouvrir dans un nouvel onglet« Chiffres clés de l’énergie », Repères, Service de l’observation et des statistiques, édition 2012.

Longuar Z., Nicolas J.-P., Verry D., Ouvrir dans un nouvel onglet« Chaque Français émet en moyenne deux tonnes de CO2 par an pour effectuer ses déplacements », La Revue du CGDD, La mobilité des Français, Service de l’observation et des statistiques, décembre 2010.